Retour page précédente | Les symboles des quatre évangélistes (savoir plus) |
Jean-Daniel Kaestli, professeur à l'université de Lausanne et directeur de l'institut romand des sciences bibliques, apporte les précisions suivantes :
Dès le départ, l'attribution de quatre symboles différents aux quatre évangélistes
a sa source dans la vision de la gloire divine d'Ézéchiel (les quatre vivants
d'Ez 1,5 ss.) et dans la vision du trône de Dieu de l'Apocalypse, ch. 4 (les
quatre animaux ou vivants d'Apoc 4,6 ss.). Mais un fait important est à noter,
qui explique la diversité des attributions que l'on rencontre chez les auteurs
patristiques: Ez 1,10 mentionne les "faces" oules "visages"
dans l'ordre homme (H) - lion (L) - taureau (T) et aigle (A), alors qu'Apoc 4,7
rapporte successivement que les autre animaux ressemblaient à un lion, à un
jeune taureau, avait une face d'homme, ressemblait à un aigle qui vole (ordre L
- T - H - A).
Le premier auteur à avoir mis en relation les quatre évangiles et les quatre
vivants est Irénée de Lyon), dans son traité "Contre les hérésies"
(rédigé vers 180), livre III,11,8 (édition et traduction par A. Rousseau et
L. Doutreleau, dans la collection "Sources chrétiennes "n° 211,
Paris, Cerf, 1974, p. 160-171). Il le fait en suivant l'ordre d'Apoc 4,7 et établit
les correspondances suivantes: (1) "semblable à un lion" caractérise
la puissance, la prééminence et la royauté du Christ-Logos, c'est-à-dire l'Évangiles
de Jean, qui raconte "sa génération prééminente, puissante et
glorieuse" (citation de Jn 1,1 et 1,3). (2) "semblable à un jeune
taureau" manifeste sa fonction de sacrificateur et de prêtre, c'est-à-dire
l'Évangile
de Luc, qui est de caractère sacerdotal puisqu'il "commence par le prêtre
Zacharie offrant à Dieu le sacrifice de l'encens" (cf. Lc 1,9).(3) "un
visage comme celui d'un homme" évoque clairement sa venue humaine, c'est-à-dire
l'Évangile de Matthieu qui raconte sa génération humaine (citation de
Mt 1,1 et 1,18). (4) "semblable à un aigle qui vole" indique le don
de l'Esprit volant sur l'Église, c'est-à-dire l'Évangile de Marc,, "qui
commence par l'Esprit prophétique survenant d'en haut sur les hommes"
(citation de Mc 1,1-2, notamment "selon qu'il est écrit dans le prophète Isaïe").
Selon le témoignage d'Irénée, qui est le plus ancien, les relations L = Jn et
A = Mc sont différentes du symbolisme qui s'est imposé par la suite et qui
caractérise notre tradition iconographique. Ce symbolisme traditionnel s'est
imposé grâce à l'autorité de Jérôme, qui l'expose dans la Préface "Plures
fuisse" de son "Commentaire sur saint Matthieu", rédigé en 398
(éd. et trad. de E. Bonnard, coll. "Sources chrétiennes "n° 242,
Paris Cerf, 1977, p. 64-67). Jérôme cite Ez 1,10 et en suit l'ordre: H = Mt,
Mc = L, Lc = T, A = Jn.
[Voilà la préface de Jérôme dans la traduction des "Sources chrétiennes"
: "La première face , celle d'un homme désigne Matthieu qui dan son début,
semble écrire l'histoire d'un homme : "Livre de la généalogie de Jésus-Christ
fils de David, fils d'Abraham". La seconde désigne Marc, qui fait entendre
la voix du lion rugissant dans le désert : "Voix de celui qui crie dans le
désert : Préparez la voie du Seigneur, aplanissez ses sentiers." La
troisième face, celle du jeune taureau, préfigure l'évangéliste Luc qui
commence son récit au prêtre de Zacharie ; la quatrième, celle de l'évangéliste
Jean qui prend des ailes d'aigle pour s'élancer encore plus haut encore et traiter du Verbe de Dieu".]
La préface de Jérôme sera introduite dans les copies de la Vulgate, ce qui
explique l'adoption générale de son symbolisme dans l'Église d'Occident.
[N.B. Les Églises d'Orient n'ont pas accepté la conception d'Irénée qui met
en relation les quatre vivants avec les quatre évangiles, et c'est pourquoi
l'art byzantin ne compte que très peu de représentations liant les évangélistes
aux symboles de la vision d'Apoc 4 (Ez 1) - les rares exceptions ont subi
l'influence de l'Occident.] Mais Jérôme n'est pas le premier, ni le seul Père
à témoigner de cette répartition des symboles. On la trouve aussi chez
Victorin de Pettau (mort en 304), dans ses "Scholies sur Apoc. 4,7-10 " (texte dans Migne, Patrologia Latina, 5, 324-325) et
chez Epiphane de Salamine, "De mensuris et ponderibus", rédigé en
392 (je n'ai pas la référence exacte).
Je connaissais déjà la différence entre Irénée et Jérôme sur ce point.
Mais j'ignorais les témoignages de Victorin et d'Épiphane que je viens de
citer. Je les ai repérés en consultant le Lexikon der christlichen
Ikonographie, édité par E. Kirschbaum (art. "Evangelisten und
Evanglistensymbole", Bd. I, Rom-Freiburg-Basel-Wien, Herder, 1968, col.
696-713). J'y ai aussi appris qu'un troisième type de correspondances est
attesté à l'époque patristique, à savoir. L = Mt, H = Mc, T = Lc et A = Jn.
On la trouve chez Hippolyte de Rome (mort en 235), dans un fragment conservé de
son "Commentaire
d'Ézéchiel" (éd. N. Bonwetsch - H. Achelis Hippolytus Werk, GCS 1,2,
Leipzig, 1897, p. 183) et chez Augustin, "De consensu evangelistarum"
I,6,9, écrit vers 400 (Patrologia Latina 34, 1046-1047).
Jean-Daniel Kaestli, professeur à l'université de Lausanne et directeur de
l'institut romand des sciences bibliques.