En 1854, le
comte de Laborde*, membre de l'Institut, dans son ouvrage
"Athènes
aux seizième, dix-septième et dix-huitième siècles"
** (vol.
in-8° avec plans et gravures. Paris, chez Jules Renouard) aborde la question des
destructions de l'Acropole lors de l'attaque des Vénitiens conduits par
Morosini. Le sous titre de l'ouvrage est on ne plus évocateur :
"Aux Vandales, mutilateurs, spoliateurs, restaurateurs, de
tous les pays, hommage d'une profonde indignation".
*
LABORDE
Léon, marquis de Léon, Emmanuel, Simon, Joseph (1807 - 1869) :
archéologue et voyageur comme son père
diplomate et amateur d'art, il parcourt une bonne partie de l'Orient, tirant de
l'oubli une foule de monuments antiques de l'Asie Mineure et de la Syrie. Il
explore seul la vallée du Nil et l'Arabie Pétrée. En 1836, il se livre tout
entier à ses goûts artistiques. Il fut secrétaire d'ambassade à Rome aux côtés
de Chateaubriand
(Chateaubriand visitera Athènes en 1811),
député, sénateur, conservateur des antiquités du Louvre et directeur des
Archives de l'Empire.
**
Le comte de Laborde, dans son ouvrage, utilise les rapports des nombreux
voyageurs et savants qui visitèrent Athènes :
Nointel, le père Babin, Spon avec son compagnon Wheler et beaucoup d'autres.
Peu après, le voyage de Wheler, parti pour la Grèce en 1682, et resté ainsi le
dernier voyageur célèbre à qui il a été donné d'admirer dans leur intégrité les
frontons du Parthénon, la guerre se ranime entre Venise et Constantinople.
 |
 |
Plans d'Athènes par Wheler
(extraits de l'ouvrage de Laborde) |
Francesco Morosini, est un Vénitien qui, tout jeune, s'enrôle dans les forces
armées de son pays. Il s'illustre d'abord dans la défense de Candie (capitale de
la Crète) assiégée par les Turcs. Après une résistance de 23 ans, Candie est
finalement abandonnée aux Turcs en 1669 (Venise à perdu 30 000 hommes et les
Turcs 80 000).
En 1683, Venise,
saisit l'occasion offerte de l'entrée en guerre de la Turquie contre l’Autriche
pour se venger des affronts subits en 1669.
Morosini est immédiatement nommé
à la tête de l'armée vénitienne. Au cours des années qui suivent (1683 –
1687), avec une flotte relativement petite et des équipages de qualité moyenne (Voir
ici le recrutement des troupes d'après Laborde), il réussit à monter des
opérations destinées à la reconquête des îles et des forteresses réputées
imprenables. Il remporte plusieurs succès et menace les bases de l'empire
ottoman dans la mer Méditerranée. En 1686, avec son lieutenant Königsmarck, un
suédois entré au service de la République vénitienne, il prend Pylos, Modon,
Argos, Nauplie. En 1687, il reconquiert tout le Péloponnèse, puis il s'empare de
Patras, de Lépante et Corinthe.
Extraits de "Athènes aux seizième,
dix-septième et dix-huitième siècles" par
le
comte de Laborde
(tout le texte en blanc)
1687 BATAILLE DE
PATRAS
(p 114 à 115)
"... Enfin, on
* fut prêt et on
aborda près de Patras, le 23 juillet, pour livrer une bataille qui décida du
sort des dernières villes fortifiées au nord de la Morée. Comme une traînée de
poudre qui s'enflamme, la panique causée par cette mémorable victoire courut sur
toute la côte, dispersa les troupes turques et ouvrit les portes des plus fortes
places. Athènes, hors de portée cependant de si terribles coups, crut prudent de
se mettre en mesure de bien recevoir l'ennemi. Les Turcs ne songeaient qu'à
résister bravement; mais les Grecs, qui formaient la véritable population,
envoyèrent au camp des Vénitiens des délégués porteurs de paroles de paix, de
promesses de soumission et de contributions pécuniaires. Ces ouvertures
pacifiques furent écoutées, mais les travaux de défense entrepris par la
garnison empêchaient d'y donner suite; ces travaux furent déjà une calamité pour
l'art, ils entraînèrent la ruine du charmant temple de la Victoire Aptère, élevé
par les anciens sur une haute terrasse, à droite de l'ancien grand escalier et
en avant des Propylées. Les Turcs savaient par leurs émissaires, ils avaient
appris par les fuyards de la Morée que toutes les places attaquées par les
Vénitiens l'avaient été sous le feu d'une artillerie formidable. Il s'agissait
donc d'opposer, à ces moyens d'attaque, des moyens de défense plus puissants, il
fallait fortifier l'Acropole à son entrée, c'est-à-dire à l'occident, et
puisqu'on ne pouvait abaisser la colline du Musée qui la commande de ce côté,
surélever les murs et dresser une nouvelle batterie capable de doubler celle qui
défendait déjà les Propylées. Le massif sur lequel était construit le temple de
la Victoire fut jugé propre à l'établissement de cette batterie, et on démolit
le monument, dont les matériaux furent employés dans la construction des
nouveaux murs. Ainsi s'explique comment Spon vit ce temple, en 1676, dans un
état parfait de conservation, comment les architectes bavarois Hansen et
Scbaubert le relevèrent en entier sans avoir à regretter un seul bloc de marbre,
sans remarquer sur ses murs ou sur ses colonnes la trace d'un boulet ou d'une
commotion violente, comment enfin fut trouvé intact le magasin qui est placé
sous le temple, et dans lequel la poudre des Turcs était, dit-on, renfermée."
on * :
Le
comte de Laborde rapporte les faits (comme s'il vivait l'événement lui-même)
Après la prise de Corinthe,
Morosini décide de mettre le siège devant Athènes, avant l'hiver.
