| 
  
    | I/ SA 
    VIE               
    Né entre 490 et 485 avant J.C., à Halicarnasse, en Asie Mineure, Hérodote 
    subit l'influence de cette région qui, dès le VI° siècle avant J.C., connut 
    une effervescence extraordinaire dans le domaine de la pensée et de la 
    réflexion. Mais, ayant participé à une tentative pour renverser le tyran de 
    cette ville, Hérodote doit s'exiler. C'est l'occasion pour lui de voyager et 
    de mener son Enquête (c'est le nom de son œuvre en grec : Historiè) à 
    travers des pays et des peuples très différents : l'Egypte, Babylone, les 
    bords de la mer Noire, dans le pays des Scythes etc... Au cours de ses 
    voyages (on a dit qu'il est aussi le père de la géographie  
    - il a fait connaître aux 
    Grecs du V° siècle avant J.C. l'ensemble du monde barbare -, 
    et d'ailleurs, aujourd'hui, une revue de géopolitique porte son nom), il a 
    pu parler avec les habitants, comparer les coutumes et voir les différences 
    mais aussi les points communs entre toutes ces civilisations.   
                  
    Lors de ses séjours à Athènes, il a  rencontré Sophocle et Périclès, et 
    le contact avec la civilisation athénienne a marqué son œuvre en lui donnant 
    le goût de l'analyse et en développant son sens de la politique. Il est 
    devenu citoyen de la colonie fondée par Athènes et Périclès dans le sud de 
    l'Italie, Thourioi, qui est devenue sa seconde patrie. L'influence d'Athènes 
    se sent particulièrement dans la dernière partie de son œuvre. Il est mort 
    aux alentours de 425 avant J.C. | 
    
     Hérodote
 |  II/ HERODOTE ET L'HISTOIRE             
Si, à la suite de Cicéron, nous pouvons considérer qu'Hérodote est "le père de 
l'histoire", ce n'est toutefois pas lui qui l'a créée. En effet, au  VI° 
avant J.C., en Asie Mineure, se manifeste un courant de pensée qui critique la 
vision purement mythologique du passé et s'efforce de rationaliser et de classer 
chronologiquement les événements. Cela passe par des chroniques, des généalogies 
et des récits de fondation de villes. Mais il ne s'agit pas encore d'une vision 
historique des événements. Hérodote en est l'héritier et il bénéficie en 
particulier du travail d'Hécatée de Milet  dont il utilise certaines 
sources. Même si Hérodote ne répond pas vraiment à la définition que nous 
donnons aujourd'hui de l'historien, il est tout de même le premier à être 
vraiment sorti de l'explication mythologique pour nous donner une réflexion 
basée sur la raison.                
Jacqueline de Romilly explique, dans le Précis de littérature grecque 
(éditions PUF), que les guerres médiques, le grand événement de la génération 
qui a précédé celle d'Hérodote, n'est pas étrangère à cette nouvelle conception 
de l'histoire. En effet, elles ont vu s'affronter deux blocs et non plus 
seulement des villes ou des familles. De l'histoire de quelques individus, on 
est passé à l'histoire de tout un peuple aux prises avec un autre peuple, et 
cela implique la compréhension des grands mouvements qui les voient s'affronter. 
Le récit de l'histoire n'est plus seulement une narration; il s'accompagne d'une 
analyse des raisons et des causes des événements. Cette analyse, qui est d'ordre 
politique et qui veut être un moyen de comprendre le présent, c'est ce qui fait 
d'Hérodote le père de l'histoire. III/ SON OEUVRE             
Le sujet principal de l'Historiè est le conflit entre les Grecs et les Perses, 
les guerres médiques. Mais Hérodote ne s'interdit pas des parenthèses qui lui 
permettent de parler de tout autre sujet. Ainsi il décrit l'Egypte dans deux 
livres, il raconte l'histoire de Crésus, roi de Carie pour mieux faire 
comprendre les causes lointaines des guerres médiques, il parle d'Athènes ou de 
Sparte etc... D'une manière générale, il mène une vaste enquête sur les peuples 
qui ont attaqué son pays ou qui leur étaient soumis (l'Egypte était sous 
domination perse, c'était également le cas de l'Inde occidentale par exemple).              
Dans la première phrase de son oeuvre, il expose son but en tant qu'historien : 
immortaliser le mérite des grands hommes, un peu comme Pindare l'avait fait, mais 
aussi expliquer les raisons des événements qu'il veut traiter : " Hérodote de 
Thourioi présente ici les résultats de son enquête, afin que le temps n'efface 
pas le souvenir des actions humaines et que les grands et merveilleux exploits 
accomplis tant par les Grecs que par les Barbares ne tombent dans l'oubli, avec, 
en particulier, la raison du conflit qui mit les uns et les autres aux prises."
             
