CRAPOUILLOT juillet 1933 |
P 23 à 27 |
LE SUICIDE DE LA REPUBLIQUE ALLEMANDE |
La République de 1918 était fille non
dune révolution, mais dun véritable écroulement : elle était lourdement
grevée de lhypothèque de la défaite. En outre, elle avait contre elle, dès son
début, ou tout au moins pas avec elle, ... d'importantes forces sociales telles
que la Reichswehr, les hobereaux est-elbiens, la grande industrie, ainsi que de nombreuses
couches agricoles. Dautres facteurs de faiblesse pour elle étaient, à
lextérieur la pression de lEntente, à lintérieur les assauts du
communisme. Celui qui veut porter un jugement équitable ne doit pas oublier que jamais
peut-être un jeune Etat libéral na eu, dès sa naissance, à lutter contre tant de
vents contraires que la République allemande. Mais, même dans le cadre de ce qui lui
était offert, elle ne fit pas tout ce que lui commandait lheure, elle
népuisa pas toutes les possibilités que celle-ci lui donnait. Elle allait,
cahin-caha, opérant, dans des temps nouveaux, avec le vieux personnel des partis
surannés, avec des hommes souvent politiquement tarés. Elle na pas osé couper
résolument les ponts qui la reliaient. au passe parce quelle se leurrait de
pouvoir, grâce à ces ponts, attirer à elle et réconcilier les groupes irrités de ceux
qui se tenaient à l'écart et boudaient le régime. Alors que la propagande hitlérienne
rejetait véhémentement et sans scrupule sur la révolution de novembre la
responsabilité de tous les maux dont souffrait le peuple allemand pendant quelle
clouait au pilori des hommes tels que Rathenau et Stresemann en les accusant dêtre
des traîtres à la solde de létranger, pendant quelle attribuait à la
République une seule ambition, celle de "livrer aux Juifs de la finance
internationale le produit du travail allemand ", la République, dans sa
modération et sa timidité, nosait pas proclamer la vérité en rejetant la
responsabilité de la grande misère de laprès-guerre sur lAllemagne
Impériale qui sétait inconsidérément lancée dans la guerre et lavait
perdue. Les grands moyens déducation du peuple et de propagande étaient
entre les mains de la République, lécole et la Radio, mais elle ne
les utilisait pas. Elle tolérait dans les écoles, que des maîtres d opinion
monarchiste la couvrissent dignominie. Quant à la Radio, elle devait rester
strictement "neutre". La République agissait comme le ferait un homme qui, se
sentant atteint dune maladie grave, noserait la combattre par crainte de
prendre parti entre la maladie et la santé. Par la faiblesse de sa volonté et par son
goût de la " neutralité " la vie de la République allemande naura été
quuni long suicide. La base parlementaire de la République était, à
lorigine, la coalition de Weimar entre la Social-démocratie, les Démocrates et le
Centre. La disparition progressive de la démocratie bourgeoise ainsi que la
multiplication des éléments extrémistes National-socialistes dun côté et
communistes de lautre qui, tous les deux, avaient pour but la destruction de
lordre existant, retira à cette coalition de Weimar la base même de son existence.
Les ennemis de loeuvre de Weimar, les adversaires de la République
Noire-rouge-et-or devinrent ainsi petit à petit, une majorité qui. toutefois, en raison
de son incompatibilité foncière Hitlériens et communistes savérait
absolument incapable de gouverner. Cétait une majorité négative, une conjonction
de haines, daccord pour détruire, non pour construire. Pour couper à ces
éléments extrémistes lherbe sous les pieds, donc, en dernière analyse dans le
but déviter une dictature fasciste, le centriste Dr Brüning employa un remède
tiré de la pharmacopée homéopathique : similia-similibus il
chercha à gouverner non avec la collaboration du Parlement et de la démocratie, mais en
se basant : primo, sur la confiance personnelle du Président dEmpire ; secundo, sur
un décret-loi du Reichstag qui lui permettait dappliquer des "ordonnances de
détresse" en dehors du Parlement. Cest dans ce même esprit de défense contre
la dictature fasciste, quau printemps de 1932, lorsque les pouvoirs du Président
dEmpire vinrent à expiration, fut prise la résolution des partis de Weimar de
voter pour le Maréchal von Hindenburg. Cétait, en effet, le seul moyen
déviter lélection dHitler dans lequel les masses désesperées
voyaient le seul " Sauveur " Hindenburg fut élu par les voix des
social-Démocrates, du centre, des démocrates (parti d'Etat) et du parti populiste
allemand.