1687. ON MET A LA VOILE POUR LE PIREE. p 133
"... il fut convenu qu'avant de s'établir dans ces quartiers d'hiver, on
tenterait le siège d'Athènes, à moins qu'en se présentant devant la ville
on n'obtînt une contribution extraordinaire de cinquante à soixante mille réaux.
Sans plus tarder, on donna le signal du départ. Mais au moment où l'on allait se
mettre en marche, on reçut les envoyés d'Athènes. La ville de Périclès sentait
plus lourdement que jamais qu'elle était la ville des Turcs, et dans la crainte
d'être pillée et brûlée par des maîtres irrités, elle envoyait ses vieillards
les plus respectables, ses habitants les plus considérés, porter à Morosini des
offres de concours, des assurances de paix, les propositions les plus soumises
et les plus engageantes.
Le capitan général mit à la voile dans la nuit du 21 septembre. Il avait à son
bord 9 880 hommes de troupes de débarquement et 870 chevaux.
Pour donner le change à l'ennemi, il envoya l'amiral Vernier croiser, avec le
gros de la flotte, dans le détroit de Négrepont. Les Turcs se laissèrent prendre
à cette feinte. Après la prise de Corinthe, saisis de peur et persuadés qu'ils
allaient subir un siège, ils avaient transporté leurs biens dans l'Acropole, en
même temps qu'ils en relevaient les fortifications ; mais depuis lors,
l'inaction de Kœnigsmark, la longue absence de Morosini et ce départ de
l'amiral, cinglant avec une partie de la flotte vers Négrepont, leur avaient
fait croire et espérer qu'on oubliait Athènes. Grand fut donc l'émoi parmi les
Turcs lorsqu'on vit, au matin, la flotte à l'ancre dans le Pirée et l'armée déjà
débarquée sur le sol de l'Attique. Ce fut une hâte, une presse, une confusion
telles que la peur sait les produire. Chacun voulait mettre son avoir à l'abri
de l'ennemi, et courait, dans ce but, le déposer au haut de l'Acropole."
1687. LES TURCS SE RETIRENT DANS L'ACROPOLE. p 135
"Les chefs, au milieu de ce désordre, pensèrent à la défense de la forteresse,
et mirent en réquisition tous les habitants pour porter sur le puissant rocher,
déjà fort par lui-même, ce qu'ils avaient d'armes, de pièces d'artillerie et de
munitions de guerre. Ils voulaient s'assurer une longue résistance, assez longue
en tout cas pour donner au séraskier *, campé à Thèbes, le temps de venir à leur
secours. Aux effets, aux meubles, à tous les ustensiles de la vie privée,
vinrent donc se joindre tous les engins terribles de la guerre; on les entassa
dans les temples, et le Parthénon, considéré à cause de sa parfaite conservation
comme la plus solide casemate, en reçut la majeure partie, c'est-à-dire les
objets les plus précieux et toutes les matières inflammables. La population
grecque, voyant ces préparatifs de défense, était partagée entre le désir de se
débarrasser de ses oppresseurs et la crainte qu'après une lutte malheureuse le
joug déjà si pesant ne devint plus lourd encore. L'hésitation fut de courte
durée. Si l'espérance aveugle les humains, quelles illusions n'a-t-elle pas de
tout temps produites chez les Grecs! Elle les a toujours enivrés. Ceux-ci ne
voient plus que les chances favorables de la guerre et se précipitent au-devant
des chrétiens, leurs libérateurs. Une députation composée de l'archevêque, de
tout son clergé et des principaux habitants descend au Pirée, et vient, comme je
l'ai dit, porter à Morosini des promesses de soumission, de concours même, si,
par un prompt envahissement de la ville, le général vénitien la met à l'abri des
violences de la garnison.
Morosini renonça dès lors à se contenter d'une contribution ; il comprit que
la voie des armes était seule ouverte, et il donna aussitôt l'ordre de lever le
camp et de marcher sur Athènes. Vieux chemin des longs murs, spectateurs
impassibles des grands drames de l'histoire, vous assistez dédaigneusement au
défilé de la petite armée vénitienne. Ne vous y trompez pas. Si elle n'égale pas
en nombre l'armée de Xerxès, elle fera autant parler d'elle ; la première était
venue pour brûler l'Hécatompédon, la seconde va faire sauter le Parthénon. Elles
n'ont rien à s'envier, rien à se reprocher. Suivons la marche de la troupe
vénitienne. C'est d'abord le colonel Raugraf von der Pfalz, à la tête de
l'avant-garde composée de fantassins esclavons et luneburgeois, ainsi que d'un
petit nombre de cavaliers répandus en éclaireurs. C'est ensuite le gros de la
petite armée sous le commandement du général en chef, le comte de Kœnigsmark. Le
premier corps envahit promptement la ville et met sa population à l'abri des
exactions turques ; le second, protégé par une forêt d'oliviers, assoit son
camp, le fortifie contre les attaques du dehors, et procède à l'investissement
de ta forteresse au moyen de postes avancés habilement distribués. Aussitôt ces
dispositions prises, un parlementaire a l'ordre de porter au haut de l'Acropole
une sommation menaçante. Elle est sans effet. La résistance ne pouvait dès lors
être vaincue que par un siège en règle, conduit avec habileté, poussé avec
vigueur."

