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Le voyage à Rome Les chérubins L'Arche vide Le Jourdain

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Conclusion

Notes et compléments Chrétin

Le symbolisme de la mosaïque de Germigny-des-Prés enfin dévoilé
  L’Arche vide (passage complet de la publication, avec les notes)

      Théodulf explique dans de nombreux passages de l’Opus Caroli  le pourquoi des images dans les églises : elles y ont été placées soit en tant qu’élément de décoration, soit pour rappeler des événements passés. Devons-nous interpréter celle de Germigny comme simple memoria rei gestae, rappelant l’Arche construite par Moïse sur ordre de Dieu ? Ou bien faut-il penser qu’il s’agit d’une symbolique dont Théodulf parle dans le Livre I.15 de l’Opus Caroli ? Il y explique que l’Arche proprement dite, selon certains (secundum quosdam), représentait notre « Seigneur et Sauveur » et qu’en ce qui concerne son contenu, la verge en fleurs d’Aaron signifie que le Seigneur est à la fois roi et prêtre, alors que les Tables de la Loi représentent les deux Testaments, et la manne, l’eucharistie. Vue sous cet angle, l’Arche, une image de l’Ancien Testament, fait fonction de préfiguration de ce que le Nouveau Testament devait apporter.

     Cette image comporte cependant un détail qui pose la question : cette interprétation est-elle vraiment suffisante ? Le dessin le plus ancien que nous ayons de la mosaïque de Germigny est une aquarelle de Prosper Mérimée, datant de 1841, peinte au moment où certaines parties de cette mosaïque étaient toujours recouvertes [39]. L’impression qu’elle donne est que la partie supérieure de la surface de l’Arche est couverte par un rideau qui est écarté sur le côté et dont les plis pendent sur l’avant de l’Arche.


Aquarelle de Prosper Mérimée (1841), peinte au moment où certaines parties de la  mosaïque étaient toujours recouvertes de plâtre.

Cette impression est encore plus forte avec le dessin de Théodore Chrétin, qui date de 1847, soit peu de temps après qu’il eut terminé le nettoyage de la mosaïque et enlevé la couche de plâtre dont elle avait été recouverte en 1843/44 au moment de la construction de la nouvelle voûte. Ce dessin est important car il comporte une ligne verticale qui part du coin supérieur droit de l’Arche : celle-ci suggère que nous voyons l’intérieur du coffre, qui semble être vide. C’est ainsi que Vergnaud-Romagnési l’interprète : « Ce coffre (l’Arche) semble ouvert, et un linge paraît en sortir [40]» Si Chrétin avait pu voir d’autres objets dans l’Arche quand il eut fini de nettoyer la surface, il les aurait montrés sur son dessin. La ligne verticale en question a été enlevée lors du remplacement, à une date ultérieure, d’un grand nombre de tesselles d’or de cette partie de la mosaïque, peut-être sous Albert Delton ou Jules Lisch, son successeur au poste d’architecte du gouvernement responsable de Germigny [41]. L’intention de Théodulf était-elle de présenter une Arche vide ? Il est certainement possible de plaider ce point de vue [42].


Cliquez sur le dessin de Chrétin pour l'agrandir


Le dessin de Chrétin (détail) montrant l'arche vide


L'Arche aujourd'hui (cliquez sur la photo pour l'agrandir)

Comme on peut le voir avec d’autres caractéristiques de cette mosaïque, il semble que Théodulf ait principalement voulu créer une sorte particulière d’image symbolique. Dans le tout premier chapitre de l’Opus Caroli (I.1), il cite les paroles de Paul dans sa première lettre aux Corinthiens (13 :1) : « Lorsque ce qui est parfait est arrivé, ce qui est imparfait sera rejeté [43]» Dans le chapitre 19 du Livre I, précédant immédiatement le chapitre 20 d’importance cruciale que nous avons évoqué précédemment, Théodulf écrit, en référence à l’Arche et à son contenu :

"Mais nous qui ne suivons pas la lettre mortifère de la loi (II Corinthiens 3 :6), mais plutôt son esprit vivifiant, nous qui ne sommes pas Israël en chair mais en esprit, qui ne tenons pas compte du visible pour pouvoir contempler l’invisible, nous nous réjouissons d’avoir reçu du Seigneur non seulement des mystères qui surpassent les images (qui sont en elles-mêmes dépourvues de tout mystère), mais des mystères d’une telle ampleur qu’ils surpassent même les Tables de la Loi et les deux chérubins. Car ces Tables et ces deux chérubins ne sont que des exemples de choses à venir ; les Juifs possédaient d’une façon matérielle des choses qui, de par leur symbolique, préfiguraient ouvertement ce qui était à venir. Pour autant que le corps dépasse son ombre, ou la vérité son image, ou les choses réelles leur préfiguration, le Nouveau Testament surpasse l’Ancien [44]."

Dans l’Opus Caroli, Théodulf souligne continuellement le fait que l’Arche d’Alliance était différente des objets faits par l’homme parce qu’elle avait été construite par Moïse sur l’ordre exprès de Dieu, non pas en tant que mémorial de quelque chose de passé, mais comme sainte préfiguration des mystères à venir (ob futurorum mysteriorum sacratissimam praefigurationem) [45]). Présenter l’Arche comme étant vide de son contenu semble mettre l’accent sur l’intervention de Dieu. Les « mystères futurs » symbolisés par le contenu (et surtout la manne) étaient devenus réalité [46]. Les quatre anges semblent tous pointer vers le bas et l’Arche vide, mais comme l’autel se trouve immédiatement en dessous, ils le montrent en même temps du doigt[47]. Ceci implique que l’image qui se trouve dans l’abside de Germigny a été conçue afin d’attirer l’attention de celui qui la regarde sur la réalité de la présence du Christ sur l’autel qui se trouve en dessous. Ce qui avait auparavant servi de préfiguration s’évanouit devant la réalité : « Nos habemus in veritate spiritaliter ea quae exemplaribus... praefigurabantur. » La vérité chrétienne a remplacé ce que pressentait l’Ancien Testament. Il se peut que Théodulf se soit servi de ce moyen pour contrer ce qu’avait déclaré Tarsius, cité précédemment : « Tout comme dans l’Ancien Testament les chérubins couvraient le trône de Dieu de leur ombre, faisons de même en sorte que les images de Notre Seigneur Jésus Christ recouvrent nos autels de son ombre. » A Germigny, le Seigneur Jésus était présent sur l’autel sous la forme de l’eucharistie. Théodulf a placé au-dessus une image de l’Ancien Testament qui en était une préfiguration. En présentant l’Arche vide, Théodulf indiquait que la promesse avait été tenue.

Voir aussi l'importance du voyage à Rome pour l'Arche.

Résumé :
Suivant la tradition patristique, Théodulf interprète l'arche d'Alliance, avec son contenu, comme préfiguration du Nouveau Testament, du Christ, de l'Eucharistie (manne). Le Nouveau Testament ayant maintenant remplacé l'Ancien, le Christ étant maintenant lui-même présent sur l'autel, on pouvait montrer l'arche ouverte et vide de son contenu: la réalité a remplacé l'ancien symbole qui préfigurait cette réalité.

Suite (Le Jourdain)

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