Si la civilisation
égyptienne a pu se maintenir sur une si longue durée, elle le doit à une
organisation efficace de son gouvernement et de sa société. L'Egypte antique
est une monarchie absolue de droit divin, tous les pouvoirs sont détenus par
un seul homme : le pharaon qui détient lui-même son pouvoir de Dieu. Toutefois, le
roi ne peut rien faire tout seul et ce sont tous les Egyptiens, quel que
soit leur rang dans la société, qui ont contribué à faire de l'Egypte
antique la première grande civilisation.
Une société hiérarchisée, de type pyramidal
La société égyptienne est très hiérarchisée : chacun doit obéissance
à son supérieur immédiat. Même le pharaon doit rendre des comptes à son
supérieur immédiat : Dieu.
On a l'habitude de dire, avec raison, que la société égyptienne est de
type pyramidal : cela signifie qu'à la base de la hiérarchie (de la
pyramide) se trouve un grand nombre de personnes (le peuple) et à mesure que
l'on se rapproche du haut, le nombre diminue (au sommet on trouve un seul
homme : le pharaon).
En Egypte, il n'y a pas véritablement de classe moyenne, on peut diviser la
société en deux grands groupes de taille inégale : les privilégiés
(les puissants, les riches) et les démunis, le peuple qui représente
plus de 90% de la population.
1. Les privilégiés
(moins de 10% de la population)
- Le pharaon :
tenant son mandat de
Dieu, cela justifie que le pharaon cumule tous les pouvoirs et que son autorité
politique et religieuse soient illimitées. De plus, le roi est le propriétaire
exclusif de toute l'Egypte : de la terre, du sous-sol, des eaux, des hommes,
des animaux. En contrepartie, il est responsable de la bonne marche du pays
et du bien être de son peuple en redistribuant les richesses.
Mais dans un pays aussi vaste et aussi étiré du nord au sud, le roi ne peut
assumer toutes les fonctions politiques et religieuses seul. Pour cela, il
dispose d'une administration nombreuse à qui il délègue une grande partie de
son pouvoir. Cette administration est sous la responsabilité
d'une sorte de premier
ministre : le vizir.
En savoir plus sur le pharaon.
- Le
vizir est responsable
seulement devant le roi. En théorie, il se définit par celui "qui est la
volonté du maître, les oreilles et les yeux du roi".
"la volonté du maître" : le vizir est l'exécutif
des décrets royaux, le pharaon décide et le vizir, à l'aide de son
administration, fait appliquer les décisions royales.
"les oreilles et les yeux du roi" : le vizir
reçoit les informations de tout le pays et en fait état régulièrement au
pharaon. Bien informé, le roi est donc en situation de prendre rapidement
les décisions nécessaires. Mais on ne peut douter que le vizir, dans ce
cadre, donne aussi son avis et conseille le roi pour prendre les bonnes
décisions. En général, il y a deux vizirs, l'un pour la Haute-Egypte,
l'autre pour la Basse-Egypte.
Le vizir ne se contente pas d'informer le pharaon et de faire exécuter ses
décisions, il cumule toutes les fonctions administratives, fiscales,
agricoles et même législatives.
Pour assumer toutes ces tâches le vizir dispose de services spéciaux
comparables à des ministères qui, pour fonctionner, emploient une foule de
scribes qui exécutent les ordres de leurs supérieurs.
En savoir plus sur le vizir.
- Les scribes : ce sont ceux qui savent lire, écrire et compter, ils
forment la grande masse de l'administration sous l'autorité du vizir. Ce
sont des fonctionnaires : ils sont recrutés et payés par l'Etat.
Ils interviennent à tous
les niveaux de la société : du contrôleur des équipes de moissonneurs au
bureaucrate de l'administration centrale du palais. Les scribes peuvent
exercer aussi des charges cléricales et militaires. Ainsi, les scribes
assument, par délégation du roi, le pouvoir dans tous les domaines :
économiques, politiques, militaires et religieux. Le monde des scribes est
fortement hiérarchisé, tous obéissent au scribe suprême : le
vizir.
Les scribes sont bien considérés, ils ont un bon salaire et considèrent
qu'ils exercent le meilleur des métiers.
Lecture : "Heureux est un scribe apte à
ses fonctions ! Il y a peu de fonctions où l'on n'ait pas un supérieur,
excepté celle de scribe : c'est lui qui commande... Le scribe arrive à
siéger parmi les membres des assemblées (conseils d'administration des
villes et villages). Aucun scribe ne manque de manger les victuailles de
la maison du roi." (D'après la « Satire des
métiers ». |
En savoir plus sur les
scribes
- Les gouverneurs (nomarques) : à
côté du gouvernement centralisé, il existe un pouvoir local.