Plan d'Athènes par Verneda sous la direction du Comte San Felice (1687)
(extrait de
l'ouvrage de Laborde)
1687. SITUATION DE L'ACROPOLE. p 137
"On s'y prépara. Il était facile de comprendre que ce rocher si escarpé
n'était prenable que par son extrémité occidentale. Les Pélasges eux-mêmes
l'avaient compris : de ce côté, c'est-à-dire à l'entrée de l'Acropole, ils
avaient dressé neuf portes, neuf barrières. Plus tard, il est vrai, le calme des
temps, et, ce qui mieux qu'aucune aucune autre défense y protège un monument, le
respect religieux qu'il inspire, permirent de remplacer les portes et les tours
par l'élégante et majestueuse disposition des Propylées; mais alors même ce fut
encore de ce côté qu'on entretint les moyens de défense. Au moyen âge, lorsque
les orages de la barbarie grondèrent sur Athènes et plus particulièrement sur
l'Acropole, les Propylées, la Pinacothèque, le temple de la Victoire sans ailes,
tous ces chefs-d'œuvre de l'art, furent transformés en ouvrages avancés,
crénelés, percés de meurtrières, surmontés de bastions et de tours, en un mot,
sauvagement défigurés. Mais tel était le consciencieux et habile mode de
construction des anciens, que ces monuments, où chaque proportion était
observée, où toutes les délicatesses de la sculpture avaient été prodiguées, se
trouvaient tout d'un coup former, sans grands frais, les plus redoutables
fortifications. Deux batteries, chacune de cinq pièces, étaient établies sur la
pente pour défendre cette entrée, et les constructions de l'Odéon d'Hérode
Atticus, disposées des bastions à la forteresse.
Kœnigsmark, sur l'avis des ingénieurs vénitiens et se conformant aux
décisions prises en conseil, disposa l'attaque de façon à battre en brèche
l'entrée, c'est-à-dire les Propylées, en même temps qu'il donnait l'ordre de
bombarder la forteresse, c'est-à-dire le Parthénon et l'Érechthée. Et
c'est ici que je veux faire la part du blâme, s'il y a place pour le blâme, la
part aussi des nécessités. Un homme de guerre a-t-il les entrailles d'un
archéologue, et peut-on lui imposer, en faveur de l'art, des ménagements qui
sont autant de chances contre son succès, d'obstacles au but qu'il se propose
d'atteindre, de lenteurs enfin , qui se traduisent en pertes d'hommes? De nos
jours, dans un siège célèbre, en face de l'Europe entière, spectatrice pacifique
de ce tournoi d'artillerie, on a pu s'entendre, assiégés et assiégeants, pour
épargner une église gothique ornée des chefs-d'œuvre de la peinture flamande;
mais un fait aussi exceptionnel, des adversaires tels que la France et la
Hollande, l'esprit de notre temps surtout, peuvent-ils entrer en comparaison
avec les luttes des chrétiens contre le Turc, avec la Grèce musulmane et
l'esprit du moyen âge qui dominait encore dans ces guerres barbares? Non sans
doute. Kœnigsmark espérait que la panique, dont il avait tiré si bon parti dans
la Morée s'étendrait jusqu'à Athènes, et qu'il prendrait l'Acropole sans en
faire le siège. Il eut bientôt la certitude qu'un bombardement pouvait seul
réduire une garnison déterminée. Il bombarda l'Acropole. Une de ses bombes fit
sauter le Parthénon et décida la garnison à capituler; il profila de ce coup du
sort, et s'il prétendit qu'il regrettait la ruine de cet admirable temple, d'une
merveille qui n'aura jamais sa pareille, je le crois, persuadé qu'il aurait
préféré entrer dans l'Acropole sans mettre ses canons en batterie; mais une fois
le siège commencé, je constate, et sans lui en faire un trop amer reproche,
qu'il le poursuivit sans autre préoccupation que d'arriver le plus tôt possible
à éteindre les feux de l'ennemi, à faire brèche et à donner l'assaut.
Les ingénieurs choisirent la colline du Musée pour y établir une batterie de
quinze fortes pièces, et celle du Pnyx, cette tribune de l'éloquence, pour taire
tonner une seconde batterie de huit pièces, les unes de 50, les autres de 20. La
première battait en brèche l'entrée des Propylées, la seconde tirait sur les
batteries que les Turcs avaient dressées à mi-côte, et en même temps quatre
mortiers de 500 livres, placés au pied de l'Aréopage, près de la demeure de
l'archevêque, lançaient des projectiles dévastateurs sur l'Acropole."

Plan de l'Acropole par Verneda, ingénieur capitaine vénitien
(extrait de
l'ouvrage de Laborde)
1687. BOMBARDEMENT DE L'ACROPOLE. P 141
"Ce ne fut pas sans quelques hommes tués par l'ennemi qu'on disposa ces
moyens d'attaque; le major Pérès, du régiment Cleuter, et quinze de ses soldats
y trouvèrent la mort; mais enfin, dès le 23 juillet, les pièces étaient en
batterie, et le feu s'ouvrit sous la direction du chef de l'artillerie, Mutloni,
comte de San Felice. Il fut conduit avec vigueur, mais sans donner les résultats
qu'on en espérait. Les boulets creusaient vainement les admirables murailles de
marbre, et les mortiers, en envoyant leurs bombes par-dessus la forteresse,
faisaient plus souffrir les maisons de la ville que les monuments de l'Acropole.
On s'aperçut des défectuosités de ce tir, on prévit la lenteur des opérations.
Kœnigsmark, en véritable général, avait l'œil à tout; s'il était prêt à recevoir
le séraskier au dehors, il voulait rectifier ce tir et bâter les opérations.
