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Suite de Chrétin à Germigny (III : la mosaïque échappe de justesse à la destruction) |
M-Th. Chrétin à Germigny-des-Prés
: les fausses inscriptions
II.
Chrétin
à l'œuvre
:
il découvre une véritable inscription de Théodulf sur la mosaïque mais ne
résiste pas à sculpter, à nouveau, de fausses inscriptions.
Théodore Chrétin, ambitieux et fier de sa position
officielle, curieux aussi, sans doute, de voir cette mosaïque de
Germigny-des-Prés qu'il ne connaissait pas, arriva à sa destination avec son
ouvrier, Mr Ceracqui, le 15 janvier 1847. Sa tâche, comme Delton l'avait expliqué, était d'enlever une mince couche de
plâtre qui couvrait toute la surface de la mosaïque, et au fur et à mesure de
son enlèvement, de nettoyer, laver et de reconsolider les quelques petits cubes
qui n'avaient plus d'adhérence avec la voûte. Nous avons
vu Mérimée expliquer dans un passage cité plus haut, que quand la colle forte
n'avait pas voulu prendre sur les cubes on avait eu recours à une couche de
plâtre pour soutenir la mosaïque sur des cintres de
bois. Cette couche de plâtre restait toujours et la tâche principale de Chrétin était de l'enlever. En
commençant son travail sur l'échafaudage avec son ouvrier,
Chrétin ne pouvait
soupçonner qu'une belle surprise l'attendait.
Il eut assez vite le bonheur de mettre à jour, sous
"un
revêtement de mortier qui y faisait bourrelet"
des lettres et fragments de lettres qui
montraient qu'une inscription s'étalait tout au long du mur, en dessous de la
mosaïque. Chrétin, en effet, venait de
découvrir ce qui restait de
l'inscription originale de Théodulf. "Inscription
dont je réclame hautement la découverte" écrira-t-il quelques semaines plus
tard, "car avant moi, personne depuis qu'on s'occupe de cette mosaïque n'avait soupçonné son existence, ni n'en avait parlé, puisqu'on
la prenait pour une espèce d'ornement." Il est
vrai, en effet, qu'aucun de ceux qui décrivirent la mosaïque dans les années
1840-1846 ne font allusion aux vers de Théodulf. Il fallut la découverte de Chrétin pour qu'on se mît sans retard
sur la piste de sources écrites, comme "l'Histoire de Dom Chazal et Miscellanea"
de Baluze, pour découvrir à nouveau le texte intégral de Théodulf.
Jules Dumon,
le curé de Germigny, avait prêté à Chrétin, sans doute peu de temps après son
arrivée, le "Mémoire sur Germigny-des-Prés et sur la mosaïque remarquable de son
église" rédigé par Charles François Vergnaud-Romagnesi, archéologue d' Orléans,
et publié en 1841, donc avant le commencement
des travaux récents sur la mosaïque.
La représentation de la mosaïque dans le mémoire de Vergnaud-Romagnesi
(1841)
Cliquez sur la mosaïque pour l'agrandir
Ce mémoire ne mentionnait pas l'inscription de la mosaïque mais faisait allusion à une autre inscription qui se trouvait "sur le tailloir nord du premier pilier du clocher, vers le sanctuaire" et où on lisait : III : NO : IAN : DEDICATIO : HUIUS : ÆCCLESIÆ
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Cette
inscription, avec le jour de la dédicace (le 3 janvier),
était incomplète, il y manquait l'année,
mais nous savons par Guilhermy que des mots
"spiritus sanctus anno 806"
-qu'il croyait d'époque assez moderne- se trouvaient
quelque part dans l'abside. Albert Dumon, le curé de Germigny, avait
probablement répété à Chrétin ce qu'il écrivait quelques semaines plus tard à
Vergnaud-Romagnesi, à savoir, qu'il avait "entendu dire plusieurs fois par une
personne bien informée de ce qui s'est passée à Germigny, que la date 806 qui se
lit en chiffres arabes au-dessus de l'abside, avait été substituée à la
véritable date effacée et cachée sous le badigeon." Une
idée brillante vint à la pensée de notre faussaire de Nérac. Il venait de
découvrir l'inscription de Théodulf, cachée sous une couche de mortier et de
badigeon. Pourquoi ne pas découvrir, en même temps, l'inscription "originale" de
806! Il décida donc de créer cette inscription perdue. Sa présence
"officielle" dans l'église ne pouvait élever aucun soupçon, et il dut vite observer quelles
étaient les heures les plus propices pour travailler tranquillement dans
l'église, sans être dérangé et pendant que son ouvrier continuait le nettoyage
de la mosaïque.
