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M-Th. Chrétin à Nérac | M-Th. Chrétin à Germigny-des-Prés (page I. page II. page III.) | Chronologie | Biographies |
Cette présentation du personnage (hors du commun) M-T Chrétin complète les recherches effectuées sur la mosaïque de Germigny-des-Prés, elle s'appuie sur un article, en anglais, de P. Meyvaert : "Maximilien Théodore Chrétin and the Apse Mosaic at Germigny-des-Prés" publié dans la "Gazette des Beaux-Arts" (Mai-Juin 2001). Pour les références aux documents d'archives (Archives du Patrimoine à Paris, et Archives du Loiret), ainsi qu'aux publications utilisées dans ces pages, vous pouvez vous reporter à cette publication de la "Gazette des Beaux-Arts" (la plupart des notes sont en français). |
Maximilien-Théodore Chrétin à Nérac : une mystification archéologique rocambolesque
Peu se souviennent
aujourd'hui de Maximilien-Théodore Chrétin (parfois écrit
Crestin) qui, en 1835, se fit une renommée
dans le monde archéologique de la France comme auteur des faux de Nérac. Un bon
résumé de cette histoire dans la "Bibliographie générale de l'Agenais" de
Jules Andrieu (1886) mérite d'être cité ici :
"En 1832, des
fouilles archéologiques subventionnées par l'Etat avaient été entreprises dans
la Garenne [l'ancien parc du château]
de Nérac, sous la
direction de M. Lespiault, qui s'adjoignit Chrétin en 1833 pour la surveillance
des opérations. Or, vers la même époque, ce dernier proposa et vendit à la
Société Archéologique de Toulouse plusieurs inscriptions et
bas-reliefs qu'il disait avoir découverts et acquis lui-même. Ces objets
étaient fort intéressants. On y remarquait un médaillon représentant les deux Tétricus [père et fils], Néra et Claude le Gothique... enfin et surtout un
bas-relief où se voyaient les deux Tétricus en un quadrige triomphal aux portes
de Bordeaux."
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Pour sculpter ce faux, Chrétin a dû
s'inspirer du bas-relief qui montre le triomphe de Titus sur l'arc du forum, à
Rome.
Du Mège a sans doute fourni le texte des inscriptions. |
Bas-relief de l'arc de triomphe, à ROME (cliquez sur les photos pour les agrandir) |
Ces monuments
furent examinés et admirés par les archéologues ravis; des dissertations
savantes furent écrites; les épigraphistes nageaient en plein bonheur.
Alexandre
Du Mège s'appliqua surtout à déchiffrer les inscriptions et obtint pour récompense
une médaille d'or décernée par l'Institut, qui voulut, en outre, remercier
Chrétin de sa découverte par une médaille d'argent.
Prosper Mérimée et
Vitet,
inspecteurs des monuments historiques, exprimèrent leur admiration;
Jouannet, de
Bordeaux, le marquis de Castellane, président de la Société Archéologique du
Midi, bien d'autres encore étaient dans l'enthousiasme.
De prime abord, il sembla qu'une nouvelle page
allait pouvoir être ajoutée à l'histoire de la Gaule romaine. Mais bientôt des
doutes s'élevèrent, surtout de la part d'épigraphistes et d'historiens
respectables. Les inscriptions contenaient nombre d'éléments insolites
qui trahissaient une méconnaissance profonde de l'histoire de cette
période ainsi que de l'épigraphie romaine: au lieu de S.P.Q.R. (Senatus
populusque romanus) on rencontrait plusieurs fois S.P.R.GQ. (soi-disant pour
Senatus populus romanus gallicusque), formule inconnue
dans l'épigraphie romaine authentique.