Dans ce but, et bien plus que pour condescendre aux plaintes portées à ses pieds
par les habitants, il ordonna l'établissement d'une nouvelle batterie de deux
mortiers (voyez la lettre L de la vue de Verneda) plus près de la forteresse et
à l'est. En même temps les ingénieurs dirigeaient à travers les maisons un
chemin couvert, pour donner aux mineurs le moyen de faire sauter un pan de la
muraille de Thémistocle, au nord de la forteresse et au-dessus de la grotte d'Aglauros
; mais la dureté du rocher, la vigilance des assiégés et leurs coups meurtriers,
enfin la mort du capitaine des mineurs qui tomba du haut d'un rocher, auraient
enlevé toute espérance de ce côté et fait abandonner ce travail, si un
événement inattendu ne l'avait pas rendu inutile, en changeant tout à coup
la face des choses, en réduisant d'un seul coup une forteresse préparée à une
longue résistance."
1687. DATE FATALE DU 26 SEPTEMBRE. p 140
"Déjà le 25 une bombe était tombée sur un petit magasin à poudre établi dans
les Propylées, et l'avait fait sauter. C'était comme le présage d'un événement
autrement considérable qui eut lieu le lendemain soir, 26 septembre 1687. Une
détonation terrible fit trembler les environs et donna l'éveil aux assiégeants,
en dirigeant les regards de tous vers le sommet de l'Acropole, là où
l'effrayante explosion, suivie d'incendie, venait de couper en deux et de
réduire à l'état de ruine le chef-d'œuvre par excellence de l'architecture, le
Parthénon, ce résumé presque intact de l'art grec à son apogée. Cette détestable
bombe fera éclater à son tour les regrets des générations à travers tous les
siècles, car elles comprendront, elles ont déjà compris, qu'elle a été la cause
d'un malheur pour l'humanité tout entière ; et nous Européens, qui prétendons au
sceptre de la civilisation, nous déplorerons à jamais qu'un monument construit
avec une perfection qui défiait depuis deux mille ans l'injure du temps et la
barbarie des hommes ait été détruit par l'Europe chrétienne. L'ingénieur
vénitien Verneda, dont je publie le dessin, a cherché de souvenir à rendre
l'effet désastreux causé par cette explosion. En reproduisant ce cruel
spectacle, sa main tremblait-elle de honte? ses yeux se remplirent-ils de
larmes? Il est fort probable que l'homme du métier estimait cet événement à la
valeur d'un fait de guerre, et, sans s'inquiéter d'autres considérations, tenait
à honneur d'en perpétuelle souvenir."

L'explosion de l'Acropole (vue du NE) par Verneda, ingénieur capitaine vénitien
(extrait de
l'ouvrage de Laborde)
On voit bien la trajectoire des tirs, le minaret de la mosquée
1687. UNE BOMBE TOMBE DANS LE PARTHENON. p 151
"Avec d'autres sentiments, évitons les récriminations, et reprenons d'un peu
plus haut notre rôle de narrateur, afin d'expliquer la cause de cet accident et
d'en montrer les conséquences immédiates.
Comme je l'ai dit, les travaux de brèche et d'approche marchaient lentement. Un
transfuge s'échappa de l'Acropole et vint au quartier des Luneburgeois, qui
servaient la batterie de l'est, annoncer que les Turcs avaient enfermé toutes
leurs munitions dans le Parthénon, et que c'était là, là seulement, qu'il
fallait jeter les bombes. De ce moment, le temple de Minerve devint la cible des
artilleurs, et un lieutenant luneburgeois, habile pointeur, s'étant offert pour
diriger les mortiers, réussit, après un petit nombre de coups, à faire tomber
une bombe dans ce temple où elle produisit, en éclatant au milieu de la poudre,
une formidable explosion. Cet amas de matières explosibles était sans doute
placé au centre de la cella, et un peu plus à l'est qu'à l'ouest, si l'on en
juge d'après les parties ruinées du monument. Les murs du sanctuaire, y compris
celui qui le séparait de la salle de l'opisthodome, furent renversés, et avec
eux les trois quarts de la frise de Phidias; toutes les colonnes du pronaos,
exceptée une, huit colonnes du péristyle du nord et six au sud. Mais quand on
parle d'un mur de 350 pieds de longueur sur 40 de hauteur, formé de blocs de
marbre de 3 pieds d'épaisseur, et de 6 pieds de longueur, quand on dit vingt et
une colonnes hautes de plus de 30 pieds, composées chacune de onze tambours de
marbre, on n'a donné qu'une faible idée de cet épouvantable bouleversement. Il
faut encore se représenter l'admirable et énorme architrave qui surmontait les
colonnes, ces blocs de marbre sculptés en caissons et ces dalles assemblées en
toit, qui couvraient, les uns le péristyle, les autres l'intérieur du temple, et
qui, comme un coup de foudre, vinrent fondre à la fois sur le sol et
s'accumulèrent en désordre. L'explosion fut si forte qu'elle lança les débris du
temple jusque dans le camp des assiégeants, c'est-à-dire à l'est, jusqu'au pied
de la forteresse, où les troupes luneburgeoises mineurs attaquaient le rocher."

Plan du siège d'Athènes par Verneda, ingénieur capitaine vénitien
(extrait de
l'ouvrage de Laborde)
On y voit le stationnement des troupes vénitiennes, la trajectoire des tirs qui
atteignent le Parthénon qui s'enflamme
1 687.
