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LE TRESOR DE NEUVY-EN-SULLIAS

Présentation (page III/III)

Le cheval

 L'origine du trésor.  
     Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l'origine du trésor. Le mot "trésor" n'est pas vraiment approprié car les objets ne sont pas en matière précieuse. Il vaudrait mieux parler de "dépôt".
     Les objets auraient pu être cachés par des voleurs ou mis à l'abri lors d'une période d'insécurité. Des cachettes de ce type se sont en effet multipliées à la fin du IIIème siècle, période de troubles dans le monde romain. Les envahisseurs germains : Alamans et Francs puis Alains et Vandales traversent le limes romain et pénètrent dans l'Empire. Les sanctuaires et les campagnes sont pillés. L'abondance des dépôts monétaires  rapidement enterrés sous le règne de Gallien, le retour à l'occupation des grottes et des oppida témoignent de la violence de l'invasion barbare. Le trésor de Neuvy-en-Sullias a pu être enfoui à cette époque et dans ces circonstances. La richesse des objets retrouvés a pu laisser supposer que le trésor provenait d'un riche sanctuaire gaulois que l'on aurait voulu mettre à l'abri des envahisseurs.
     Toutefois, le caractère hétéroclite des objets pourrait aussi laisser penser qu'il s'agirait d'une cachette d'un bronzier soucieux de mettre en sûreté sa matière première devenue précieuse et rare. Les objets auraient donc pu être destinés à la refonte, on retrouve d'ailleurs des traces de feu sur certains d'entre eux.
Mais aucune trace écrite permet d'identifier ce trésor et les circonstances dans lesquelles il a été enfoui, l'énigme demeure!
Date de rédaction  : 2001

Ce que nous apprend l'étude scientifique terminée en 2007

     Aujourd'hui, l'hypothèse d'une cachette provisoire est abandonnée, le soin apporté à l'aménagement du dépôt, à trois mètres de profondeur, contredit un enfouissement hâtif. L'endroit a d'ailleurs été judicieusement choisi sur un point haut*  à l'abri des crues de la Loire.

* Le lieu-dit de la sablière porte le nom de "Mottois", c'est-à-dire, la motte, une proéminence naturelle ou artificielle.

     Il est vraisemblable que le trésor est le dépôt cultuel d'un temple gaulois (fanum). Il se pourrait aussi que les pièces proviennent de plusieurs lieux de culte et même d'un autel familial (laraire privé) pour les objets les plus petits. Les trois patères (objets liturgiques) retrouvées avec le trésor renforcent fortement l'hypothèse du dépôt cultuel, elles servaient aux libations destinées aux divinités. Trois divinités ont été identifiées dans le trésor : Esculape, Mars et Hercule, les autres figurines pourraient être des ex-voto : offrandes individuelles ou collectives que l'on fait à un dieu pour le remercier d'un bienfait. Pour le cheval, la pièce la plus imposante, il n'y a pas de doute, l'inscription atteste une offrande collective financée par la communauté.
     Pourquoi le trésor a-t-il été enfoui?
On sait que les dépôts cultuels près des sanctuaires étaient fréquents chez les Celtes. Les Gaulois enterraient leurs offrandes : des boeufs, des armes qu'on pliait (pour éviter toute réutilisation), des monnaies, des ex-voto... Mais les raisons de ces enfouissements ne sont pas toujours clairement identifiées. Pour Neuvy-en-Sullias, on pense que les objets ont été enterrés car ils ne correspondaient plus à la mentalité du moment et il fallait peut-être faire de la place pour en mettre d'autres. En effet, l'iconographie très particulière du trésor avec ses figurines peu classiques et ses animaux relevant du bestiaire typiquement gaulois a pu conduire à évincer ces objets pour les remplacer par d'autres plus en vogue à l'époque. Comme ces objets étaient sacrés, on ne les a pas détruits mais enterrés soigneusement. Cet enfouissement a peut-être eu lieu lors d'un profond réaménagement du temple. A quelques kilomètres de là, à Vienne-en-Val, on fait la même chose en enfouissant des statues dans les fossés d'un édifice en tau. Au Moyen Age, on continue à enterrer sous les églises, ou à proximité, les objets sacrés qui ne sont plus utilisés.
     La datation des objets?
A l'exception des enseignes militaires qui sont dues à l'art gaulois (avant la conquête romaine), les autres objets sont de fabrication gallo-romaine et se situent entre le
 Ier siècle av. J.-C. et le Ier siècle ap. J.-C.