Malgré sa volonté de raconter les faits à la lumière de la raison, il rapporte 
parfois des événements légendaires, mais il le fait avec détachement, voire avec 
ironie, et signale qu'il ne s'agit pas de faits avérés (par exemple à propos des 
enlèvements légendaires d'Hélène ou de Médée): "Pour ma part, je dois dire ce 
qu'on raconte, mais y croire, je ne le dois pas entièrement - et que cette 
déclaration vaille pour tout mon récit" (VII, 152) . Par contre, nous 
pouvons être surpris qu'il accorde de l'importance et considère comme sérieux et 
dignes de foi les oracles (par exemple les oracles de Delphes concernant 
Crésus), les prodiges ou les songes. Cet aspect le rapproche plus d'un poète 
épique comme Homère que des historiens modernes. Quand il y a plusieurs 
explications, il ne choisit pas toujours nettement (comme le fera plus tard 
Thucydide) car il veut tout raconter. D'une manière générale, il apprécie les 
récits colorés ou tragiques, les contes populaires, les descriptions de faits 
étonnants (momification ou amour des chats en Egypte par exemple), les 
merveilles de la nature (crue du Nil par exemple), les monuments exceptionnels 
(les Pyramides égyptiennes par exemple) ou les sentences à portée universelle et 
les débats d'idées. Son style aisé est celui d'un écrivain, loin de la 
sècheresse de l'énoncé des faits purement objectifs. Dans la comparaison avec 
son successeur, Thucydide, on a longtemps estimé que l'un est plutôt un conteur 
ou un ethnographe, tandis que Thucydide serait un historien à proprement parler. 
Mais depuis que l'histoire politique n'est  plus la seule à être jugée 
digne d'intérêt et que l'histoire anthropologique se développe, Hérodote est 
jugé plus favorablement. En tout cas, depuis la Renaissance, il est une source 
importante pour connaître l'antiquité orientale et l'archéologie est souvent 
venu conforter son témoignage.             
Il s'attache à déterminer les mobiles (les causes : aitiai) qui font agir tel ou 
tel personnage, mais il accorde la première place à la vengeance et les 
motivations politiques sont souvent considérées comme secondaires. Dans la 
tradition de l'historiographie antique, il fait tenir des discours à ses 
personnages; le choix du discours direct lui permet d'insister sur l'aspect 
anecdotique voire pittoresque. Cependant ses derniers livres présentent des 
discours vraiment politiques, dont le but est d'aider à comprendre le pourquoi 
des événements. Voici le contenu de ses neuf livres (dont chacun porte le nom 
de l'une des neuf Muses mais qui ont été divisés seulement à la période 
alexandrine) : Livre I: L'empire perse sous Cyrus; moeurs et coutumes des 
Mèdes et des Perses. Livre II: Cambyse, successeur de Cyrus, veut attaquer 
l'Egypte : c'est l'occasion d'en faire la description. Livre III: Cambyse conquiert l'Egypte. Darius lui succède et 
réorganise l'empire. Livre IV: Darius échoue dans sa tentative de conquête des 
Scythes; description des Scythes. Livre V: Echec du soulèvement des Grecs d'Ionie contre la 
domination perse.  Livre VI: Première guerre médique : expédition de 
Darius en Grèce et victoire des Grecs à Marathon. Livres VII: Le fils de Darius, Xerxès, mène la seconde guerre 
médique. Livre VIII: Victoire des Athéniens à Salamine. Livre IX: Fin de la guerre. Les Grecs mènent une 
contre-offensive en Asie.  A propos de l'Egypte: Hérodote a séjourné dans 
le pays vers 450 avant J.C.; il a surtout visité le Delta du Nil et Memphis. Ses 
interlocuteurs sont des prêtres ou des interprètes, c'est-à-dire des gens 
cultivés et proches des Grecs expatriés. Il a été si impressionné par l'Egypte 
et ses coutumes qu'il a consacré à ce pays une centaine de pages (livre II) de 
son oeuvre. Il insiste sur les détails pittoresques et commet un certain nombre 
d'erreurs. Cependant, son oeuvre sur le passé de l'Egypte et sur son présent à 
l'époque de l'historien reste un ouvrage capital pour connaître la société 
égyptienne, sa religion, ses coutumes et son histoire. S'il décrit longuement la 
faune exotique de l'Egypte et à ses moeurs étranges ou ses caractéristiques 