Chrétin étudia
avec soin la forme des lettres de l'inscription donnant le jour de la dédicace
de l'église, et puis, utilisant des lettres semblables, composa un nouveau texte
pour inclure la date de 806 et pour faire croire que les deux inscriptions
ensemble formaient une phrase unique : ANNO : INCARNATIONIS : DOMINI : DCCC : ET
VI : SUB : INVOCATIONE : SCAE : GINEVRAE : ET : SCTI : GERMINI: [III : NO :
IAN : DEDICATIO : HUIUS :
ÆCCLESIÆ
]. Puisque l'espace pour insérer les
nouveaux mots manquait sur le pilier de la dédicace (pilier
connu depuis longtemps), il décida de les
ciseler sur le pilier voisin. On peut donc l'imaginer délaissant son travail sur
la mosaïque pour monter sur une échelle et graver sa composition sur les
tailloirs (côtés nord et ouest) de ce pilier. "Nouvelle inscription," dont il
aura bientôt ensuite le plaisir d'annoncer la découverte de dessous une couche
épaisse de badigeon.
L'emplacement des deux piliers |
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Les faux de Nérac, nous l'avons dit plus haut,
montraient son ignorance de l'histoire et de l'épigraphie romaine. Sa fausse
inscription de Germigny montre également son ignorance du Moyen
Age. D'abord la date : la finale
DCCC ET
VI
paraît bizarre et insolite, jusqu'à ce qu'on note que Chrétin avait
déjà
introduit un ET semblable dans la date d'une inscription qu'il rédigea
à Nérac en 1835. Pour conjurer les poursuites il avait eu
l'idée d'inventer une inscription latine pour son propre tombeau qui verserait
le ridicule sur ceux qui le poursuivaient. Quelques jours avant l'ouverture de
son procès il envoya des copies de cette inscription, comme menace aux
commissaires. Son texte concluait avec la date [1835]
A. D. MDCCCXXXV
ET
MART. N. V.
De fait, parmi les premiers doutes qui furent soulevés contre l'authenticité de
l'inscription de Germigny (par Mérimée, Didron et d'autres),
ce fut l'utilisation du millésime pour une inscription soi-disant du début du neuvième siècle. La présence
de ce mot ET était suspecte et indiquait l'ignorance
manifeste de Chrétin au sujet des inscriptions du
Moyen Age.
Le "ET"
fautif de l'inscription de Chrétin à Germigny
Quant à l'histoire, Théodulf avait construit son église de Germigny, en la dédiant, non à Ste Geneviève et à St Germain, mais au St Sauveur. Chrétin, qui ignorait tout cela, fit un choix qui lui parut raisonnable. Il était de Paris et Ste Geneviève, patronne de la ville, était souvent représentée dans l'art contemporain comme bergère, que l'on pense, par exemple, à la peinture de Puvis de Chavannes au Panthéon. Mais cette représentation de la sainte comme bergère ne date que du très Bas Moyen âge, fait que Chrétin ignorait certainement. Il savait peut-être qu'un St Germain (d'Auxerre) figurait dans l'histoire de Ste Geneviève. Puisqu'il était à Germigny-des-PRÉS, quoi de plus logique qu'une Geneviève "patronne des prairies", comme nous le verrons l'expliquer dans une lettre. Nous ignorons ce qui poussa Chrétin à utiliser la forme GINEVR, mais bientôt, comme nous le verrons, Duchalais allait lui fournir un argument pour montrer que cette forme du nom permettait de conclure que l'inscription était l'oeuvre d'artisans italiens. Quant à l'autre nom introduit par Chrétin, GERMINUS, il ignorait que le vocable Germigny, que l'on rencontre à plusieurs endroits, et dont la forme latine la plus ancienne est Germaniacus, n'impliquait aucun lien direct avec St Germain d'Auxerre. Mais pour un homme qui avait inventé la femme Néra pour plaire à la ville de Nérac, le saut de Germigny à un St Germinus devait sembler assez naturel.
Notre "mosaïste" se croyait aussi "statuaire." Les descriptions de Germigny datant de 1841 et 1842 font allusion à un morceau de sculpture, d'environ un mètre de hauteur, encastré dans le mur extérieur de l'église, et qui suggérait la représentation d'un pèlerin, portant une escarcelle au cou. Chrétin, après avoir modifié un peu cette statue avec son ciseau, allait pouvoir annoncer qu'il s'agissait, en fait, d'une femme, qui n'était autre que Ste Geneviève. Ainsi l'inscription du pilier et la statue témoigneraient l'un en faveur de l'autre.
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