LE PARTHENON EST DETRUIT. p 153
" Quelque violente que fût la commotion, elle n'atteignit cependant pas les
statues des frontons, des parties seulement, déjà altérées parle temps, eurent à
souffrir de l'ébranlement. Quand le Parthénon s'affaissa sur
lui-même, au milieu des flammes qui l'enveloppaient, il s'éleva du camp des
assiégeants un cri de joie et de victoire, un sauvage hurra, que les
historiens vénitiens traduisent en Viva la nostra reptiblica, mais que
les échos d'alentour se renvoyaient en allemand, avec les mots de Siège, lebe
hoch Graf Kœnigsmark. Peu importe dans quelle langue une armée européenne
exprimait de tels sentiments d'allégresse et de triomphe, à la vue de ce
déplorable spectacle; remarquons seulement que les Turcs ne se laissèrent pas
abattre par ce désastre. Ils attendaient leur délivrance du dehors, et ils
conservèrent la ferme résolution de tenir bon jusqu'à ce que le séraskier fût
venu chasser ces mécréants. Dès le 28 au matin, avertis de son arrivée, ils
redoublèrent la vivacité de leur feu, espérant occuper exclusivement l'attention
des assiégeants, mais Koenigsmark n'était pas un général qu'on surprenait;
averti, de son côté, par ses postes avancés, il n'attendit pas son adversaire,
il alla à sa rencontre. Le séraskier n'accepta pas le combat qu'on lui offrait
avec cette fermeté, il se retira sans engager ses troupes. Les Turcs de
l'Acropole étaient soutenus dans leur résistance par l'espérance de ce secours;
en peu d'instants, et sous leurs yeux, cette espérance s'évanouit."
1687. LA GARNISON DE L'ACROPOLE SE REND . p 155
"Revenus à la réalité, ils se virent environnés de flammes provoquées par
l'explosion du Parthénon et qui gagnaient toutes les habitations ; ils
comprirent l'impossibilité de tenir longtemps, faute de munitions, tant ils en avaient perdu; faute d'hommes, tant ils comptaient
de morts, et parmi eux leurs chefs, le pacha et son fils; ils comprirent,
dis-je, que la défense était téméraire, la place n'étant plus tenable, et qu'une
honorable capitulation restait leur seule ressource. Des drapeaux blancs
annoncèrent les intentions de la garnison, et en même temps qu'ils
étaient dressés sur les créneaux, on vit descendre les cinq otages porteurs de
propositions pacifiques, prêts à en garantir l'exécution. Le feu des assiégeants
cessa aussitôt. Une suspension d'hostilités eut lieu, et les conditions de la
capitulation furent discutées. Morosini avait manifesté son intention de ne
recevoir les assiégés qu'à discrétion, mais Koenigsmark fut plus accommodant, il
leur accorda la vie sauve, cinq jours de répit, le droit de vendre leurs biens
et d'en conserver autant que chacun pouvait en emporter sur son dos ; c'étaient
les conditions qui avaient présidé à la reddition de toutes les places de la
Morée; seulement ils durent abandonner aux vainqueurs, chevaux, armes, canons,
munitions, et les esclaves chrétiens ainsi que les nègres. Par contre, ils
devaient noliser à leurs frais les bâtiments qui les conduiraient à Smyrne, le
séjour en Grèce leur étant interdit. Morosini concéda, bien qu'à contre-cœur, ces conditions bénignes. Il pliait autant devant la volonté
de son général que devant l'évidence des faits qui proclamait la nécessité
absolue d'entrer dans la forteresse d'Athènes au plus tôt, et la difficulté de
s'emparer de vive force de cette place, la plus forte de toutes celles qu'ils
avaient attaquées. L'arrangement fut conclu le 29 au matin. Aussitôt les postes
avancés furent occupés par les assiégeants, et le drapeau de Saint-Marc flotta
sur les Propylées. Le capitan général annonça au sénat de Venise cette nouvelle
conquête, et lui offrit ce trophée, ce nouveau titre de gloire avec la modestie
superbe qu'il met dans toutes ses dépêches : « Je ne cherche pas, écrit-il, avec
force amplifications à faire valoir mes faibles services, il me suffit, quels
qu'ils soient, que le monde les connaisse et que ma patrie les agrée. Athènes
est tombée en vos mains, " Athènes la tant illustre et renommée, avec sa fameuse
cité de vaste circonférence et ses magnifiques monuments auxquels se rattachent
les souvenirs mémorables de l'histoire et de l'érudition. » "
1687. LA GARNISON EST CONDUITE AU PIRÉE. p 157
"Le 4 octobre, la garnison turque, forte encore de 500 hommes, descendit de la
citadelle; elle était accompagnée de 2 500 personnes des deux sexes et de tout âge qui avaient partagé ses dangers et voulaient suivre son sort.
Cette troupe se dirigea vers le Pirée. Elle était bien digne d'inspirer quelque
compassion et en tout cas d'imposer le respect à ceux qui, après avoir éprouvé
sa courageuse résistance, n'entraient dans la place qu'en jurant d'observer les
conditions de la capitulation. Morosini connaissant l'indiscipline des
nations, c'est ainsi qu'il nomme toujours ses auxiliaires, avait prescrit
les précautions les plus louables; Kœnigsmark s'y était prêté, mais, en dépit
des règles de l'honneur et du respect dû aux ordres des chefs, la surveillance
ne pouvant s'exercer sur tout le cours de cette longue marche d'Athènes au
Pirée, des Turcs furent insultés , des vieillards dépouillés de ce qu'ils
avaient droit d'emporter, des femmes même et de jeunes filles enlevées au mépris
des plus saintes lois de l'honnêteté et de la bonne foi. Les Vénitiens prirent
aussitôt possession de l'Acropole..."
On aurait pu penser que tous ces destructions ramèneraient Athènes dans le
giron de la chrétienté...
