CRAPOUILLOT juillet 1933 |
P 22-23 |
DU PROPHETE WEISSENBERG AU PROPHETE HITLER |
Après toutes les grandes catastrophes et dans toutes les
grandes crises de lhistoire, on trouve lindustrie florissante des faiseurs de
miracles et des charlatans. A Berlin, depuis la fin de la guerre, le " Prophète
" Weissenberg, qui se dit successeur de Jésus-Christ, bien quil ne parvienne,
avec la meilleure volonté, quà ressembler à un ancien sergent-infirmier, ce
prophète connaît une vogue incomparable. Dans ses réunions où il débite les plus
incroyables lieux communs sur un ton messianique, des hommes, des femmes, tombent en
transe et se mettent à parler dans des langues étrangères. Lui-même guérit par
limposition des mains en saccompagnant de formules cabalistiques. Cela
conduisit naguère le "Prophète" devant les tribunaux pour homicide par
imprudence, car il avait tenté de guérir de la cataracte un de ses adeptes, et ce, en
enduisant loeil malade dune couche de... fromage blanc. Ce remède
nayant eu pour effet que daccélérer la perte de lorgane atteint,
Weissenberg fut condamné à une peine demprisonnement, sans pour cela perdre un
seul de ses adeptes. Des dizaines de milliers, peut-être des centaines de milliers
dêtres lui ont donné leur foi. Hitler, cest le Prophète Weissenberg
sur le plan politique ! Ses méthodes de guérison, à lui aussi, sont du fromage blanc
contre la cataracte. Mais les masses courent à lui parce que - avec sa formule du IIIème
Reich , il sérige en Messie, et, plus encore, parce quil promet à chacun ce
quil désire. Littéralement, il promet tout à tous. Hitler promet aux chômeurs du travail: et tous les chômeurs votent pour Hitler. Hitler promet aux artisans les temps prospères de jadis : et les artisans votent pour Hitler. Hitler promet aux industriels la réduction des charges sociales : et les industriels votent pour Hitler. Hitler promet aux locataires des loyers modérés et les locataires votent pour Hitler. Hitler promet aux propriétaires un meilleur revenu de leurs immeubles et les propriétaires votent pour Hitler. Hitler promet aux contribuables une administration peu coûteuse : et les contribuables votent pour Hitler. Hitler promet aux fonctionnaires des traitements plus élevés : et les fonctionnaires votent pour Hitler. Hitler promet aux consommateurs la vie moins chère et les consommateurs votent pour Hitler. |
Hitler promet aux grands propriétaires terriens une
protection douanière et une remise de leurs dettes : et les grands propriétaires
terriens votent pour Hitler. Hitler promet aux anciens officiers et aux officiers de réserve de lArmée Impériale une nouvelle et grande armée avec possibilités dengagement et de promotion et les officiers votent pour Hitler. Hitler promet aux médecins sans clientèle, aux avocats sans causes, lélimination de leurs concurrents juifs : et les médecins, les avocats votent pour Hitler. Hitler promet aux porteurs demprunt de guerre dévalorisés une revalorisation intégrale de leurs titres elles porteurs demprunts votent pour Hitler. Hitler promet aux " nouveaux pauvres " de linflation une expropriation en leur faveur des magnats de la Bourse et de la Banque " : et les victimes de linflation votent pour Hitler. Si les lycéens étaient électeurs, Hitler leur promettrait labolition des verbes irréguliers: et les lycéens voteraient pour Hitler. Car les promesses ne coûtent rien! Dans ces conditions, ce qui eût été étonnant chez un peuple dont les nerfs ont été ruinés de fond en comble par la crise économique, ce qui eût été étonnant, ce nest pas la multiplication des voix national-socialistes. Cest le contraire qui aurait confiné au miracle. Les élections au Reichstag du 14 septembre 1930 attirèrent pour la première fois une sérieuse attention, tant en Allemagne que dans le monde entier, sur le mouvement hitlérien. 6.400.000 électeurs sétaient décidés en faveur dHitler : 107 national socialistes, au lieu du petit groupe insignifiant dhier, entraient tout à coup au Reichstag. Aux élections de juillet 1932, les voix de 1930 se trouvèrent doublées et les Hitlériens devenaient la fraction la plus nombreuse du Parlement. Et bien que les élections de novembre 1932 aient amené un recul de 2 millions de voix, à tel point que les optimistes croyaient déjà avoir éliminé le danger de la Croix gammée, le pouvoir dattraction de lHitlérisme nétait pas brisé tant que durait la crise économique. Parce que la crise durait ! Dautant plus que la République ne lui opposait quune défense trop faible, avec une volonté trop molle et des moyens insuffisants. |