CRAPOUILLOT juillet 1933 |
P 21-22 |
CHOMAGE ET MISERE LES ALLIES DE HITLER |
Si les élections au Reichstag de mai 1924 se ressentirent encore des derniers soubresauts de linflation pour rapporter au mouvement raciste trente-deux sièges au Parlement, la stabilisation de la monnaie et de la situation économique exerça dès les élections suivantes, en décembre de la même année, son influence lénifiante la moitié des électeurs déserta la Croix gammée, et le nombre des mandats hitlériens tomba à quatorze. Lorsque, finalement, les crédits étrangers opérèrent dans lorganisme économique allemand épuisé une sorte de transfusion sanguine, lorsque, dans lindustrie, les reprises se succédèrent sur un rythme accéléré et que les chômeurs furent ainsi absorbés presque jusquau dernier par les usines, lorsque, en un mot, une nouvelle prospérité économique sinstaura, alors les chances du National-Socialisme fondirent comme du beurre au soleil. Les élections législatives de 1928 - il ny a pas cinq ans de cela ne rapportèrent, en dépit de tous les efforts désespérés, malgré largent semé à profusion et toute une publicité à laméricaine, pas plus de 807.000 voix, soit tout juste12 mandats électoraux. Mais déjà le nouvel éboulement sétait déclaré dans léconomie allemande. Depuis lété de 1929 la chaîne des effondrements dimportantes entreprises courait sans interruption. De grandes fortunes sengloutissaient dans les tourbillons de ce Maelström. Les ouvriers, en masse, étaient rejetés à la rue. En janvier 1929, lAllemagne comptait 3 millions 300.000 chômeurs. Ce chiffre senfla rapidement pour atteindre 4, puis 5, puis 6 millions Cette masse pesait comme un énorme poids mort sur le corps de léconomie allemande. Sans collaborer à la création des richesses, les chômeurs | devaient être entretenus aux frais de la
communauté, mais comme, en raison du taux peu élevé des allocations de chômage, le
pouvoir dachat de ces millions dhommes allait toujours se rétrécissant, le
commerce et lindustrie, ainsi que les classes moyennes et lagriculture,
souffrirent bientôt de cet état de choses. Le marché intérieur devenait chaque jour
plus étroit ; de larges couches de la bourgeoisie étaient éliminées. Et encore, ce
chiffre de 6 millions de chômeurs, qui n a subi que de très petites variations durant
ces deux dernières années, ce chiffre ne dit pas, à première vue, toute la
somme de misères quil représente en réalité. Si lon tient compte des
femmes et des enfants, des familles de chômeurs, il y a, en fait, vingt millions
dAllemands condamnés à subir la faim et la détresse. Vingt millions
dAllemands saisis à vif par la crise et broyés par elle! Vingt nouveaux millions
touchés indirectement par ses répercussions. Le reste, encore vingt millions, à tout le
moins menacés par elle. Voilà le tableau effroyable que lAllemagne offre depuis
des semaines et des mois, que dis-je depuis des années. Ce nest que devant quelques
seuils privilégiés que sarrête le spectre de la misère avec son cortège de
souffrances morales. Une sombre désespérance sest emparée dinnombrables
existences qui ne gardent même plus lespoir dun changement, dune
amélioration, dune issue. Et la désespérance est mauvaise conseillère Derrière
le front dun désespéré, il y a peu de place où puissent se mouvoir la raison et
le bon sens. Celui qui se croit atteint dun mal incurable et qui na plus foi
dans lart du médecin, celui-là est mûr pour larrière-boutique du
rebouteux.
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