Source principale : "A la redécouverte du trésor de Neuvy-en-Sullias" Prestige des Collections (Amis des musées d'Orléans).
Date de rédaction  : 2008

La provenance du trésor selon P. Mantellier (1865)
Mémoire sur les BRONZES ANTIQUES de Neuvy-en-Sullias (P. Mantellier) 
VIII. PROVENANCE DES MONUMENTS TROUVÉS A NEUVY-EN-SULLIAS
CAUSES ET DATE DE LEUR ENFOUISSEMENT.

Tels sont les objets mis au jour par la découverte de Neuvy. (Voir la planche d’ensemble II.)
Quelle était leur provenance? Quelles ont été les causes et les circonstances de leur enfouissement?
Avant d'être enfoui, le monument consacré au dieu Rudiobus avait certainement pris place dans un temple.
L'inscription du socle, les anneaux par lesquels il était suspendu, ceux qui servaient à le porter processionnellement, en sont la démonstration.
    Mais quel était ce temple? Rudiobus en était-il la divinité?
De ce qu'un objet consacré aune divinité était conservé dans un temple, il n'y a pas à induire rigoureusement que ce temple lui
fut dédié. On voyait souvent dans un même temple des idoles de divinités diverses à côté de la divinité principale, de la divinité locale. Des statues de Cybèle, de Pluton, de Mercure, étaient consacrées dans le temple de Junon, à Olympie (1); des statues de Jupiter, de Neptune, dans le temple d'Apollon, a Delphes. Des statues de Pan, de Diane, décoraient l'entrée du temple d'Esculape, à Sicyone (2).
    Il se pourrait que le monument dédié à Rudiobus eût été une image de ce dieu, déposée dans le temple d'une autre divinité.

(1) PAUSAN., V, xx ,2, 3.
(2) LETRONNE, Dissert. déjà citée, p. 10.

Il se pourrait aussi que ce monument  eût été l'image d'un autre dieu ou une simple offrande consacrée à Rudiobus, clans son propre temple. La seule opinion qu'on puisse émettre avec certitude, c'est que ce monument, qui porte la formule Rudiobo sacrum, était un monument consacré au dieu Rudiobus ; et par là même il demeure établi qu'avant son enfouissement il avait été déposé dans un sanctuaire.

On doit en dire autant des objets qui ont été trouvés dans le même lieu, enfouis dans la même fosse. Pour leur attribuer une autre provenance, il faudrait que leur nature, leur caractère, leur destination, se refusassent à celle-ci.
Loin de là : ces objets sont tous de ceux que l'on consacrait dans les temples.
Les  observations  présentées à l'instant  pour établir qu'avant d'être enfoui le monument dédié à Rudiobus avait eu sa place dans un édifice religieux s'appliquent à la figurine d'Esculape (n° 2), à la figurine encadrée de feuillages (n° 3), et on peut faire valoir des raisons du même ordre en ce qui est de la figurine de l'empereur Tétricus (n° 12), de la figurine de l'orateur (n° 4), de celles des gymnastes, des danseurs, du joueur de cymbales, des bacchantes (n° 5 à 11).
 En effet, ce n'était pas seulement les statues des dieux qu'on plaçait dans les temples, mais celles des empereurs et des rois, des Athlètes, des lutteurs, « non plus alors, dit Pausanias, pour le culte et l'honneur de la divinité, mais pour la satisfaction et la vanité des hommes. »
A Corinthe, à Olympie, on voyait, dans les temples de Neptune et de Jupiter, les statues d'Amyntas, de Philippe, d'Alexandre (1), d'Auguste, d'Hadrien, de Trajan (2), l'image du célèbre rhéteur Gorgias (3), les images sans nombre des vainqueurs au pugilat, à la course, au ceste, qui avaient obtenu des couronnes dans les jeux isthmiques et les jeux olympiques (4).