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Il ne fallut pas longtemps avant que le monde savant reconnût une mystification ou une supercherie. Ainsi Prosper Mérimée, Inspecteur général des monuments historiques (depuis 1834), qui avait d'abord soutenu l'authenticité des pièces, écrivait à Léonce de la Vergne dans une lettre du 29 juillet 1835 :
"Votre lettre m'est arrivée, hélas! un peu tard. "Mon siège était fait", et
Tetricus venait de recevoir de moi son certificat d'authenticité imprimé lorsque
votre enquête a tout gâté. Quand on veut vivre et mourir antiquaire, il faut de
la philosophie et prendre son parti gaiement lorsqu'on a
été mystifié. Pourtant dans toute cette affaire, il y a quelque chose
d'inexplicable. Je ne puis me lasser de me demander cui bono, et quels ont pu
être les moyens d'exécution du faussaire quel qu'il soit. Je m'y perds.
Vitet, à qui j'ai conté ma déconvenue, je pourrais dire
"notre", car lui aussi croyait à l'antiquité, non seulement des bas-reliefs,
mais aussi des inscriptions, Vitet persiste... Entre vingt-cinq solutions plus
ou moins saugrenues qui me sont venues à la tête depuis votre lettre, je me suis
arrêté à cette hypothèse que Crétin [sic] et peut-être votre collègue de La Haye
[Alexandre
du Mège]
avaient trouvé un antique, qu'ils en avaient fait faire une copie, qu'ils
avaient vendue, se réservant de vendre l'original plus tard, histoire de faire
de doubles profits."
Si Mérimée avait attendu encore quelques semaines, il aurait appris de quoi résoudre tous ses doutes. Car tandis que le monde des érudits se ralliait peu à peu à la thèse du faux, la ville de Nérac, se croyant illégitimement privée d'antiquités romaines provenant d'une fouille entreprise sur son territoire, institua un procès contre Théodore Chrétin pour récupérer les pièces "volées". Un récit contemporain nous laisse entrevoir le vif intérêt pris dans cette affaire :
"Le jour de la justice arrive, M. Chrétin, en veste de toile, en barbe à la jeune France, s'assied près de son avocat et déclare qu'il est l'auteur des monuments. C'est un homme petit, à cheveux blonds grisonnant, il annonce avoir 34 ans, il porte en sautoir un large ruban noir moiré auquel pendent les médailles que lui ont décernées l'Académie de Bordeaux et la Société Archéologique de Toulouse. Il dit que l'Institut de France, à cause de son adresse, va lui en décerner une autre. On est accouru d'Agen, de Toulouse, d'Auch, de trente lieues à la ronde, pour assister au procès. MM. le marquis de Castellane, du Mège et Jouannet [tous des érudits] déclarent ne rien savoir des spoliations dont se plaint la ville, et ils s'élèvent seulement contre les faussetés dont on a voulu surcharger l'histoire, mais il n'y a pas de tribunal dont elles soient justiciables".
Très conscient que les preuves qu'il était un faussaire allaient être présentées au tribunal -ceux, par exemple, qui lui avaient fourni le marbre pour les bas-reliefs allaient témoigner- mais aussi conscient que ces mêmes preuves l'absoudraient de l'accusation d'avoir volé les biens de la ville, Chrétin décida de profiter de son moment de gloire en offrant ses services à quiconque aimerait posséder des faux! Il se leva donc de son siège et déclara :
"Malgré les dangers dont j'étais menacé, j'ai constamment persisté dans un système de défense qui tendait à faire considérer comme antiques les inscriptions et bas-reliefs dont il s'agit, jusqu'au moment où, voyant toute la gravité de la position que me faisait l'accusation, j'ai dû changer de système et cesser de persister à suivre une voie si périlleuse pour moi et si contraire à la vérité. Quoique j'eusse déjà donné à penser que c'était moi qui étais l'auteur de ces inscriptions et de ces bas-reliefs, je n'avais pas cependant manifesté positivement l'intention de m'en déclarer l'auteur. Les dépositions de MM. le colonel Dupuy et Vitry m'ont décidé. Je me déclare donc l'auteur des ces inscriptions et bas-reliefs que j'ai vendus comme antiques à la ville de Nérac et au musée de Toulouse, offrant de faire de semblables ouvrages, quand on le voudra, sur quelque sujet que ce soit".
