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 CRAPOUILLOT juillet 1933

P 27-28-29-30

       LE COUP D'ETAT

 

  Mais le grand coup fut frappé le 27 février par l’incendie du Reichstag. De cet incendie on ne peut dire qu’une chose : s’il y a une providence et que cette providence soit de connivence avec Hitler, alors, - mais alors seulement, - ce sont les communistes qui ont mis le feu au Parlement. D’ailleurs, pour quiconque possède du jugement et du bon sens, la signification et le but de cette comédie sont que le Reichstag a brûlé afin que la guerre faite aux partis d'opposition puisse être poussée à son extrême. Car même celui qui connaît l’Histoire et sait pertinemment de quelle manière infâme le suffrage universel a déjà été trompé et exploité par des gouvernements dénués de scrupules, même celui-là devra reconnaître : jamais une grande nation n'a été aux urnes dans des conditions semblables, n’a été tenue autant à l’écart de la vérité, autant exposée au feu roulant du mensonge, bâillonnée, garrotté, étourdie de coups en plein front, livrée à une terreur aussi effrénée, que le peuple allemand en ce jour d’élections du 5 mars 1933.Les mots sont insuffisants pour dépeindre ces élections. il faut les avoir vécues, les avoir douloureusement subies. Et pourtant ! que malgré l’avalanche de promesses et de mirages, de calomnies et de menaces, malgré cette débauche de propagande, malgré la terreur, des millions et des millions d’électeurs ne se soient pas laissé ébranler dans leur volonté de voter contre Hitler, c’est un fait tout à l’honneur du peuple allemand et c’est aussi la preuve qu’il possède un fort et incorruptible noyau républicain et démocratique.A côté de sept millions de socialistes, cinq millions du Centre, trois millions et demi de communistes, dans de telles élections. dix-sept millions d’Hitlériens, soit pas plus de 44 % des électeurs, —cela n’est pas une victoire glorieuse pour la Croix gammée. Quoi qu’il en soit, la coalition Hugenberg-Hitler avait au total, avec 52 % des voix, une majorité derrière elle, à l’aide de laquelle elle pouvait gouverner. C’est une chance qui, depuis longtemps, n’était échue à un gouvernement allemand. Bien Que le 5 mars ait été moins l’expression, mais une gigantesque falsification de la volonté populaire, Hitler-Hugenberg sont maintenant "légalement" au pouvoir. Mais l’Allemagne de la Croix gammée ne célèbre-t-elle pas une nouvelle révolution de mars, — sous un signe différent de celui de 1848, la révolution dite "nationale"? Une révolution ? Prenons lus faits sous la loupe.Le signe essentiel d’une révolution est quelle soit un soulèvement populaire contre l'autorité de l’Etat. Dans les révolutions classiques qui se sont déroulées sur le sol français, les masses populaires remportaient la victoire sur l'autorité établie — que ce fût en1789 aussi bien qu'en 1830 et 1848 — et même cette caricature de révolution qui, en 1918, fonda en Allemagne une république, même celle-là était en ce sens une révolution, qu’un mouvement populaire balaya des autorités légalement existantes. Mais en mars 1933, ce sont, ivres de leur succès électoral, les autorités de l’Etat qui font, elles-mêmes, une "révolution", en commettant ou en provoquant des coups de force en violation du droit, des lois et de la constitution. Du côté de la "révolution", on trouve tout le puissant appareil de l’Etat avec la force armée, la police et la Reichswehr. Voilà, n'est-il pas vrai, le type même d'une révolution!.. Cette "révolution" commença par ceci, que le gouvernement de Berlin institua dans les neuf pays où les Hitlériens n’étaient pas encore au pouvoir, c’est-à-dire donc avant tout en Bavière, Saxe, Würtemberg, Bade et Hesse, des commissaires du Reich chargés de la police, et qu’il s’empara ainsi de la force armée. Sous la protection de cette force armée, les bandes brunes de la garde prétorienne d’Hitler s’élancèrent contre les autorités légales, partout elles faisaient obstacle ou même simplement gênaient les National-socialistes.Où de simples menaces accompagnées d’une "démonstration" des Sections d’Assaut s’avéraient insuffisantes pour forcer les autorités à se retirer, on procédait joyeusement à des arrestations. Le Président de l'Etat de Bade, des ministres bavarois et des secrétaires d’État, nombre de maires et d’ Ober-bourgmestres furent purement et simplement arrachés à leur fauteuil pour permettre à des Hitlériens bon teint de s’y prélasser.Cela n’a pas été sans susciter dans le monde entier un certain étonnement de voir que, notamment les pays de l'Allemagne du Sud aient subi ces coups de force sans tenter ne serait-ce qu’un soupçon de résistance. De même les partis ouvriers n'avaient-ils pas abdiqué ? Ni les Social-démocrates ni les communistes, ni l’association de la "Bannière d’Empire", ni le "Front d’Airain" n’avaient même levé le petit doigt, bien qu’ils disposassent d’importantes formations militaires pour résister à la violence de la Croix gammée. Quant au Centre, il ne parvint même pas à élever la protestation la plus platonique. Cependant, l’explication de cette attitude n’a pas à être cherchée bien loin. Une insurrection armée contre l’autorité de l’État n’a des chances d’aboutir que lorsqu’on possède soi-même des armes, et que cette autorité est déjà affaiblie. Mais des armes, les organisations de défense des gauches n’en possédaient pas ou insuffisamment, et le gouvernement Hitler-Hugenberg — loin d’être affaibli — était, après le 5 mars, à l’apogée de sa force et de son prestige. Le fait que les ordonnances organisant le viol de la constitution et des vacances de la légalité émanaient d’un gouvernement régulier, ce fait paralysa ipsof facto la volonté de résistance de beaucoup d’Allemands qui possèdent, à un degré plus élevé que d’autres peuples, le sens de la légalité et de l’obéissance. Enfin, les 52 % des voix recueillies aux élections donnaient au gouvernement de la contre-révolution, — car c’est bien d’une contre-révolution qu’il s’agit — imprimaient à ce gouvernement, précisément aux yeux de nombreux démocrates sincèrement attachés au principe majoritaire, le sceau de la volonté populaire. Une résistance à un tel gouvernement apparaissait comme un crime contre la démocratie. En ce qui concerne particulièrement la Bavière, il vient s’ajouter à cela que le parti jusqu’ici au pouvoir, le parti populiste bavarois, avait été sensiblement touché par les élections du 5 mars et que la plupart de ses forteresses électorales avaient été sérieusement ébranlées. Il ne faut pas oublier non plus que les coups portés contre tout ce qui provoquait la haine ou la suspicion des Hitlériens, le furent avec une rapidité et une brutalité telles que l’on avait à peine le temps de réagir.

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LE REICHSTAG EN FLAMMES (N.Y.T)

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