 (1) PAUS., V, xx, 10. (2) Id., V, XII, 6. (3) Id., VI, XVII, 7, 8. (4) Id. II, VI, VII, VIII, passim.

   La Gaule avait de même des jeux publics dans lesquels les vainqueurs recevaient des palmes et recueillaient des honneurs. La politique des empereurs avait institué et répandu ces jeux, qui se célébraient encore à Lyon dans la première moitié du IIIe siècle (5), jeux divers où l'on s'exerçait à la fois aux luttes de corps et aux luttes de la parole : ludos et in Galliâ  Lugduni miscellos, sed et certamen quoque Grœcœ latinœque facundiœ (6).
    Des jeux analogues à ceux du confluent du Rhône et de la Saône étaient célébrés sur d'autres points du sol gaulois, particulièrement dans la partie du territoire des Carnutes et des Sénonais, qui forma plus tard l'Orléanais et le Gâtinais : Sceaux  (7), Triguères (8), Chenevières (9), Bonnée (10), Orléans ont possédé des cirques ou des théâtres (11).

(5)  DION  CASSUIS,  Hist.,  liv.  II,  428;  LIV,  361.  -  MACROBE, Saturn., II, 7. — Au milieu du Vè siècle, les spectacles du cirque se maintenant dans les villes du midi. (SALVIEN, De gubernatione Dei, VI.)
(6) SUÉT., in Calig., xx. — Cf. JUVÉNAL, Sat., I, XLIII.
(7) Canton de Ferrières.
(8) Canton de Châteaurenard.
(9) Canton de Châtillon-sur-Loing.
(10) Canton d'Ouzouer-sur-Loire.
(11) Voir ci-dessous la légende de la planche Ière

 Là, sans aucun doute, étaient donnés des spectacles, étaient célébrés des jeux imités des jeux lyonnais et des concours de l'Asie-Mineure et de la Grèce (1), dont le double objet était d'exciter au développement des forces physiques et de mettre les talents oratoires en honneur (2). Ne sait-on pas combien les peuples de race celtique ou germanique étaient passionnés pour les exercices d'agilité (3), et d'autre part en quelle estime ils tenaient l'éloquence (4) ? Pourquoi n'auraient-ils pas consacré dans leurs temples des images commémoratives de ce qu'ils applaudissaient dans les cirques, sur les théâtres, de ce qu'ils honoraient dans les jeux et les assemblées publiques, comme le faisaient les Grecs d'où leur étaient venus tant d'autres usages?

(1) EGGER, Bulletin de ta Société des Antiquaires de France, 1863, p. 148.
(2) CAYLUS, V, p. 243. pi. LXXXV1, III. - MACROBE, loc. cit.
(3) TACITE, De more Germ., XXIV. —On rencontre sur plusieurs vases à couverte rouge du musée historique de l'Orléanais, des représentations de danseurs et de gymnastes, cat., A, 961, 1995, ; C, 271, 430.
(4) M. P. CATON, Orig., II. — LUCIEN, IIerc. Gaul.

    Il y a une seconde manière d'expliquer la présence de ces figurines de gymnastes dans un temple : c'est de les rattacher aux cultes de Bacchus et de Cybèle. Dans les pompes dionysiaques, les suivants du dieu s'y livrent, au son d'instruments bruyants, à des danses désordonnées mêlées de poses, de sauts, d'attitudes forcées, grotesques ou lubriques. Le gymnaste à la corde trouvé à Aulun, que Grivaud de la Vincelle a publié, n'est autre qu'un faune. Sur un vase à couverte rouge du musée historique de l'Orléanais, un personnage qui est également un faune tenant une écharpe au lieu d'une corde, se livre à une dans mimique (5).

