L'église Saint Jean Evangéliste à Ravenne
Les mosaïques de cette église sont particulières par rapport aux autres églises décrites plus avant : il ne s’agit pas de mosaïques murales mais de pavements de sol et elles sont beaucoup plus récentes, elles ne sont pas paléochrétiennes mais datent du treizième siècle (1213), lorsque l’abbé Guglielmo, supérieur du monastère en charge de l’église, a décidé d’en refaire le pavement. Plus tard, par-dessus ces mosaïques on a refait un nouveau sol couvrant les mosaïques et ce n’est qu’au milieu du dix-huitième siècle qu’on les a retrouvées. Ce qui en restait a alors été soigneusement récupéré, collé sur des panneaux qui ont été fixés aux murs. C’est dans cette position que l’on peut encore aujourd’hui les admirer. Elles représentent les thèmes des romans courtois de l’époque, des animaux fantastiques et des personnages de la quatrième croisade.
L’ Église de Saint Jean
Évangéliste fut érigée au Vème siècle ap. J.-C. (c’est
la plus ancienne église de Ravenne)
par l’impératrice Galla Placidia pour se délier d’un serment fait lors d’un
orage en mer après la mort de son frère Onorio, pendant qu’elle revenait de
Constantinople à Ravenne pour l’intronisation de son fils Valentiniano III à
la tête de l’Empire Romain d’Occident. |
En 1944, l'église fut sérieusement endommagée par les bombardements aériens qui causèrent la perte des fresques du XIIème – XIVème siècle ainsi que la destruction des mosaïques de l’abside. Reconstitution des parties perdues : les navire représentent l'épisode de la tempête dans laquelle Galla Placidia fit le voeu de construire une église si St Jean L'Evangéliste intervenait pour sa sauvegarde et celle de ses deux enfants (son fils Placidus Valentinien et sa fille Justa Grata Honoria) alors à bord. |
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Le tympan représente l'apparition de Saint Jean à Galla Placidia entre deux groupes d’anges. L’impératrice Galla Placidia, coiffée de sa couronnée, est allongée sur le sol. A gauche, St Jean l'Evangéliste tient un livre en main, son évangile.
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Au-dessus du tympan, un autre bas-relief s’inscrit dans un triangle. Sous la représentation du Rédempteur, l'empereur Valentinien III, reconnaissable à sa couronne, ce fils de Galla Placidia sauvé de la tempête. Assis près de lui, Saint Jean. À gauche, Barbazien accompagné de prêtres. Barbazien était venu d’Antioche à Rome, où il menait une vie de prière, de pénitence et accomplissait des miracles. Avant sa fuite à Constantinople, Galla Placidia était pleine d’admiration et de dévotion pour lui. Quand elle est revenue et décide la construction de l’église, elle le fait venir à Ravenne où il fonde, lié à l’église, le monastère de Saint-Jean l’Évangéliste. De l’autre côté, à droite, Galla Placidia, couronnée et suivie de soldats en armes. |
Les mosaïques : l’interprétation de ces mosaïque selon Nurith Kenaan-Kedar :
« Je
voudrais soutenir que le pavement avait été offert (probablement comme
d'autres pavement du XIIIème et XIVème siècle en Lombardie et Emilie)
comme ex-voto par un donateur, de retour chez lui, à Ravenne, indemne
après avoir combattu dans la quatrième croisade. |
Description de Raffaella Farioli Campanati Cette scène d’interprétation difficile est considérée dans son genre, soit comme un acte d’investiture, soit comme la représentation d’un postulant reçu par le Pape, mais elle fait l’objet aussi d’une exégèse plus complexe. A droite, un personnage, un rouleau de parchemin dans la main gauche est en train de s’adresser à un jeune homme, porteur de deux messages, agenouillé devant lui. Il a été avancé une hypothèse élaborée selon laquelle cette scène figurerait la rencontre entre le Pape Innocent III et le jeune Alexis Ange (le futur empereur Alexis IV) fils de l’empereur détrôné, qui se serait rendu auprès du Pape pour le prier de lui prêter secours et qui aurait justifié le détournement de la Croisade sur Constantinople. Jeune fille offrant une rose à son bien-aimé. La nouvelle lecture de Nurith Kenaan-Kedar La narration semble commencer par un évêque siégeant sur sa Cathèdre (dentifié grâce à sa mitre) pendant qu’un homme de la noblesse vêtu d’une robe courte et d’un manteau lui remet ou bien reçoit de lui un rouleau de parchemin, ce qui est synonyme d’ordre de mission. La scène du chevalier ou du noble faisant ses adieux à sa femme. Tous deux sont debout devant leur château. L’homme placé à sa droite lui fait au revoir de la main et celle-ci tient une fleur à la main en signe d’amour fidèle |