Mais cela semble dans lhistoire politique du Maréchal une tragique fatalité
quil doive toujours décevoir ceux qui placent en lui leur espoir. Une première
fois il avait, violemment combattu par les gauches, été élu président par la coalition
des droites. Quels espoirs ne sétaient pas alors concentrés en lui : Coup
dEtat, abolition de la République, rétablissement monarchique. Mais Hindenburg les
déçut en prêtant serment sur la constitution de Weimar et en tenant ce serment. En
acceptant les couleurs noire - rouge et or, et en leur restant fidèle.Lorsquen 1932
il fut élevé sur le pavois par les gauches, ceux-ci espéraient à tout le moins
quil garderait à la constitution sa Fidélité dantan quil défendrait
la République contre le fascisme et engagerait contre lhitlérisme la pleine et
entière autorité de son nom. Mais loctogénaire ne tarda pas et
linfluence de son fils, le vieux colonel von Hindenburg, qui est aussi
lofficier dordonnance du Maréchal, ny fut pas étrangère à
subir les assauts des milieux qui le touchent de plus près, dont il est plus exactement
issu et auxquels le lie un patrimoine commun didées et de traditions, à savoir :
larmée et les junkers est-elbiens. Lambitieux et inquiétant général von
Schleicher creusait son réseau dintrigues souterraines, et les barons de lEst
prussien qui, depuis longtemps, guettaient la fin de la République, surent persuader le
vieux Maréchal que le programme agraire pourtant réellement bénin et inoffensif de
Brüning sinspirait directement du pur esprit bolcheviste.
Dune manière inattendue pour le public, Hindenburg remercia Brüning en été 1932 et fit appel à M. von Papen qui, appartenant jusque-là à laile droite du parti centriste, forma un " cabinet autoritaire " indépendant du Reichstag, et qui, en effet, se montra plus autoritaire, cest-à-dire : réactionnaire, quaucun gouvernement ne lavait été depuis 1918. Le langage quil tint au peuple était authentiquement celui des grands féodaux de lempire wilhelminien. Ni plus, ni moins. Mais les nouvelles élections ordonnées après dissolution du Reichstag ne parvinrent pas à lui fournir une base de travail parlementaire pas plus que son plan pour procurer du travail aux chômeurs véritable construction de dilettante ne fut voué au moindre succès. Cest clans ces conditions que son ministre de la Guerre, von Schleicher, parvint à lui tendre dans la coulisse le fatal croc-en-jambe qui consacra sa chute, von Schleicher recueillant personnellement lhéritage. Les partis de droite ont toujours cherché à déconsidérer le parlementarisme et la démocratie en dénonçant les interminables marchandages entre les partis, le " maquignonnage " (Kuhhandel) qui, en effet, faisait de chaque formation de ministère en spectacle assez honteux et peu ragoûtant. Mais toutes les " cuisines "passées nétaient rien en comparaison de ce que quelques mois seulement de ce " gouvernement autoritaire " révélèrent dintrigues malpropres, de manoeuvres louvoyantes et d'hypocrisie. Schleicher, qui avait eu, lui aussi, "ses" élections sans en tirer un succès plus grand que von Papen des sie nes se rendit bientôt suspect par quelques discours dune inspiration jugée trop "sociale" dans les milieux conservateurs qui voyaient en Papen et Hugenberg les défenseurs de leurs intérêts. Il devenait urgent de léliminer avant quil nait commis quelque dégât irréparable Dans ce but, Papen saboucha avec Hitler auquel, à deux reprises le Président Hindenburg en août et novembre 1932, avait offert de constituer le cabinet en sa qualité de chef du parti numériquement le plus fort, mais qui avait refusé chaque fois parce que le Maréchal ne voulait pas déposer entre ses mains un pouvoir total à la Mussolini.
