CRAPOUILLOT juillet 1933 |
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LE JUGEMENT DE DIEU |
Une base juridique pour les relations entre
nations ? Larbitrage du droit entre les peuples ? Ces conceptions nexistent
pas pour lHitlérisme qui ne connaît que la force, et proclame, dans la vie des
peuples, le droit du plus fort avec le même fanatisme que les Pangermanistes avant et
pendant la guerre mondiale. La raison du plus fort, voilà leur évangile politique (1)!
Le colonel en retraite Hierl, le spécialiste des questions militaires de léquipe
hitlérienne, et que la " Révolution Nationale " a également investi de hautes
fonctions, senthousiasme dans son livre : " Bases d'une politique militaire
allemande " pour "le droit naturel de la force vitale supérieure " et il
ne craint pas décrire cyniquement : " Il ny a quun juge
impartial pour les peuples, cest le succès historique. Ce " jugement de Dieu
" donne le droit au plus fort. " Ainsi donc, si 65 millions dAllemands
assaillent 40 millions de Français et leur font violence, cela, daprès la
conception hitlérienne, est un "jugement de Dieu ". Il sensuit que tous
les efforts, en vue de créer une base juridique vraiment internationale aux rapports
entre les peuples et de perfectionner la Société des Nations, sont pour les Hitlériens
un méprisable objet de risée. Pour ces énergumènes épris de violence, la plus grande
injure quils puissent vous infliger est de vous traiter de "pacifiste "
Pour un hitlérien convaincu, " pacifiste "et " chien de cochon " (Schweinehund)
sont des termes absolument synonymes. Alors que la jeunesse anglaise ou française
ce qui pourrait aisément se prouver par de nombreux exemples est
sincèrement pacifiste, on injecte à la jeunesse, qui monte sous le signe de la Croix
gammée, le virus de lenthousiasme guerrier et du culte de la violence. Que des
peuples anémiques et en voie de disparition sadonnent à un pacifisme qui, dans
lhypothèse la plus favorable, ne prend sa source que dans un aveuglement
incompréhensible ou dans une faiblesse maladive! Pour la jeunesse héroïque et germaine,
il ny a quun mot dordre : Sus, à bras raccourcis ! (Immer feste
druff!). Il ny a pas de chant qui soit claironné avec autant de ferveur par les
Sections dAssaut que le " Sic greich wolln wir Frankreich schlagcn! "(Victorieux,
nous voulons battre la France !). La situation nest-elle pas plus que menaçante ?
Voilà un grand peuple placé sans aucun frein clans la main de dilettantes politiques qui
ne croient quà la force et à la violence, qui rejettent lidée dune
paix perpétuelle et voient dans la guerre une loi naturelle. Voilà ce peuple excité par
des années de propagande effrénée, chauffé à blanc, grisé jusquà la folie
dune haine mortelle contre ses voisins. Voilà enfin laccumulation de
matières explosives telles que le corridor polonais. Dantzig, la Sarre. Létincelle
ne va-t-elle pas jaillir spontanément et mettre le feu aux poudres ? Naurons-nous
pas demain, au plus tard après-demain, la guerre ? Cette guerre de revanche promise,
attendue ?... En conscience, je dis : Non! Non, tout au moins tant que la libre
volonté du gouvernement sera prépondérante. Et la raison principale, ne nous leurrons
pas, est la suivante : Cest que lAllemagne ne peut pas faire actuellement une
guerre victorieuse. Pas même contre la Pologne qui, grâce au traité de non-intervention
conclu avec la Russie, pourrait faire face avec toutes ses forces à une agression
allemande. A plus forte raison pas contre la France et ses alliés. Que les stipulations
de désarmement du Traité de Versailles aient toujours été scrupuleusement respectées
ou non, il est, en tous cas, impossible de fabriquer en secret la totalité du matériel
nécessaire aux armées modernes. Un chimiste peut, dans son laboratoire élaborer
secrètement une nouvelle formule de gaz asphyxiant, mais lindustrie allemande,
même si on lui prête des forces miraculeuses, ne peut secrètement produire en masses de
lartillerie lourde, des tanks des avions. Il est encore moins possible
dimaginer que lon puisse donner à une armée linstruction dans ces
armes techniques sans que lopinion européenne sen aperçoive. Mais cette
armée elle-même nexiste pas. Il est certain que la Reichswehr est une armée de
cadres destinée, en cas de guerre, à former le corps dofficiers et de
sous-officiers dune armée gigantesque. Mais les centaines de milliers de chemises
brunes qui forment les Sections dAssaut ne peuvent fournir tout au plus que la
matière première durne telle armée. Elles ont besoin dune instruction et