(5) Catalogue, A, 9G1.

 Les satyres, les bacchantes sont souvent représentés jouant des cymbales (1). Nous retrouvons ici les mêmes personnages. Le gymnaste si semblable à ces faunes, l'équilibriste, le joueur de cymbales, le danseur, le jongleur, les femmes échevelées surtout, ne seraient-ils pas des acteurs de bacchanales, des figures destinées à rappeler les nocturnes et mystérieuses orgies des prêtresses de ces temples élevés, sur les côtes de l'Océan, dont parlent Strabon (2), et Denis le Périégète (3)?

(1) G. 0. MULLER, Denkmœler der alten kunst, 462, 463. — MONT-FAUCON, t. II, p. 252, pl. CLXIV.
(2) Liv. IV. 
(3) Orbis descriptio, 77.

   Le taureau (n° 13), le cerf (n° 14), les trois vases (n° 30) destinés aux sacrifices et aux libations, la feuille de laurier provenant d'une couronne (n° 29), l'umbo de bouclier (n° 23), la tuba (n° 22), les palmes (n°s 24, 25, 26), dont la destination paraît avoir été militaire, les  animaux enseignes (n° 15 à 17) sont encore des objets de la nature de ceux que l'on conservait dans les édifices religieux.
    C'étaient particulièrement les armes et les enseignes, « vénérées plus encore que leurs dieux, » a dit Tertullien (4), que les anciens avaient l'habitude de suspendre aux voûtes, de fixer aux portes ou aux murailles des temples, soit qu'après les travaux de la guerre elles fussent consacrées dans ces temples pour y demeurer à jamais (5), soit qu'elles y fussent entreposées durant la paix. Tacite raconte des Germains qu'ils allaient reprendre leurs étendards dans les bois sacrés lorsqu'ils se mettaient en campagne (6).

(4) Religio tota castrensis signa omnibus deis prœponit, Apolog., XVI.
(5) HOR., ep. I. — DIOD). de Sicile,  Bib.,  XVIII, 18, —  DENIS d'Halicarnasse, X.
(6) De more Germ., VII.

      Des quatre figures d'animaux en bronze martelé ou repoussé, deux, les petits sangliers, étaient évidemment des enseignes, et j'ai donné plus haut les raisons qui autorisent à penser que le bœuf était de même une enseigne (1).
Doit-on le penser aussi du sanglier de grandeur naturelle (n° 18)?
Bien que les feuilles de bronze dont celte image est formée soient minces et relativement légères, son poids, augmenté de celui de l'âme en bois ou en autre matière qui la soutenait, ne permettait pas de la porter au haut d'une hampe : un cavalier, certainement, ne l'aurait pu ; pour un fantassin, c'eût été difficile (2).

(1) Page 203.
(2) Voir, au mémoire déjà cité de M. de la Saussaye, les monnaies pl, XVI, nos 5 et 6; pl. XVII, n° 1.