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Description de Raffaella Farioli Campanati Hissé avec peine sur le mât du navire qui manoeuvre, une seule voile déployée, le marin signale sa présence, les joues gonflées en soufflant avec force dans une corne. Il est difficile de savoir s’il s’agit de la 1 ère tentative pour se rendre maître d’une partie de la muraille ou plutôt de la seconde prise de Constantinople en avril 1204 dont le procédé tacticien sera de débarquer directement des navires aux remparts au moyen d’échelles de corde.La nouvelle lecture de Nurith Kenaan-KedarAu moins deux fragments peuvent sûrement être regroupés lesquels représentent des navires qui voyagent en mer, le premier desquels montre un homme sonnant la corne La traversée du retour. L’homme de veille est debout à la tête de mât et scrute l’horizon. Cette représentation peut être combinée à celle du fragment du bateau |
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Description de Raffaella Farioli Campanati En formation serrée, armés de lances, les soldats sont revêtus d’un long haubert à mailles de fer en forme d’écaille, aux manches longues. Ils tiennent des boucliers amygdaloïdes (en forme d’amande) ayant la partie supérieure plate. Ces modèles sont très répandus à la fin du XIIème siècle. A la place du heaume, les guerriers portent en couvre-chef, le camail, partie intégrante du haubert. Cette protection est caractéristique des armures islamiques utilisées dans les zones en contact avec le monde oriental. Comme on peut le constater d’après la partie de bouclier derrière son dos, le Croisé a au moins un soldat qui le suit - cette scène devait probablement être constituée de façon analogue à celle de l'autre guerrier- Le soldat est revêtu de l’armure habituelle des Croisés, un long haubert à mailles de fer en forme d’écaille, un camail et des chausses à mailles de fer, un bouclier en amande aplati en haut et décoré de bandes obliques. La nouvelle lecture de Nurith Kenaan-KedarDans le premier registre, j’inclus les soldats partant pour la guerre et un autre panneau montrant deux soldats au combat.
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Description de Raffaella Farioli CampanatiEpisode de la IVème Croisade. La Prise de Constantinople Le 15 novembre 1202, les Vénitiens ayant à leur tête le doge Enrico Dandolo, lui-même, saccagent la Cité comme l’indique la didascalie (note explicative) “ IADRA AD….CEDEM ” qui revient de nouveau à la République de Venise. La composition est analogue à celle de la prise de Constantinople. La nouvelle lecture de Nurith Kenaan-Kedar La bataille de Zara et la bataille de Constantinople figurent les croisés qui capturent et tuent des prisonniers.
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Description de Raffaella Farioli CampanatiJeune fille faisant don d’une rose à son bien-aimé. Il est délicat de donner une interprétation de ce fragment, une frise sans doute qui montre de face, une figure féminine au regard étonné. Elle tient d’une main un rameau et de l’autre un objet rond suspendu peut-être à unebranche. Les traces d’inscription ne sont pas suffisantes pour définir le sujet représenté. Il pourrait s’agir sans doute d’un thème biblique évoquant la légende d’Eve et de l’arbre de la connaissance qui circulait au XII ème siècle et qui conte comment Eve en voulant cueillir le fruit défendu détacha aussi la branche. Après avoir été chassée du Paradis, et s’apercevant qu’elle tient encore la branche, Eve la plante en terre. La branche s’enracine et devient un arbre blanc comme neige. Sous cet arbre Caïn tue Abel. L’arbre prend alors la couleur rouge du sang.La nouvelle lecture de Nurith Kenaan-Kedar La femme remettant une fleur à l’homme. Cette fois
elle se situe à gauche sur le panneau et lui à droite. Le récit commence de
son côté à elle. Ceci est l’histoire d’une Odyssée médiévale : un homme
parti en croisade et de retour chez lui sain et sauf.
La scène de la femme tenant la branche d’arbre – communément symbole de foi
et de vie éternelle. Elle semble être celle qui a commandé la mosaïque en
l’honneur de son mari. Cette hypothèse est aussi confirmée par la date de la
mosaïque: 1213. Si le chevalier était de retour en 1204-1205 pourquoi alors
la mosaïque avait-elle été offerte en 1213? Il est plus probable que le
pavement fut donné par sa femme après sa mort en sa mémoire. Par conséquent,
la scène de l’arbre déraciné pourrait suggérer cet événement. |
La nouvelle lecture de Nurith Kenaan-Kedar |
Description de Raffaella Farioli Campanati |
La vache Dans un identique encadrement se détache, de profil, une vache au pelage de deux couleurs. Elle se dirige lentement vers la gauche.