dune adaptation à la guerre moderne. Dans leur forme actuelle, elles peuvent
semployer dans la guerre civile ou, mieux encore, à semer la terreur en assommant
leurs adversaires sans défense. Mais de valeur militaire, elles n'en ont aucune. A cela,
il convient dajouter ce qui suit : en août 1914, on put, par laffirmation que
lAllemagne avait été attaquée par lEntente, soulever le peuple entier et
provoquer ainsi un front commun. Le plus grand parti dopposition la
Social-démocratie qui, pourtant, reniait par principe le régime existant, se joignit au
front commun parce quil sagissait de combattre le tsarisme. Il avait tôt oublié
que, sous Guillaume II, il était lobjet de poursuites par la police et le Procureur
dEmpire et quil voyait ses droits quotidiennement contestés. Car même pour
lopposition politique la plus agissante, les conditions sous Guillaume II étaient
presque idylliques, en comparaison de ce que le "IIIe Reich" a
réservé aux "Marxistes". Même les observateurs appartenant aux partis de
droite estiment à 20.000 le nombre de ceux qui ont été systématiquement maltraités
clans les casernes des Sections dAssaut. Il ny a aucune exagération à fixer
à 50.000 le nombre des prisonniers et des internés dans les camps de travail forcé.
Chez des millions et des millions dAllemands bouillonnent le ressentiment, la rage,
la haine contre ces violences et ces ignobles traitements. Et cest de ceux que
lon a ainsi pourchassés, lapidés, torturés, couverts de crachats et
dignominies, cest deux et de leurs proches que lon voudrait exiger
quils versent leur sang pour la défense du " Système " de leur bourreau
? Cest à ces masses chez qui mine haine passionnée contre Hitler domine tous les
autres sentiments que lon voudrait mettre les armes à la main ? Non, même le
régime dHitler nest pas assez bête pour cela. Et cest pourquoi, non
seulement en ce qui concerne le matériel, mais aussi les effectifs lAllemagne est
infiniment inférieure aux pays auxquels le Traité de Versailles a laissé la liberté
des armements, et la clémence du sort les bienfaits de la démocratie. Personne ne le
sait mieux que le ministère des Affaires Étrangères et le Commandement Suprême de la
Reichswehr deux organismes qui, jusquici, se sont tenus assez à labri
de linfluence hitlérienne. Ces organismes : " Auswärtiges Amt "
et " Reichswehr-Generalität " ont certainement usé auprès
dHitler de leur influence modératrice, car jusquici le " Führer "
na ni jeté les feuillets déchirés- du Traité de Versailles à la face du " Feindbund
" ni dénoncé le pacte de Locarno, Il na même pas hissé le drapeau noir
réclamé dans la fameuse motion de 1926 et chaque fois quil a fait des
déclarations de politique étrangère, cest une chamade quon a entendue au
lieu des fanfares guerrières dantan. Ce quil a dit au Reichstag, dans son
discours du 22 mars au sujet des relations avec les autres puissances, aurait tout aussi
bien pu se trouver dans la bouche de Brüning ou dHermann Müller. On peut imaginer
avec quels cris de guerre les hommes dHitler auraient accueilli tout autre
chancelier qui serait venu dune manière aussi pateline et en pantoufles de feutre,
au lieu de chausser les bottes de cuirassier. De même, les propos quHitler a
confiés entre quatre yeux à M. François Poncet, ambassadeur de France, et à
lenvoyé extraordinaire américain M. Norman Davis, ont une allure si mesurée,
civilisée, on serait presque tenté de dire "européennes" , que ces deux
Messieurs nont pu certainement s'empêcher de hocher la tête avec étonnement. (1) Souligné par lauteur. (N. du Tr.) |
Mais celui qui avait pénétré la
psychologie de lhomme et de son mouvement, celui-là avait prévu depuis longtemps
quHitler au pouvoir se tiendrait, à lextérieur, bien sagement, pour frapper
avec dautant plus de sauvagerie sur ses adversaires intérieurs. Il est à prévoir
que, plus dune fois encore dans les semaines à venir, il étonnera le monde par
létendue de sa modération. La guerre ? Ce nest certainement pas Hitler qui
voudra la déchaîner. Il est même probable quil saisira lidée du pacte à
quatre et ne sopposera pas à des engagements internationaux avec autant de mépris
et de force que lexigerait le principe dune " Nouvelle Allemagne
héroïque ". Tout au plus et si cela va tout à fait mal
fera-t-il lAnschluss avec lAutriche par un trait rapide dans
lespoir que lEurope sinclinera devant le fait accompli (2) et
quensuite il pourra se reposer sur ses lauriers. Mais cela non plus nest pas
sûr. Cependant, il ny a aucunement lieu de se bercer dun optimisme exagéré.