étonnantes (crocodiles à la taille monstrueuse et à l'absence de langue, par 
exemple), il s'intéresse surtout à ses liens avec l'homme  (caractère sacré 
de tel animal, rites religieux le concernant etc.). Là encore, Hérodote s'adonne 
plus à l'ethnographie qu'à l'histoire naturelle.  IV/ LA PENSEE D'HÉRODOTE              Sur le plan religieux, Hérodote 
pense que le monde est gouverné par les dieux : ceux-ci fixent leur destin et 
leur parlent par l'intermédiaire des oracles; mais comme chez Sophocle, les 
hommes interprètent mal les paroles des dieux (cf. oracles destinés à Crésus). 
Le destin de l'homme étant précaire et changeant, la seule attitude possible est 
de se montrer juste et pieux en fuyant l'hubris (volonté déraisonnable et 
orgueilleuse de se mettre sur le même plan que les dieux au lieu de rester à sa 
place d'humain) : là encore, le parallélisme avec la tragédie est aisé. Les 
dieux, par jalousie,  abattent les puissants coupables de démesure (Crésus 
ou Xerxès par exemple).             
Politiquement, Hérodote est hostile à la tyrannie (il l'a montré dans ses 
actions lorsqu'il vivait à Halicarnasse) et pense que la supériorité des Grecs 
lors des guerres médiques tient au fait que c'était un combat d'hommes libres, 
soumis seulement à la loi, contre des hommes soumis à l'autorité d'un roi. Il 
souligne le fait que ces guerres ont vu s'affronter la liberté et la tyrannie et 
insiste sur le rôle positif d'Athènes dans la résistance de la Grèce face à 
l'envahisseur et dans l'émergence d'une conscience grecque  et d'une 
volonté d'union (panhellénisme). Cela ne veut pas dire pour autant qu'il méprise 
les Perses ou tout autre peuple étranger. Il fait au contraire preuve d'une 
grande tolérance et d'une curiosité insatiable pour leurs moeurs et leurs 
coutumes et son expérience de voyageur dans des pays divers lui fait  
penser que toute règle est respectable. Jacqueline de Romilly dit que l'histoire 
écrite par Hérodote est "colorée d'une sympathie humaine qui [...] rappelle 
Homère." (Précis de littérature grecque).                
Ainsi, du fait de son grand intérêt pour les coutumes des autres peuples, on 
peut dire qu'il a fait oeuvre d'ethnologue (cf. par exemple ce qu'il écrit sur 
l'Egypte), mais ses réflexions font parfois aussi de lui un moraliste. En effet, 
il n'est pas seulement intéressé et amusé par des coutumes insolites et 
extravagantes aux yeux d'un Grec : il est capable de prendre assez de recul pour 
comprendre que la connaissance des mœurs des autres peuples permet de 
relativiser la valeur des siennes et d'ouvrir son esprit. Ces paroles 
d'Hérodote, rapportées dans l'ouvrage d'André Bonnard (Civilisation grecque, 
Editions Complexe, t.2, p. 402/403) en témoignent:       
     " Si l'on proposait à tous les hommes de faire un 
choix parmi les meilleures lois qui s'observent dans les divers pays, il est 
certain qu'après un examen réfléchi, chacun se déterminerait pour celle de sa 
patrie; tant il est vrai que tout homme est persuadé qu'il n'en est point de 
plus belle. Il n'y a nulle apparence que tout autre qu'un insensé en fasse un 
sujet de plaisanteries. 
            
Que tous les hommes soient dans ces sentiments touchant leurs propres usages, 
c'est une vérité qu'on peut confirmer par plusieurs exemples, entre autres par 
celui-ci. Un jour Darius, s'adressant à des Grecs de son entourage, leur demanda 
pour quelle somme ils pourraient se résoudre à manger leurs pères une fois 
morts. Tous répondirent qu'ils ne le feraient jamais, quelque argent qu'on pût 
leur donner. Il fit alors venir de ces Indiens qu'on appelle Calaties, et chez 
qui la coutume est de manger ses parents ; et il leur demanda en présence des 
Grecs, à qui un interprète expliquait tout ce qu se disait de part et d'autre, 
quelle somme d'argent pourrait les engager à brûler leurs pères après leur mort. 
Les Indiens, se récriant à cette question, le prièrent de ne pas leur tenir un 
langage si odieux. Tant la coutume a de force! 
            
Aussi rien ne me paraît plus vrai que ce mot que l'on trouve dans les poèmes de 
Pindare: "La coutume est la reine du monde."   |