1687. LA DESTRUCTION D'ATHENES MISE AUX VOIX. p 191
"Peut-être aussi les savants d'Europe n'eurent-ils pas le temps de stimuler
le zèle archéologique des membres de l'expédition. La prise d'Athènes semblait
laisser un long loisir pour les recherches érudites; on s'endormit là-dessus, et
la retraite de l'armée surprit le public aussi bien que les militaires. Cette
retraite si rapide, si peu glorieuse, était motivée par les considérations les
plus graves, et ces considérations donnaient raison aux prévisions de Morosini,
à sa vieille expérience; elles condamnaient les résolutions prises sur l'avis de
Koenigsmark. Dès le 31 décembre les Vénitiens avaient débattu en conseil de
guerre le sort de leur conquête. Prévoyant la nécessité de l'abandonner
prochainement, ou avait agité la question de savoir si on détruirait cette
place avant de se retirer."
Les questionnements :
"1. L'abandon d'Athènes et sa destruction;
2. La défense ou l'abandon de la ville d'Athènes;
3. Si on décide la défense de la ville, disposer les moyens stratégiques propres
à assurer cette défense; si on décide au contraire l'abandon, organiser les
transports et fixer le lieu de déportation
L'impossibilité de fortifier la ville d'Athènes, sans avoir à sa disposition 3
000 ouvriers et sans employer des années à ce travail, était démontrée..."
Faute de moyens, il fut donc décidé d'abandonner
Athènes et de la laisser "dans l'état pitoyable où
on l'avait mise". Le manque de moyens eut cependant un effet bénéfique : la
ville ne serait pas détruite. On ne pouvait pas cependant partir sans emporter
quelques souvenirs!
1688. MOROS1NI CHERCHE UN TROPHÉE POUR VENISE. P 219 ... P 221
"... Le mois de mars s'écoula dans les mêmes soins : on se défendit contre la
peste et contre les attaques du séraskier; on se débarrassa de la population
grecque, et on préparait ainsi, acte par acte, l'abandon définitif, ce triste et
rapide dénouement de la prise d'Athènes. Une distraction cependant fut donnée à
la vie de garnison. Morosini voulait rapporter à Venise un trophée de sa
victoire. Au milieu des magnifiques monuments encore debout, au milieu des
ruines que le temps avait faites, au milieu des ruines plus grandes encore dont
il était l'unique auteur, il n'avait que l'embarras du choix. Statues et
bas-reliefs remplissaient les frontons, ornaient les frises ou gisaient à terre,
et s'il ne se fût agi, comme nos jours, on aurait la tentation, d'enrichir un
musée, on pouvait prendre sans peine de quoi en remplir dix. La préoccupation du
capitan général était toute autre : Venise n'avait pas de galerie d'antiquités
qui sollicitât un accroissement de richesses ; Morosini ne pensait pas à fonder
une collection des fragments de sculpture de la plus belle époque de l'art; son
ambition était d'ériger sur la place Saint-Marc, et peut-être même sur la façade
de la cathédrale, un chef-d'œuvre qui rivalisât avec les chevaux de bronze du
quadrige de Rome que les Vénitiens avaient trouvé, en 1204, dans l'hippodrome de
Constantinople, et qu'ils envoyèrent comme un trophée de leur conquête sur une
galère commandée par un Morosini. Cette tradition d'un noble pillage était donc
bien vieille, et parmi les croisés, et dans les armata vénitiennes, et jusque
dans la famille de Morosini. On sait que la façade de Saint-Marc est criblée de
ces ex-voto de la victoire : ici les chevaux de bronze doré, là deux Hercules,
bas-relief d'un ancien travail grec, et partout les mille colonnes, aussi
diverses par leurs précieuses matières que par leur lointaine origine1.
Morosini avait donc en ce genre des excuses, des précédents, je dirai plus, il
avait des obligations.
Le Neptune et le bige du fronton occidental avec la
Victoire sans ailes, qu'on regardait alors comme la jeune Minerve faisant son
entrée dans l'assemblée des dieux, lui parurent des morceaux dignes de la gloire
du conquérant et du faste de la république. C'était en effet sublime de beauté
et admirable de conservation. La majesté du Neptune, le feu céleste qui animait
les chevaux, la grâce empreinte dans le mouvement de la Victoire, tout, jusqu'au
choix du marbre éclatant de blancheur, faisait de ce groupe un ensemble
incomparable. Le capitan général ordonna de descendre ces statues du fronton
qu'elles ornaient depuis plus de vingt et un siècles et de les voiturer jusqu'au
Pirée pour les embarquer sur son vaisseau. Nous avons dans les dessins de Carrey
une représentation fidèle de l'état du fronton quand l'ordre de Morosini fut mis
à exécution ; nous avons dans les fragments que j'ai dessinés à Athènes tout ce
qui reste de ces chefs-d'œuvre, et dans une dépêche de Morosini l'explication
froide et laconique de cette fatale mutilation. Voici cette relation écrite du
Pirée au sénat de Venise, le 11mars 1688: «Dans la prévision de l'abandon
d'Athènes, j'avais conçu le projet d'enlever quelques-uns des plus beaux
ornements parmi ceux qui pouvaient ajouter à l'éclat de la république. Dans
cette intention, je fis faire la tentative de détacher de la façade du temple de
Minerve, où se voient les plus belles sculptures, la statue d'un Jupiter
et les reliefs de deux magnifiques chevaux. Mais à peine eut-on commencé à
enlever le dessus de la grande corniche que tout se précipita en bas de cette
hauteur extraordinaire, et c'est merveille qu'il ne soit arrivé aucun malheur
aux ouvriers".

Reconstitution du fronton ouest (vandalisé par Morosini) avec la figuration, à
droite, du Neptune (Poséidon) et du char détruit par maladresse par les soldats
de Morosini. Cliquer pour agrandir. A l'époque de Morosini, la signification de
ce fronton était mal interprétée. Jacques Carrey l'avait dessiné en 1674 (voir
le dessin ci-dessous).