Car lHitlérisme nemploie cette tactique de la pondération quuniquement
pour gagner du temps. Les textes de la littérature hitlérienne ne laissent aucun
doute à ce sujet. Ce que le National-Socialisme veut, cest dabord la remise
en état de la machine de guerre telle que la possédait lAllemagne Wilhelminienne.
Cest pourquoi, dans ces temps où le désarmement est à lordre du jour et
où la durée du service militaire actif est de plus en plus réduite, il réclame pour
lAllemagne la réintroduction de la conscription avec un service obligatoire de deux
ans pour linfanterie et trois ans pour les troupes montées. Le deuxième point est
de sassurer une flanc-garde par des alliances. Lalliée tout naturellement
trouvée est, pour lAllemagne dHitler, lItalie de Mussolini. Car,
politiquement, fascisme et hitlérisme sont frères. De même, en politique extérieure,
ils voient lun et lautre leur adversaire dans la France. Cest pourquoi
le National-Socialisme, avant même dêtre au pouvoir, entourait lItalie des
flatteries les plus basses en taisant dune manière si plate que, chez
dautres, il aurait crié à la haute trahison, le fait que dans le Tyrol méridional
une population allemande est soumise à une italianisation systématique. Depuis le 30
janvier, les fils se tissent toujours plus étroitement entre Berlin et Rome et, même au
sein dun pacte à quatre, lAllemagne et lItalie formeraient un groupe à
part avec des intérêts et des buts particuliers. Les traités et les conventions ? Ils
nauront de valeur pour lAllemagne de la Croix gammée que jusquà ce que
ses maîtres nont-ils pas en politique intérieure également considéré
comme une ruse de guerre la violation de la parole donnée ? estiment que
lheure est venue. Et alors les traités et les conventions ne seront plus que des
chiffons de papier. Rien nexistera plus que le droit du plus fort. Quel que soit
lopportunisme ou se complaît aujourdhui Hitler, son but final reste la
domination de lEurope par la race supérieure aryenne telle quelle est
avantageusement représentée par des surhommes comme Hitler, Goering, Goebbels et Röhm.
Tant que lHitlérisme sera au pouvoir, le Monde ne connaîtra pas de paix durable.
LHitlérisme nous rapproche dune catastrophe européenne plus que
nimporte quel autre régime allemand. Mais sil ne sagit ici que
dun développement à longue échéance et qui peut être arrêté ou dévié par de
nombreux événements avant daboutir à la catastrophe, il y a cependant un autre
danger, et immédiat (1). Il ne vient pas du "Führer", mais de
ses troupes. Les Hitlériens convaincus ont été tellement chargés de haine contre la
France et la Pologne, quune explosion est très possible sans, et même contre, la
volonté du gouvernement. Que se passera-t-il si nous nous réveillons un matin et lisons
dans notre journal : " Des Sections dAssaut hitlériennes ont pénétré en
Sarre de leur propre chef, après avoir rapidement maîtrisé la résistance que tentaient
de leur opposer les quelques centaines de gendarmes sarrois, et sont entrées à
Sarrebrück, où elles ont hissé le drapeau hitlérien sur le palais du Gouvernement.