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Dailleurs, les partis qui épaulaient
Papen et Hugenberg ne pensaient pas un instant à investir des pouvoirs de lEtat le
"peintre en bâtiment" venu dAutriche. Ce serait mal connaître les barons
est-elbiens ! Ils ne songeaient à cause des millions délecteurs quil
avait derrière lui quà lexploiter pour leurs fins réactionnaires,
puis à lécarter au moment quils auraient choisi. Toutefois, Hitler
possédait assez (linstinct pour flairer les mobiles trop intéressés de ces
caresses de chat. Cest pourquoi, à nouveau, en janvier 1933, comme il lavait
fait en août et novembre 1932, il refusa la succession de von Schleicher, fidèle au
principe : Àut Caesar, aut nihil ! Partager avec Hugenberg et Papen, pas si bête
! Que se passa-t-il dans la nuit du 29 janvier qui vit Hitler quitter brusquement le
terrain sur lequel il sétait jusque-là solidement maintenu ? Voilà une question
à laquelle un homme pourrait certainement répondre : le général von Schleicher.
Existait-il une conspiration militaire ? La Reichswehr était-elle prête à marcher ?
Schleicher sest-il trouvé devant son 18 Brumaire, sur le point de faire arrêter
Hitler et Papen, puis, sappuyant sur la force des mitrailleuses, à proclamer sa
propre dictature? Monsieur von Schleicher fait le tour du monde et Monsieur von Schleicher
est muet. Ce qui est certain, cest quun appel ému dHindenburg au
patriotisme dHitler, pour éviter le danger pressant que les " forces
nationales " en viennent à se diviser et à sentre-déchirer, eut raison des
hésitations dît chef national-socialiste et détermina son changement dattitude.
Mais ce nest pas de gaîté de coeur quil se trouva prêt à entrer, avec
Hugenberg et Papen, dans la " coalition nationale ". Ceci se passait le 30
janvier. Ce jour fit dHitler, contre son gré, un chancelier dEmpire, lui
imposa, contre son gré, le sceptre du pouvoir. Mais des deux jumeaux qui, dans le lit du
nouveau gouvernement, devaient reposer amicalement et fraternellement côte à côte,
lun, le rejeton national-socialiste, se montra bientôt le plus robuste, le plus
remuant, et il eut tôt fait de repousser le plus timide national-allemand et sans
douceur contre le mur. Bien que Hugenberg eût pris au gouvernement des gages
importants, il savéra bientôt que le nouveau cabinet vivait fortement sous le
signe de la Croix gammée. En outre, ce fut le dynamisme de la propagande hitlérienne qui
le Reichstag ayant été immédiatement dissous marqua de son sceau
volontaire les nouvelles élections. LHitlérisme fit bien voir à la République
ébahie comment on exploite à fond les moyens de propagande de lEtat. La Radio ne
déversa sur les auditeurs que des discours électoraux national-socialistes. Tous les
mensonges mille fois répétés tels que laffirmation que cest
lacceptation des plans Dawes et Young par les partis de Weimar qui est responsable
de la misère économique du peuple allemand, furent repris, amplifiés par
lautorité que leur conférait leur source gouvernementale et ils ne manquèrent pas
dimpressionner dinnombrables électeurs jusque-là assez indifférents aux
arguments politiques. Et nest-ce pas dans la mobilisation des abstentionnistes que
résida dès le début la force de lHitlérisme ? Mais la propagande fut complétée
et surpassée par linstitution de la terreur. Toute lagitation de
lopposition, et notamment celle de la Social-démocratie et des communistes, fut
étouffée. Interdiction des journaux, des réunions, des affiches, des tracts.
Les électeurs ne devaient entendre que la voix dHitler éclatant, aiguë, en
dhystériques modulations. A tout cela sajoutaient, surtout dans les campagnes
et les petites villes, les sanglants et habituels coups de force des Sections
dAssaut dans le but dintimider les électeurs.
VON PAPEN |