Il est à considérer, d'autre  part, qu'ici les formes  de l'animal se rapprochent davantage de la nature. Il n'a pas ce corps effilé, arqué, ces flancs de lévrier, celte crinière ou plutôt cette arête en forme de peigne ou de râtelier, qui font des sangliers représentés sur les monnaies et sur d'autres monuments de véritables animaux imaginaires.
C'est l'animal réel, le sus des forêts, qu'on a voulu reproduire, et non le sus des enseignes, signe de convention, image fantastique aussi différente du sanglier que les chouettes des monnaies d'Athènes, les aigles des monnaies des Ptolémées, les lions des monnaies de Marseille, les aigles et les lions héraldiques du moyen âge, sont différents de l'animal dont ils conservent le nom.
    D'où je suis porté à conclure que, n'étant pas une enseigne, cette image de sanglier avait été consacrée, non à titre de trophée ou d'offrande militaire,  mais  à  titre d'offrande pieuse, de symbole religieux.
    Je rappelle que des débris d'un autre sanglier de grandeur naturelle font partie de la trouvaille, et je fais remarquer cette agglomération en un même lieu, sur un même point, de quatre images de sangliers, deux à l'état d'enseignes et deux à l'étal d'objets religieux, d'objets sacrés.
     Combien un tel fait fortifie les arguments, les exemples qui déjà démontraient l'importance du rôle iconographique donné par les Celtes à cet hôte farouche de leurs forêts !
Quelle confirmation il apporterait, s'il en était besoin, au savant mémoire dans lequel M. de la Saussaye, s'appuyant particulièrement sur les médailles, a établi que le sanglier était le symbole national des Gaules, symbole qui apparaît partout, sur la pierre, le bronze et l'argile! Ce même type, qu'offrent les rochers sculptés du Donon, dans les Vosges (1), l'arc de triomphe d'Orange, les monnaies de tous les peuples de la famille celtique (2), se retrouve aux bords de la Loire, non seulement parmi les bronzes de Neuvy, mais sur les vases à couverte ronge (3), dans les terres cuites du Bourbonnais (4), dans une frise gigantesque provenant d'un édifice, d'un temple probablement, qui s'élevait, à l'époque gallo-romaine, sur l'emplacement actuel de la basilique de Sainte-Croix d'Orléans, frise chargée de rinceaux d'un grand style, où le sanglier employé comme motif de décoration apparaît issant de feuilles de rameaux qui le cachent à moitié. Une pierre d'angle de celte frise, retirée des fondations de l'ancien Hôtel-Dieu d'Orléans, fait
partie des collections du musée historique de l'Orléanais. (PI. XVI.)

(1) JOLLOIS, Ant. du dép. des Vosges, pl. XXXIII, XXXIV.
(2) DELA SAUSSAYE, mémoire déjà cité ; id.. Numismatique de la Gaule narbonnaise. — JEUFFRAIN, Essai d'interprétation des types de quelques médailles muettes. — LELEWEL, Type gaulois.
(3) Vases du musée historique  de l'Orléanais, catalogue  A  2066 ; C, 218.
(4)  TUDOT,  pl.  XXXIII.

Il est sans aucun doute remarquable que dans celte frise de 57 centimètres de hauteur, au travers de rinceaux de grandes proportions, on ait introduit et répété, comme motif décoratif, un sanglier de proportions si minimes, qu'à quelque distance il devient invisible : un sanglier, et nul autre emblème.
    On n'admettra pas que ce soit, à ce titre seul de motif décoratif, car il n'y a pas de lien artistiquement établi des feuilles élégantes et découpées d'un rinceau au corps pesant et massif d'un sanglier. Cet accouplement bizarre n'est pas indiqué par les lois, par les traditions de l'harmonie ornementale ; il n'est pas davantage le fruit d'un caprice de sculpteur ; il vient d'ailleurs et puise sa raison d'être précisément dans le caractère symbolique de l'animal si singulièrement amalgamé avec les branchages d'un rinceau. On doit supposer que ce même sanglier, adopté exclusivement à tout autre type dans l'ornementation de l'édifice, se retrouvait au-dedans à l'état d'image consacrée ; que cet ornement de la frise de ses façades avait été emprunté aux emblèmes, aux images qu'on vénérait à l'intérieur du temple, de même qu'aujourd'hui ce sont les attributs du christianisme, les signes symboliques placés sur les autels et les tabernacles de nos églises, que nous retrouvons dans les détails de leur décoration architecturale extérieure. Il n'y a aucune témérité a penser que dans le temple d'où vient ce débris de frise chargé d'une image de sanglier, on rencontrait à l'état d'objets consacrés d'autres images de sangliers, images semblables à celles que la découverte de Neuvy a mises au jour.
    Et ainsi les temples de Genabum, d'Aurelia plus tard, comme le temple dont la cachette de Neuvy a recelé les dépouilles pendant plusieurs siècles, comme la plupart des temples de la contrée, selon toute vraisemblance, renfermaient, possédaient l'image sacrée de l'animal dont les Gaulois avaient fait un symbole guerrier, monétaire, national, religieux, insigne superstitionis, aprorum formas gestant (1).