" Ou encore : "Des troupes dassaut hitlériennes ont pénétré dans le
Couloir de Dantzig. Un violent combat se déroule actuellement entre elles et des forces
régulières de larmée polonaise." Ou bien : " Les Sections
dAssaut hitlériennes ont occupé Dantzig et ont proclamé sa réunion à
lAllemagne." Nous voilà brusquement devant un conflit en dehors même dé la
volonté des gouvernements responsables parce que, dans une telle situation, les choses
senveniment delles-mêmes et peuvent conduire à un choc tragique. 1914 !...
193... ? Car lAllemagne ressemble aujourdhui à un asile de fous, et des
fous, lon peut sattendre à tout. Que doivent faire les puissances dont la
base vitale est la démocratie et la foi dans la primauté du droit sur la violence, en
face dune situation aussi tendue ? Sil existait quelque chose qui ressemble à
une solidarité de la démocratie, la réponse serait facile : Il faudrait tendre autour
de lAllemagne un cordon sanitaire moral jusquà ce qu'ait disparu la peste
hitlérienne. Lécho que les violences antisémites ont trouvé dans le monde entier
a, quoi quon en ait dit, fait une forte impression sur le gouvernement de Berlin et
lui a imposé la conviction quon ne peut impunément soulever contre soi la
conscience universelle. Mais comme malheureusement la solidarité internationale fait
défaut à la démocratie, il appartiendrait mal à un Allemand de vouloir donner des
conseils aux autres peuples. Son rôle pouvait être de dire librement ce qui est (1).
Que chacun en tire lui-même ses conclusions. Il est seulement à craindre que la
démocratie des autres pays néchappe pas à un tragique conflit intérieur, car la
moindre concession quelle fera aujourdhui à lAllemagne, dans
lintérêt de la reconstruction européenne, fortifiera lé régime
antidémocratique de lHitlérisme. Ne pourrait-il pas alors se faire gloire :
"Nous avons obtenu ce que les autres, les mauvais Allemands, les gouvernements mous,
n'ont jamais pu obtenir avant nous." Et puis, ne serait-ce pas pécher contre
lesprit sacré si la politique dun pays démocratique en reniait
aujourdhui le premier principe fondamental, à savoir : que lEurope est une
unité indivisible et que celui qui, au sein de cette unité, fait tort à un autre, se
porte préjudice à lui-même. UNE POLITIQUE EUROPEENNE DANS LE MEILLEUR SENS DU MOT,
PRUDENTE, HABILE, FERME, CONDUITE EN DEHORS DE TOUTE ATMOSPHERE DE PANIQUE, EST CELLE QUI
POURRA LE MIEUX DONNER FORCE ET VIGUEUR AUX MILLIONS DALLEMANDS QUI ne
loublions jamais SONT AUJOURDHUI COMME HIER, ET PLUS QU'HIER, LES
ADVERSAIRES D'HITLER. Et aussi arracher à la Croix gammée dautres millions
qui, grisés par des promesses, se réveilleront de leur ivresse. Lhomme aime à
chercher des consolations et cest pourquoi il se dit : Peut-être était-il
nécessaire que le peuple allemand traversât encore ce dernier enfer pour reconnaître
enfin quil ny a pas de salut en dehors de la foi dans la liberté
démocratique et dans la solidarité européenne. Peut-être cette crise, avec ses
déconcertants accès de fièvre et ses contorsions épileptiques qui font floconner
lécume sur la bouché hurlante du patient, peut-être est-elle la crise salvatrice
qui détermine la guérison ? Espérons-le ! Il est vrai que cet espoir ne pousse que
comme une timide violette aux bords dun bouillonnant cratère volcanique prêt à
vomir le feu et à engloutir et détruire toute la civilisation européenne sous des
masses brûlantes de lave. (2) En français dans le texte. (N. du Tr.) |