Le tribunal de Nérac, le 30 août 1835, prononça en faveur de Chrétin un acquittement. Ce jugement fut confirmé l'année suivante, le 15 janvier 1836, par la Cour supérieure d'Agen. Il faut noter que notre faussaire ne manquait pas d'un certain esprit d'invention et d'espièglerie. La femme Néra, qui paraît diadémée et voilée sur une des pièces, est inconnue de l'histoire, mais fut sans doute inventée pour plaire à la ville de Nérac. L'utilisation de M. T. C. N. D. P. dans une inscription avait causé des difficultés quasi insurmontables aux épigraphistes, jusqu'au moment où Me Castaing, le défenseur de Chrétin, expliqua au tribunal (pour prouver que son client était bien l'auteur des inscriptions), que ces lettres ne signifiaient autre que "Maximilien-Théodore Chrétin, Natif De Paris".
Les informations que nous avons sur la vie de ce curieux personnage sont assez maigres et fort difficiles à contrôler. Citons le résumé de sa carrière tel qu'il parait dans le récit de 1835, source des deux derniers passages cités ci-dessus :
"Cet artiste est né à Paris vers 1797, élève de Guérin pour la peinture, et de Simon Pradier pour la gravure, tour à tour matelot, papetier, caporal des fédérés, dragon, professeur de dessin au collège d'Auch, il a, dit-il, sauvé le modèle de la statue de Henri IV exposé sur le Pont-Neuf. Il a peint ensuite des tableaux d'église et des portraits, et est parvenu à former des collections remarquables de livres, de gravures et de médailles. Il se dit maintenant filleul de Robespierre, peintre, sculpteur, architecte et archéologue".
Notons au moins l'absence de "mosaïste" dans la description que Chrétin fournissait de ses talents à cette période de sa vie. Jean-François Samazeuilh, historien et archéologue de Nérac, qui avait personnellement connu Chrétin, donne un récit assez pittoresque des conditions qui amenèrent le jeune professeur de dessin d'Auch à Nérac :
[Après Auch] "on trouve Chrétin parcourant le pays, avec une troupe de comédiens ambulants, jouant lui-même la comédie et peignant des grossiers décors. C'est ainsi qu'il vint à Nérac où, sans quitter ses camarades, il fut chargé, par M. Dutilh, des peintures d'une salle de spectacle. A la mort d'une dame Longpré, vieille comédienne qui l'avait retenu dans cette troupe, le sieur Chrétin finit par se marier [à une demoiselle Lalard, de la ville] et s'établir à Nérac. Lors de son établissement à Nérac, ce n'était ni un sculpteur ni un archéologue. Ses discussions avec MM. du Mège et Jouannet lui ayant fait sentir la nécessité d'étudier l'antiquité, il se procura quelques livres spéciaux, et il devint quelque peu archéologue".
Quant à la suite de l'histoire de Chrétin, après l'épisode de Nérac, ce qu'on peut recueillir des bibliographies reste fort maigre et sans indications de sources nouvelles. Jules Andrieu dans sa notice de 1886 conclut :
"Après l'algarade de Nérac,
Chrétin s'établit je crois, pour quelque temps à Agen, d'où
il partit vers 1838
(?). Il travailla comme sculpteur en divers lieux, à
Toulouse, Bordeaux, Laon et Paris, et finit, dit-on, dans une échoppe
de brocanteur. Samazeuilh affirme quelque part que ce nomade figurait en 1848
derrière une barricade parisienne..."
[Il serait mort à Paris vers 1872].
En 2003, le musée Saint-Raymond, à Toulouse, a exposé les faux de Chrétin
dans le cadre des journées du
Patrimoine : voir les détails ici
En savoir plus sur les faux de Chrétin et les fouilles à Nérac
Mais nous retrouvons la trace de Chrétin à Germigny-des-Prés, en 1847, où, à nouveau il ne résistera pas à mettre en valeur ses talents de faussaire.
Suite (Chrétin à Germigny-des-Prés : I)
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