 (1) TACITE, De more Germ., XLV.

  Tous les objets de la trouvaille de Neuvy, figurines d'hommes et de divinités, images d'animaux, feuille de laurier, armes et enseignes militaires, instruments  et ustensiles, leur nature, leur caractère ou leur destination l'indiquent, avaient donc appartenu a un sacellum.
     Comment en étaient-ils sortis? Pourquoi les retrouve-t-on dans une fosse pratiquée de main d'homme, au milieu des sables du val de la Loire?
    Le 8 février 1858, dans ce même val de la Loire, à trois lieues de Neuvy (2), on a trouvé, enfouis et cachés à quelques décimètres sous le sol, un ciborium suspendu, un bassin baptismal, une lampe, un bénitier, des chandeliers en cuivre du XVè siècle, tout le mobilier d'une chapelle  chrétienne.  Cet enfouissement fut attribué,  avec grande apparence de raison, au zèle, à la piété de quelques catholiques qui, pendant les guerres de religion du XVIè siècle, n'eurent d'autre moyen de soustraire aux profanations des protestants, maîtres du pays, les ustensiles et les vases sacrés de leur église (3).

(2) A Laqueyvre, commune de Férolles, canton de Jargeaii.
(3) ROCHER, Notes Historiques et liturgiques sur un ciborium trouvé à Laqueuvre, Mém de la Société arch. De l’Orléanais, t. IV, p. 406.

   A mille ans en arrière, ce sont des causes analogues qu ont porté des païens gaulois à cacher dans les sables de Neuvy les idoles de leur temple, Les symboles de leur nationalité, menacés de destruction par les chrétiens ou les Barbares.
Le style complètement dégénéré de quelques-unes des figurines, le travail grossier de la queue rapportée du cheval, montrent que ces œuvres datent de la lin du III° ou du commencement du IV° siècle. Leur enfouissement ne peut dès lors se placer plus haut. Au IV° siècle l'Évangile répandait partout dans les Gaules sa divine influence, les églises de Limoges, de Tours, de Bourges étaient fondées; saint Euverte s'asseyait sur le siège épiscopal d'Orléans ; le christianisme enserrait et déjà s'appropriait le territoire des Carnutes. Les résistances opiniâtres, désespérées des partisans des anciens cultes excitaient l'ardeur des néophytes chrétiens, armaient leurs bras et amenaient sur plusieurs points l'anéantissement, par le fer et le feu  des temples et des idoles des faux dieux.
    C'est dans le même temps ou peu après (406) que les premières hordes barbares, les Vandales, les Suéves, les Alains apparurent et se frayèrent passage au travers de la Gaule, du Rhin aux Pyrénées.
A l'une de ces dates on doit fixer, à l'une de ces causes on doit attribuer l'enfouissement de Neuvy-en-Sullias.

   Sur quel point s'élevait le sacellum d'où provenaient les objets enfouis? Etait-il placé dans le lieu même où l'enfouissement avait été opéré?
    Je ne le pense pas.
    Dans cette région, le val de la Loire a une largeur de quatre kilomètres environ ; il est limité à la rive droite par un coteau au pied duquel le fleuve a fixé son lit à la rive  gauche  par un  autre coteau  [Pl. I.) Entre le fleuve et ce dernier coteau s'étend la vallée où était Noviacum (1), aujourd'hui Neuvy-en-Sullias.