L'Egypte est divisée en deux grandes circonscriptions : la Haute-Egypte
(capitale : Thèbes) et la Basse-Egypte (capitale : Memphis).
Chacune de ces deux grandes circonscriptions est divisée à son tour en
provinces que l'on appelle traditionnellement "nomes" (22 pour la
Haute-Egypte, 20 pour la Basse-Egypte). Chaque nome est dirigé par un
gouverneur nommé par le vizir et siégeant dans la ville principale. Les
gouverneurs exercent un pouvoir local réel, ils possèdent des terres, sont
riches et font partie de la classe dominante.
- Les prêtres :
ils font partie également de la classe dirigeante, ils vivent dans des
temples au service du culte d'un dieu. Les temples bénéficient de la
générosité du pharaon et reçoivent des dons, ils possèdent de nombreuses
terres (1/7ème du pays). Grâce à sa richesse, le clergé a beaucoup de
pouvoir et certains temples, le temple d'Amon à Thèbes par exemple, peuvent
intervenir dans la vie politique et même s'opposer au roi en créant un Etat
dans l'Etat.
En savoir plus sur le temple
2. Le peuple (plus de
90% de la population)
- Les soldats
: L'Egypte est plus un peuple de paysans que de guerriers et le métier
de soldat n'est pas très populaire. Il semble qu'il n'y ait eu une armée
permanente et de métier qu'à partir du Nouvel Empire. Le métier de soldat
procurait certains avantages : attributions de parcelles de terrains
exemptées d'impôts, distributions de vivres... et possibilité d'ascension
sociale. Les officiers sont recrutés parmi les privilégiés et ne font pas
partie du peuple.
Lecture : Ramsès II fait des reproches à ses soldats et leur
rappelle les avantages dont ils jouissent : « Cependant, il n'en est
pas un seul parmi vous à qui je n'aie fait un bon sort dans ma terre...
Je vous ai fait devenir des grands par les subsistances chaque jour.
J'ai placé le fils sur le bien de son père. Tout ce qui peut être
fâcheux dans le pays vous est épargné ; je vous ai déchargés de vos
impôts et je vous ai donné d'autres choses qui vous avaient été
enlevées... » |
Cependant, par manque
de volontaires, à partir de la XVIIIème dynastie on commence à recruter des
étrangers dans l'armée. Il faut dire que la vie du soldat n'est pas toujours
facile :
Lecture :
Oh, qu'est-ce donc que tu dis : « Le sort
du soldat est meilleur que celui du scribe
» ? Viens, que je te conte ce qui
arrive au soldat accablé de tourments : On l'amène tout enfant... et on
l'enferme dans une caserne (?) Un coup douloureux (?) lui
est donné sur le ventre, un coup lui fend les sourcils, et sa tête est
fendue par une blessure. On l'étend et on le bat comme un papyrus
(?), il est brisé par le bâton. Viens, que je te conte son voyage en
Syrie, sa marche en montagne. Son pain et son eau il les porte sur
l'épaule, comme le faix d'un âne ; ils raidissent sa nuque comme celle
d'un âne. Les vertèbres de son dos se courbent, et il boit de l'eau
pourrie... Arrive-t-il devant l'ennemi ? il est comme un oiseau
captif (?), dans les membres duquel il n'y a plus la moindre force.
Revient-il en Egypte ? il est comme du bois que le ver ronge. Il est
malade et doit se coucher, on l'apporte sur l'âne, tandis que
l'on vole ses vêtements et que son serviteur s'enfuit. (C'est pourquoi),
ô scribe Ennene, change ta manière de voir à cause du dicton : «
Le sort du scribe est meilleur que celui du soldat. »
(D'après la « Satire des métiers ».) |
- Les artisans :
Lecture : "J'ai vu le forgeron à ses œuvres, à la gueule
de son fourneau ; il a les doigts comme de la peau de crocodile et sent
plus mauvais que du frai de poissons. Les artisans de toute sorte qui
manient le ciseau peinent plus que le paysan ; leur champ, c'est le bois
; leur hoyau, c'est le ciseau ; même la nuit, ils sont pris et
travaillent en plus de ce qu'ils ont travaillé pendant le jour; même la
nuit, leur maison est éclairée et ils veillent. Le tailleur de pierres
cherche de l'ouvrage en toute espèce de pierre dure : quand il a fini
d'exécuter ses commandes et que ses mains sont lasses, repose-t-il? Il
faut qu'il soit au chantier dès le lever du soleil. Le barbier rase
jusque dans la nuit : il va de rue en rue, quêtant ses pratiques ; il se
rompt les bras pour emplir son ventre, comme l'abeille qui mange le miel
qu'elle fabrique. Le batelier qui transporte ses marchandises jusqu'au
delta... travaille au-delà de ses forces : les moustiques le tuent. Le
laboureur, ses règlements de compte durent jusqu'à l'éternité... Le
courrier, partant pour les pays étrangers, lègue ses biens à ses enfants
par crainte des lions et des Asiatiques... Le teinturier, ses doigts
puent l'odeur des poissons pourris, ses yeux sont battus de fatigue...