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Le cerf Ce quadrupède est également représenté de profil, tourné vers la gauche, la tête légèrement baissée; peut-être se prépare-t-il à brouter ou boire. Le caractère paisible de l’animal que le Physiologus cite en se référant au Psaume 41.2 (Sicut cervus desiderat ad fontes acquarum ita anima mea ad Te, Deus) est clairement visible. Animal providentiel, positif vainqueur du diabolique serpent. |
Deux poissons Des poissons disposés parallèlement et horizontalement se dirigent vers la gauche. Celui du haut a une apparence plus raide que son suivant. L’encadrement répète les détails vus auparavant.
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La licorne Tournée vers la droite, la licorne, de profil, se détache du panneau, à l’intérieur d’un cadre végétal à sarments de vigne sinueux et à coeurs qui se répètent. Le Physiologus la décrit comme un quadrupède semblable à un chevreau mais doté d’une unique corne sur le front et d’une force extraordinaire, si bien que les chasseurs ne réussissent pas à la capturer. Elle s’approche seule d’une vierge qui l’accueille contre son sein et la porte au Palais du roi. La licorne est le symbole du Christ, la Vierge, le symbole de Marie. Une représentation en partie détruite, où figure la Vierge en compagnie d’une licorne, apparaît entre autres à Piacenza (crypte de St. Savino) à Cremona, à St. Benedetto Po et sur une partie de la mosaïque dans la cathédrale de Pesaro; l’inscription suivante la complète: “Pulcrapuella venit et mulcet comu unicornu”. |
Fragment décoratif A l’intérieur d’une bordure libre, à sarments de vigne sinueux se détachent des fleurons stylisés à huit éléments nuancés en fonction des zones chromatiques dans les éléments les constituant. Ce fragment est défini par huit côtés concaves reliés par des motifs liliaux qui rappellent les éléments à palmettes déjà répertoriés dans la mosaïque ravennate.
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Fleur Ce fragment entouré comme le précédent présente une décoration géométrique formée de huit secteurs circulaires mis en valeur par des couleurs contrastées.
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La nouvelle lecture de Nurith Kenaan-Kedar Les animaux et créatures situés sur le registre inférieur et symbolisant les vices sont les suivants: un tigre, un griffon, une harpie, une sirène et un renard. Ces animaux incarnent le diable sous ses différentes apparitions mais aussi la séduction, la colère et la vanité. De plus, deux fables représentent également le vice: la fable du renard et la fable de l’oie. Il est admis que ces animaux et bêtes légendaires sont représentés dans le Physiologus mais ils ont également été cités pour une même interprétation dans des sermons, des hymnes et autres écrits des 12ème et 13ème siècles. |
Description de Raffaella Farioli Campanati |
Conclusion de Nurith Kenaan-Kedar
La reconstitution de la mosaïque avec deux registres d’animaux symbolisant vice et vertu rappelle la structure de la tapisserie de Bayeux où la narration intérieure est entourée de représentations d’animaux et de fables mais elle rappelle aussi d’autres pavements de mosaïque du 12ème siècle. La mosaïque est de style linéaire et sa palette de couleurs limitée. Les contours marqués créent cependant une narration vigoureuse et réaliste avec l’impression de rendre compte d’événements majeurs. Il faut ajouter que le langage artistique, qui consiste à représenter les gestes des hommes, leurs costumes et leurs expressions, est manifeste et utilise la place et les postures des personnages à l’intérieur de la composition comme des codes clairs pour transmettre ses messages. Ce langage artistique était l’hypothèse selon laquelle cet ensemble est une commémoration personnelle accomplissant peut-être un voeu fait par le donateur étant lui-même le protagoniste ou bien par sa femme qui le donna peut-être après sa mort en 1213 à l’époque de l’Abbé Guglielmo. Cette hypothèse sera étudiée plus en détail dans un avenir proche mais, même si certains détails peuvent faire l’objet de réajustements, nous espérons que notre perception des représentations médiévales en tant que compositions conceptuelles, et non seulement comme des panneaux isolés, ainsi que notre perception du langage artistique précis et expressif, ouvriront de nouvelles voies aux recherches futures. |
Photos : copyright JF.Bradu et F.Virot
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