(1) Charte de Charles-le-Chauve, Cartulaire de Fleury,  fol.  60, archives du Loiret. D. CHAZAL, Histoire de Fleury-sur-Loire, t. 1er, p. 114, Bibl. com. d'Orléans, mss..

Au-delà de la colline,  un plateau,  îles landes,  des bruyères ; ce sont les confins de la Sologne au levant, et c'étaient, A l'époque gallo-romaine, les marches qui séparaient les Carnutes des Bituriges.
    De ce côte de la Loire, à cette rive gauche, il n'y avait pas d'agglomérations importantes : quelques hameaux seulement, des villœ de construction récente, des exploitations rurales posées sur l'alluvion sablonneuse du val, puis les marches.
    A la rive droite, il en était autrement. Là on rencontrait la vie, l'activité, les villes, les routes,  la grande voie qui conduisait d'Autun à Lutèce, par Decize, Nevers, Briare et Genabum (2). En face Noviacum était le lieu de Floriacum, où fut construite plus tard la grande abbaye bénédictine de Fleury-sur-Loire ; à six kilomètres  au-dessus de Fleury, une station mentionnée dans les itinéraires la station de Belca, aujourd'hui  Bonnée (3) ; plus haut, la ville dont on retrouve les ruines à Gien-le-Vieux, puis une autre station, celle de Brivodurum, Briare; en redescendant., au-dessous de Fleury, sur la même voie romaine, Chécy, le Caciacum des chartes dont j'ai parlé tout à l'heure, et Genabum. {V. la carte, pl. I.}

(2) L. RENIER, Itinéraires romains de la Gaule. — BERTRAND, Les voies romaines en Gaule, p. 23.
(3) JOLLOIS, Antiquités du département du Loiret, p. 61.

   C'est dans l'une de ces villes de la rive droite assises sur le coteau de la Loire, traversées par l'une des grandes voies des Gaules, villes emporia considérables, plutôt que dans les bourgades de la rive gauche, qu'il convient de chercher, de placer le temple d'où est sorti le monument consacré à Rudiobus ; c'est à Belca, à Brivodurum, à Caciacum à Genabum peut-être. Les prêtres de ce sacellum, en un jour de détresse, ont pu traverser la Loire, emportant, pour le soustraire à la profanation ou au pillage, le trésor qui leur était confié.                                                     