Le cordonnier est très misérable et se plaint éternellement ; sa santé
est celle d'un poisson crevé et il n'a à ronger que son cuir".
(D'après la « Satire des métiers ».) |
Les artisans font partie
du peuple misérable comme en témoigne le texte ci-dessus. Ils sont la
plupart du temps employés par l'Etat pour travailler dans les ateliers du
pharaon, dans les temples ou construire les tombes royales et celles des
grands dignitaires (voir Deir el-Médineh). Toutefois, leur condition peut
varier en fonction de leur métier et de celui qui les emploie. Les plus
défavorisés sont ceux qui travaillent dans les mines de l'Etat (en Nubie par
exemple). Les mieux traités semblent les artisans qui, au Nouvel Empire,
travaillent dans la Vallée des Rois. Ils ont droit à des jours de congé,
s'absentent du travail assez souvent et font même grève quand leurs salaires
ne sont pas payés en temps voulu. Ils ont aussi le privilège de construire
leurs propres tombes d'éternité.

Les artisans au travail
(cliquez pour agrandir et pour avoir des détails)
- Les commerçants :
Le commerce local se fait sous la forme d'échanges (le troc). Cependant,
à partir du Nouvel Empire, pour favoriser les transactions, les Egyptiens
introduisent le deben, une mesure de poids étalon équivalent à 90 grammes
d'or, d'argent ou de cuivre (un boeuf valait 120 deben de cuivre). Le
commerçant peut agir pour son propre compte ou pour une grande institution.
Les temples confient à des marchands de vendre certaines denrées à d'autres
établissement du pays parfois très éloignés. Dans ce cas, le
commerçant est un simple employé et ne travaille pas pour son propre
enrichissement.
La position du petit commerçant a pu varier selon les époques mais il
demeure toujours dans la classe des défavorisés.
Le commerce international est un monopole d'Etat. Seul le pharaon peut
organiser des expéditions pour se procurer à l'étranger des matières
premières et des produits rares : cèdre, ébène, ivoire, encens, plumes
d'Autruche...
- Les
paysans (les
fellahs) :
Les paysans représentent la grande masse de la population égyptienne,
environ 90%. Ce sont aussi les Egyptiens qui se trouvent en bas de la
pyramide. Sous l'Ancien Empire, les paysans ne possèdent pas leurs terres,
ils doivent payer de lourds impôts aux propriétaires (pharaon, temples,
gouverneurs...), sont astreints à la corvée et doivent entretenir les
messagers royaux. Le principal impôt est en nature, il représente au moins
la moitié de la récolte ; d'autres impôts s'appliquent sur les pâturages (l'ennomion),
le seizième des produits des vergers et des vignobles (l'apomoira),
l'entretien des digues (le chômatiken).
Ils vivent misérablement dans des huttes en boue séchée.
Un conseil de village s'occupe des affaires courantes, l'administration du
pharaon intervient seulement pour la perception des impôts et pour tout ce
qui concerne la crue.
A partir de la Vème dynastie, des villes libres sont créées, des chartes
d'immunité apportent une certaine autonomie au paysan qui travaille sur des
terres libérées. A la fin de l'Ancien Empire, les paysans sont affranchis,
les terres, divisées en lots, sont confiées aux familles.
Lecture : "Ne t'es-tu pas, en effet, représenté la
condition du cultivateur?... Les sauterelles s'abattent, les bestiaux
dévorent, les oisillons pillent... l'attelage se tue à tirer la charrue.
Le scribe de la douane est sur le quai à recueillir la dîme des moissons
; les gardiens des portes avec leurs bâtons, les nègres avec leurs
lattes de palmier (crient) : « Ça, des grains ! » S'il n'y en a pas, ils
le jettent à terre tout de son long ; lié, traîné au canal, il y est
plongé la tête la première. Tandis que sa femme est enchaînée devant lui
et que ses enfants sont garrottés, ses voisins les abandonnent et se
sauvent pour veiller à leurs récoltes." (D'après la « Satire
des
métiers ».) |
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Les "esclaves" ou les
"dépendants"? :
La plupart des sociétés
antiques ont connu l'esclavage. Hérodote, les récits bibliques, les péplum
nous ont montré une Egypte esclavagiste. Cette vision n'a plus cours
aujourd'hui. Certains nient totalement l'esclavage en Egypte antique,
d'autres prétendent qu'il n'a existé qu'à partir des Ptolémées, c'est-à-dire
à partir de la domination gréco-romaine (ce qui dédouane les Egyptiens
eux-mêmes de la responsabilité de l'esclavage).