Le fronton ouest dépeint la querelle entre Athéna et Poséidon
pour l'honneur de l'attribution de la ville. Athéna et Poséidon figurent au
centre de la composition, opposés en diagonale, la déesse tenant l'olivier et le
dieu de la mer brandissant son trident pour fendre la terre. À leurs côtés se
tiennent deux groupes de chevaux attelés à des chars et toute une foule de
personnages légendaires de la mythologie athénienne qui emplit l'espace
jusqu'aux extrémités du fronton.
1688. LES STATUES SE BRISENT EN TOMBANT. P 225
Morosini s'explique :
" On attribue la cause de cet accident au mode de construction du temple,
par pierres assemblées, l'une sur l'autre, sans mortier et avec un art
merveilleux, mais qui toutes ont été disloquées par l'ébranlement, conséquence
de l'explosion. L'impossibilité de dresser des échafauds et de porter au haut de
l'Acropole des antennes de galères et autres engins pour faire des chèvres,
rendait difficile et périlleuse toute autre tentative. Je les défendis; d'autant
mieux qu'étant privé de ce qu'il y avait de plus remarquable, tout le reste me
parut inférieur et mutilé de quelque membre par l'action corrosive du temps.
J'ai décide toutefois qu'on enlèverait une lionne de belle tournure et quoiqu'il
lui manque la tête. Mais on pourra la remplacer parfaitement avec un morceau de
marbre semblable qu'on rapportera en même temps ".
"Il est impossible de s'associer à ce sang-froid, à cette indifférence,
quand on se représente ces admirables statues culbutées et brisées par la
rapacité liée à la maladresse. Pour la seconde fois le sol de l'Acropole
trembla; pour la seconde fois, en moins de six mois, le Parthénon, cette relique
du génie, recevait une atteinte irréparable, et ces outrages lui venaient de la
même main. A vrai dire, il appartenait aux Vénitiens de mutiler ce qu'ils
avaient laissé debout."
1688. MAUVAIS PRESAGE P 227
"Le bruit que firent ces marbres en tombant sur le sol dut retentir aux
oreilles de Morosini comme le glas funèbre de sa vie héroïque, comme le signal
des échecs et des revers qui vont terminer sa carrière. Je ne saurais écarter
cette idée de mon esprit. Il y a un mauvais présage et comme une marque fatale
dans ce malheur qui traîne à sa suite l'abandon d'Athènes et de l'Attique, la
peste, fléau destructeur, la mort de Kœnigsmark et de ses meilleurs officiers,
l'entreprise de Négrepont enfin, qui ruine et décourage l'armée sans lui laisser
d'autre compensation qu'une retraite peu honorable. Mais détournons les yeux de
ces vengeances providentielles; allons au milieu des témoins de ce désastre.
Morosini, comme il l'écrit renonce aux sculptures du Parthénon; ce qui n'était
plus un trophée de victoire pour le capitan général, pour le glorieux
Péloponnésien* ,
offrait encore, dans ses fragments, des morceaux de cabinet très-précieux, tout
à fait dignes d'exciter la Convoitise des amateurs de l'armée vénitienne..."
note : * En 1687, en raison de ses actes sur les champs de batailles,
Morosini obtient du Sénat vénitien,
chose qui ne s'est jamais produit ni avant, ni après, le titre de « Peloponnesiaco »
et un buste de bronze en son honneur, chose interdite pour les personnes encore
en vie et très rare même pour les défunts. L'inscription indique « Le Sénat à
Francesco Morosini, le Peloponnesiaco, encore en vie » (Francisco
Morosini Peloponesiaco, adhuc vivendi, Senatus).

Médaille en l'honneur de Morosoni (face : Morosini, dans son costume de doge,
revers : l'explosion du Parthénon)
Cette médaille a été conçue pour le titre mais jamais réalisée
1688. LE LION DU PIREE EST ENVOYÉ A VENISE. 240 - 241
" Morosini ambitionnait toujours son trophée; ne
trouvant rien qui pût lutter de beauté et d'éclat avec les chevaux de bronze de
Constantinople, il se rejeta sur les lions antiques, séduit par l'à-propos de
leur signification comme attribut de St Marc. Un lion couché*
qu'on voyait près du temple de Thésée, sur le chemin de l'Académie, et une
lionne également antique furent transportés, non sans peine, au Pirée. Ce
n'était pas encore assez de lions; et celui qui, assis au fond du port, avait
détrôné l'ancien nom du Pirée**,
fut également hissé à bord."
* Le Père Babin avait vu celui-ci avant son enlèvement; il le décrit ainsi :
A cinquante pas de là (du temple de Thésée ) il y a, sur un grand
chemin, un lion de marbre blanc, comme neige, couché à terre sur ses pieds.
Spon, de son coté, en parle de cette manière : Deux cents pas au delà,
sur le. chemin de Lepsina ou Eleusis, est un beau lion de marbre
parfaitement bien fait et couché sur ses pales, mais un
peu gâté,
qui a servi, selon les apparences, à une fontaine. car on luy void un grand trou
qui traverse la tête et qui répond à la gueule.