    Un dernier problème se présente. Tant s'en faut que les objets enfouis à Neuvy fussent tous, au moment de leur enfouissement, dans un même état de conservation. Plusieurs étaient intacts, complets, d'autres altérés, brisés détruits en partie. Le cheval, sa crinière mobile et sa bride, les statuettes, les animaux en bronze fondu, la trompette, les ustensiles, ont été retrouvés entiers. Les animaux en bronze repoussé, au contraire, étaient en morceaux. Les feuilles et les, parcelles, de métal soudées ou serties dont ils avaient été originairement formés se présentèrent disjointes, séparées, dessoudées ; quelques-unes, appartenant au sangler le plus, gros, étaient brisées et en éclats. J'ai exposé p}us haut que ces altérations, ces fractures, dont le vif est recouvert d'une patine, ne pouvaient être attribuées à la pioche des ouvriers inventeurs, pas, plus qu'à l’humidité ou à la pression des terres après l'enfouissement et qu’elles sont préexistantes à cet enfouissement. La preuve de leur préexistence est manifestement établie par la fonte du métal de soudure qui unissait les feuilles entre elles, par les gouttelettes de ce métal mis en fusion qui, après son refroidissement, sont restées adhérentes à certaines parties du bronze ; par l'état surtout de ce bloc formé de plusieurs fragments de feuilles de bronze pris et noyés dans du plomb fondu, qu'on a trouvé à côté des autres débris. C'est l'incendie, ce n'est pas l'humidité ni l’action du temps qui ont produit ces désordres.
Nous arrivons à celle constatation étrange, qu'avant d'être enfouis, ces objets avaient subi l'action du feu, avaient été réduits par les flammes à l'état de débris, débris dont plusieurs demeuraient assez complets pour permettre des recompositions ; dont quelques autres, coupés, déchirés, cisaillés, mêlés à du plomb fondu, ne le pouvaient.
    Pourquoi cette différence? Pourquoi le dépôt confié à la terre s'est-il composé en partie d'images, d'objets dénaturés, corrodés par le feu, et en partie d'objets, d'images intacts et entiers? Est-ce donc qu'ils ne provenaient pas tous d'un même lieu ; que les uns avaient été retirés d'un édifice  intact lui-même, les autres  des ruines d'un  édifice incendié ; ou bien que, provenant les uns et les autres d'un édifice incendié, ceux-ci en avaient été retirés avant, ceux-là après l'incendie? Ou bien enfin provenaient-ils les uns et les autres d'un édifice intact encore au moment où ils en avaient été retirés?
    Cette dernière hypothèse conduit à admettre que les images d'animaux trouvées en morceaux n'avaient pas été brisées à l'époque de leur enfouissement à Neuvy, mais à une époque antérieure, et qu'au moment de cet enfouissement elles étaient depuis longtemps déjà, depuis des siècles peut-être, des débris que l'on conservait pieusement.
    Ceci n'est pas impossible. Le symbole du sanglier était un symbole celtique, le plus ancien de tous les symboles adoptés dans les Gaules. C'était l'étendard des armées qui avaient résisté à César, des populations qui s'étaient soulevées sous Tibère et Vespasien. Mais après la conquête définitive, lorsque le territoire,  divise en provinces, se trouva complètement soumis au joug et à l'administration des vainqueurs, lorsque des armées gauloises il ne resta plus que des tronçons incorporés dans les armées romaines, les enseignes au sanglier qu'avaient portées les soldats de Vercingétorix, de Florus, de Sacrovir, de Civilis, disparurent. Tout au plus fut-il permis à quelques légions recrutées dans les Gaules de conserver à côté des aigles impériales ce vieil emblème de leur nationalité détruite (1), mais en le transformant, en lui donnant, comme il était arrivé des monnaies autonomes, un caractère d'emprunt, une facture romaine, qui n'apparaissent nullement dans les images de la trouvaille de Neuvy (2).

(1) Enseigne de la vingtième légion sous Victoria, médaille du cabinet d'Ennery, COHEN, Victorin père.
(2) Tels sont  le caractère et la facture du sanglier-publié par Grivaud de la Vincelle (pl. XXXII, 3), qui fait aujourd'hui partie de la riche collection de M. Dupré ; des sangliers enseignes figurés au revers des médailles autonomes publiées par M. le duc de Blacas Revue num., 1862, p. 201 et 202.

Ces images sont bien celles des monnaies qui circulaient dès avant l'arrivée de César, mais qui avaient disparu sous les Antonins. Ce sont bien les mêmes  enseignes  qu'on  voit  sur  l'arc-de-triomphe d'Orange, élevé du temps de Tibère (3), mais qui ne reparurent sur aucun édifice de date plus récente. Elles sont de ce temps ; elles avaient trois siècles d'existence lorsqu'elles ont été enfouies à Neuvy-en-Sullias.

(3) CH. LENORMANT, Mémoire sur l'arc-de-triomphe d'Orange.

Or, depuis trois siècles, quelles épreuves ces images fragiles n'avaient-elles pas subies? L'incendie qui en a disjoint les parties, qui les a mises en morceaux, peut remonter loin, peut se rapprocher de l'époque ou furent dispersées les dernières armées dont elles avaient été les étendards, où s'anéantit la nationalité dont elles avaient été le symbole. Rien ne dit qu'au moment de leur enfouissement elles n'étaient pas des débris, des reliques vénérables déjà par leur antiquité.

LE TRESOR DE NEUVY-EN-SULLIAS

Présentation (page III/III)

Le cheval


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