Toutefois, il est certain qu'à partir du Nouvel Empire un grand nombre de
prisonniers, suite aux guerres (celles de Ramsès II par exemple) arrivent en
Egypte. Ils ont été capturés en Nubie, en Libye, et en Syrie-Palestine lors
des campagnes militaires ou ont été livrés en butin. Le problème est de
savoir si ces prisonniers sont véritablement des esclaves. Juridiquement, il
n'y a aucun texte de loi qui définisse un quelconque statut d'esclave en
Egypte ancienne. Ces hommes qu'on peut nommer des "dépendants" pouvaient
appartenir à l'Etat (le plus grand nombre) aux temples (Ramsès III en aurait
donné 113 000 aux temples pendant son règne) et à
des particuliers. La plupart d'entre eux travaillaient
la
terre ou étaient employés dans les mines, les autres étaient ouvriers,
artisans, soldats ou domestiques. Leurs propriétaires étaient libres de les
vendre ou de louer leurs services et de les affranchir.
A la lumière des découvertes récentes, il semblerait que ces hommes qu'on
appelle "esclaves" ne l'étaient pas réellement au sens de l'esclavage connu
dans la Grèce antique et à Rome. Ils semblent jouir des mêmes droits que les
autres Egyptiens,
ils disposent en effet
d'un état civil, de droits familiaux et patrimoniaux
(ils peuvent posséder des biens), ils ont une liberté de déplacement, ils
peuvent témoigner en justice et sont
même fiscalement
responsables. Dans ces conditions, on peut dire que ceux qu'on appelle
"esclaves" avaient un statut proche de celui des paysans et qu'ils n'étaient
pas réellement des esclaves au sens où on l'entend communément. D'ailleurs,
la pratique du système de la corvée, à laquelle était soumise la population
dans sa totalité, permettait l'obtention périodique de journées de travail
au bénéfice de l'État, de l'administration ou des temples, et rendait par là
inutile le recours à l'institution de l'esclavage.
L'utilisation massive des esclaves dans les grands travaux pharaoniques, la
construction des pyramides par exemple, est une notion totalement abandonnée
aujourd'hui.
Ces "dépendants" se fondent souvent dans la population égyptienne par
le
biais du
mariage et peuvent ainsi prétendre à une ascension sociale. Certes, les
"dépendants" envoyés dans
les
mines n'ont pas un sort aussi enviable et ils sont soumis
à
un
travail pénible.
La condition de la femme
:
La femme égyptienne, comme dans toutes les sociétés antiques, a pour rôle de
procréer, d'élever les enfants, de s'occuper du foyer. Toutefois,
contrairement à la femme gréco-romaine, la femme égyptienne est l'égale de
l'homme au regard de la loi. Elle peut avoir son propre patrimoine et le
gérer, elle peut divorcer, se remarier, intenter un procès, faire un
testament. Le mariage n'est pas un acte administratif officiel ou religieux
mais un contrat entre deux personnes. En se mariant, la femme égyptienne
garde son nom, en cas de divorce, elle garde ses biens. Au décès de son
mari, elle garde sa dot et hérite du tiers des biens de l'époux, le reste
revenant aux enfants. La femme peut même accéder à la fonction suprême de
pharaon telle Hatshepsout.
Toutefois, la femme égyptienne exerce rarement les activités
professionnelles des hommes, il y a peu de femmes scribes par exemple et les
métiers des travaux difficiles (agriculture et artisanat) lui sont épargnés.
Travaillant rarement, la femme égyptienne est donc le plus souvent
dépendante de son mari sur le plan matériel.
Lecture : Le scribe Ani conseille ainsi le futur époux :
« Si tu es sage, garde ta maison, aime ta femme sans mélange, nourris-la
convenablement, habille-la bien. Caresse-la et remplis ses désirs. Ne
sois pas brutal, tu obtiendras bien plus d'elle par les égards que par
la violence. Si tu la repousses, ton ménage va à vau-l'eau. Ouvre-lui
tes bras, appelle-la ; témoigne-lui ton amour » |
Le grand hymne à Isis
(la déesse « honneur du sexe féminin ») traduit cette égalité de la
femme et de l'homme : « c'est toi la maîtresse de la terre [...] tu as rendu
le pouvoir des femmes égal à celui des hommes ! ».
Christiane Desroches-Noblecourt, écrit : « La place de la femme
dans la société individualiste égyptienne constitue une des plus belles
démonstrations de la modernité de cette civilisation qui a su faire de la
mère, de l'épouse et de la fille, l'objet de la très parfaite égalité dans
la plus logique des différences [...] au temps des pharaons, l'Égyptienne
fut une vraie femme, ni objet ni virago... » |