** Spon explique : " Le Pirée est appelé Porto Leone à cause d'un beau lion
de marbre de dix pieds de haut, trois fois plus grand que nature, qui est sur le
rivage, au fond du port. "

Extrait
de l'ouvrage de Laborde |

Extrait
de l'ouvrage de Laborde |
Sur ce plan d'Athènes de Spon, les directions vers le port du Pirée sont
indiquées ainsi :
"Chemin du port Lion" et "Chemin du port Lyon" |
Sur le plan
(1685) du port du Pirée est inscrit "Port Lion" et l'emplacement
du lion est indiqué (flèche rouge)
Cliquer pour agrandir les plans |
"Il (le lion du Pirée) était de beaucoup le plus grand et le plus majestueux. La partie
antérieure du mufle manquait; Morosini ordonna d'embarquer un morceau de marbre
de même qualité pour le restaurer à Venise. Quelque matelot fainéant, quelque
voyageur vaniteux lui a gravé sur la poitrine un nom vulgaire et la date de
1458. Cela est sans importance ; mais ce qui en a davantage, ce sont deux
longues inscriptions* qui courent sur chaque flanc dans le mouvement d'un cordon
qui se tord et revient sur lui-même..."

Le lion du Pirée est ici représenté des deux côtés pour figurer sur les deux
flancs les inscriptions énigmatiques
(extrait de
l'ouvrage de Laborde) - Cliquer pour agrandir
P 243 (note de La
Borde)
* "Du moment où les lions d'Athènes sont à Venise, on en parle comme
de trophées dans les descriptions de la ville et comme un objet d'art ; et le
Danois Akerblad avait le droit de s'étonner, en 1799, qu'on n'eût pas encore
signalé le lion du Pirée comme l'un des monuments les plus curieux de
l'épigraphie. Pour lui, venu directement de Copenhague, il est frappé de la
physionomie runique des inscriptions qui s'enroulent sur les épaules et sur les
flancs du lion. De retour dans le Nord, il montre les copies qu'il a faites des
lettres les mieux conservées; el les savants philologues allemands, danois et
suédois, les plus compétents dans ces matières, n'hésitèrent pas plus que lui à
voir des runes dans ces inscriptions..."
Précisions extraites du site
e-venise.com
: Mais c'est un Danois, C. G. Rafn
qui réussit à les traduire entièrement en 1856. Il
comprit en effet que l'inscription contenait à la fois des caractères runiques
mais également un idiome Danois antique, fortement diffusé dans l'Europe du
Nord.
De plus la langue utilisée sur le corps du lion était, en
1856, encore plus ou moins en usage dans certaines landes perdues de
l'Islande. Cette inscription mystérieuse à l'origine avait en fait été réalisée
par des soldats mercenaires d'origine
scandinave qui avaient servi sous les ordres de
l'empereur de Byzance, Michel IV le Paphlagonien,
pour réprimer une révolte contre une levée d'impôts dans la ville d'Athènes en
1040. Ces guerriers vikings
de la garde varange des empereurs byzantins, conduits
par leur chef, Harold le Grand, voulurent
donc tout simplement laisser la trace de leur passage au Pirée en gravant sur le
lion le récit de leurs exploits militaires !
Sur l'épaule gauche du lion, la traduction de l'inscription datant donc de l'an
1040, donne ce qui suit :
“Haakon avec Ulf, Asmund et Orn, ont conquis ce port. Ces
hommes reçurent de fortes sommes à cause de la révolte du peuple Grec. Dalk a
été captif dans des pays lointains. Egil faisait la guerre en Roumanie et en
Arménie avec Ragnar.”
Et sur la hanche droite du lion, l'inscription est tout simplement… une
signature !
"Sur l'ordre de Harold le Grand, Asmund grava ces runes avec l'aide de Asgeir,
Thorleif, Thord et Ivard, bien que les Grecs s'y opposèrent.”
Le Lion du Chemin de l'Académie :
Le second lion, non plus assis mais couché, à droite de l'entrée de l'Arsenal
est le lion qui se trouvait sur le Chemin de l'Académie, le Sénat vénitien
fit graver sur son socle, en 1692, l'inscription
suivante : (voir
l'inscription)
“ATHENIENSIA VENETÆ CLASSIS
TROPHŒA VENETI SENATVS
DECRETO IN NAVALIS
VESTIBVLO CONSTITVTA”
  
 
Devant l'Arsenal Venise, les quatre lions, de
taille décroissante, sont des trophées arrachés au marbre de la Grèce antique.
Au-dessus de la niche du portail, trône le lion ailé de Marc l'Evangéliste,
symbole de la ville. Ces lions ont excité la verve des voyageurs tels Goethe,
Michelet ou Gautier, tandis que Ruskin croyait pouvoir décider que : « non, il
n’y a rien de bon chez ces lions, ouvrage stupide de la décadence grecque ; ils
ont l’unique mérite d’être pacifiques et non rugissants comme les lions
modernes. »
Les photos ci-dessus proviennent du site
e-venise.com
(merci pour l'autorisation)
Conclusion : La Borde, dans
son ouvrage, nous rapporte des informations détaillées et très intéressantes sur le siège d'Athènes. Il ne ménage pas
le Vénitien Morosini, il le rend responsable de destructions
irréparables sur le Parthénon (explosion) et l'accuse de pillages (notamment, les lions). Il
affirme que les Chrétiens ont endommagé l'Acropole bien davantage que les Turcs,
d'autant plus qu'ils abandonnent Athènes aussitôt conquise. Beaucoup de morts et
de destructions pour rien...
Morosini, est toutefois accueilli comme un héros par Venise, en plus de son
titre de "Péloponnésien" (voir plus haut), il est élu doge au premier tour de
scrutin le 3 avril 1688. Il en est informé pendant un siège et pour l'honorer,
son couronnement a lieu au milieu des soldats enthousiastes. De retour à Venise
seulement en 1690, Morosini, fatigué après tant d'expéditions, jouit du
traitement de faveur et des privilèges jamais concédés jusqu'alors (son dogat
dura jusqu'à sa mort, en 1694).
Quant à Kœnigsmark, il eut moins de chance, puisqu'il mourut d'une fièvre peu
après, au siège de Nègrepont .
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