Les conditions de la découverte minoenne

Les conditions de la découverte minoenne et ses conséquences sur le travail actuel.

 Conférence d’Alexandre Farnoux :

(Notes prises par Isabelle Didierjean lors d’un voyage Athéna en Crète, en juillet 2003)

Ce sujet pose le problème de l’image et de l’imagerie que nous avons des Minoens. Au XIX° siècle, on considère qu’il n’y a rien avant la civilisation classique. L’art grec, c’est Phidias et l’Acropole. Avant, c’est la préhistoire ; il n’y a pas de production d’art. En 1870, Schliemann révolutionne les choses en montrant, Homère à la main, qu’il y avait autre chose auparavant. Troie, Mycènes et Tirynthe, c’est une civilisation antérieure : la civilisation mycénienne (dont on a des traces en architecture et en peinture sur vase), perdue puis retrouvée. Après Schliemann, on admet certes l’existence de la civilisation classique (dont témoignent les textes et les œuvres) mais aussi de celle qui lui est antérieure, la civilisation mycénienne.

En 1890 se pose une nouvelle question : qu’y avait-il avant les Mycéniens ? Evans part de l’idée de l’existence de quelque chose avant les Mycéniens. Il s’intéresse à des sceaux (décorés de scènes gravées ou de motifs floraux ainsi que de signes d’une écriture selon lui contemporaine ou antérieure aux Mycéniens). Ces pierres venaient de Crète ; il décide donc de s’y rendre en 1890 et achète de ces « pierres des îles » ou pierres de lait (favorisant le lait des femmes !). Il a trouvé d’autres choses sur place, inconnues sur le continent, y compris à Mycènes : des figurines et des peintures sur vases. Il y a donc quelque chose de différent en Crète. Albert (archéologue italien) et Damargne (archéologue français) parviennent à la même conclusion. Entre 1890 et 1900, les spécialistes européens viennent en Crète, à la recherche d’une civilisation crétoise. C’est une période troublée : révoltes contre les Ottomans puis régime des amiraux (français, russes, anglais et allemands). La Crète est alors partagée en quatre : cela explique qu’elle soit divisée en quatre  régions pour les fouilles (une région par pays) encore aujourd’hui. Les Français obtiennent la Crète de l’est : Malia.

 Evans, personnage atypique (aventurier et autodidacte) obtient Cnossos. Il est le premier à entreprendre des fouilles à grande échelle dès que la situation politique se stabilise. Les fouilles débutent à Cnossos en 1900. La totalité du travail archéologique (fouilles, études, relevés, photos, archives, publications etc…) est effectuée de 1900 à 1910, à raison de six semaines par an. La première année, Evans découvre la salle du trône et des tablettes portant une écriture nouvelle : c’est la confirmation de son intuition sur le rôle de la Crète dans la naissance de l’écriture. Il fouille avec les techniques de son temps mais il a un souci de la scintigraphie ; il remplit des carnets d’archives, ce qui lui permet de publier ses dix ans de fouilles grâce au rapport de 100 pages écrit chaque année. C’est une gigantesque somme, Le palais de Minos, qui rassemble tout ce qu’il a trouvé à Cnossos. Il a découvert un immense palais avec une salle du trône, des salles de prestige, des ateliers…

La salle du trône a entraîné l’appétit européen : des fouilles sont effectuées à Festos (par les Italiens), à Lato (par les Français). En fait ce dernier site est d’époque hellénistique. En 1918, les Français découvrent un palais à Malia. De 1900 à 1920, trois palais sont dégagés : Cnossos, Festos et Malia. L’information est centralisée par Evans : il a tout intégré dans sa publication des découvertes archéologiques de l’île. C’est une somme réalisée par une seul homme ! Cela a une conséquence : l’unité d’ensemble de cette redécouverte. Tout ce travail a permis les découvertes suivantes :

- la chronologie de la civilisation : grâce à la scintigraphie de Cnossos, on est passé de –1400 à –2000 (cela fait 600 ans de plus d’archives, d’art etc…). On aboutit à une chronologie raisonnée et relative :

* minoen ancien (I, II et III)

            * minoen moyen (I, II et III)

* minoen récent (I, II et III),

Cette chronologie s’appuie sur des critères stylistiques (par exemple les motifs floraux pour le minoen ancien I) et d’après les phases découvertes à Cnossos, qui s’adapte à Festos et à Malia et qui est applicable partout (avec toutefois des problèmes).

            - la compréhension de la société et du régime politique de la Crète, qui ne repose pas sur des textes (comme pour Schliemann s’appuyant sur Homère) mais seulement sur des tablettes (plusieurs centaines avec différentes écritures constituant trois systèmes : hiéroglyphique, linéaire A et linéaire B). Mais il n’y a pas de tablettes bilingues. Il s’agit sans doute d’archives du palais ou d’épopées antérieures à Homère, d’après Evans. Mais il n’y a pas de déchiffrement. La reconstitution de la société se fait donc par l’iconographie : les fresques et les bagues qui représentent certains moments de la vie des Minoens. Evans connaissait toutes ces représentations, il les a restaurées quand elles étaient abîmées. Ainsi il a reconstitué la religion minoenne à partir de la fresque du taureau et de l’athlète. Mais il ne faut pas oublier l’écart irréductible entre l’image et sa signification. Il y a aussi le problème de la reconstitution de fresques avec des morceaux épars. Par exemple le prince aux fleurs de lys est une image inventée car les morceaux ne vont pas ensemble ! L’idée d’un roi-prêtre régnant sur la société (cf Frazer, historien des religions : Le rameau d’or), pour Evans, constitue le premier stade de la culture européenne et il interprète donc les images à partir de cette hypothèse. Les faussaires fabriquent les images pour conforter cette idée ! Quelques faux ont trompé Evans. Avec le recul, on voit les erreurs mais son travail est considérable et a permis de se représenter le monde minoen avec une présentation au public des résultats.

            - la restauration des ruines (ce qui est le rôle d’Evans le plus contesté aujourd’hui et qui s’oppose à ce qu’ont fait les Français à Malia) : du fait de l’enfouissement et de l’érosion du palais, les étages ont parfois été conservés. Des étais ont été installés pour pouvoir descendre dans les étages inférieurs sans effondrement. Ils ont été consolidés grâce au ciment armé (après des essais avec le chêne d’Ecosse, mais c’était trop cher), c’est-à-dire avec un matériau contemporain. C’est une matière que l’on peut mouler : elle prend la forme des vestiges dégagés. Par exemple quand il y a des colonnes de bois carbonisées, on peut retrouver la forme d’origine. Mais il y a eu aussi de la reconstruction (toujours indiquée dans les archives quand elles outrepassent les indications réelles). Pour Evans, la Crète est aussi ancienne que l’Egypte, ce qui légitime le colonialisme européen.        

Le premier état du palais, c’est-à-dire datant de –1900, a été découvert en 1900 : il y a donc eu un effet de miroir. La découverte d’objets et d’animaux stylisés fait  songer à l’art nouveau à cette époque (s’opposant à l’art déco). Cela explique le choc considérable provoqué par cette découverte. L’art inspiré de la nature avaient déjà été découvert en –1900 ! Le palais de Cnossos est plus un palais art nouveau qu’un palais minoen ! A Malia, le palais a été arasé (transformé en carrière), il n’y a donc pas eu de reconstruction possible. C’est donc un vrai palais minoen et non une reconstruction. Le sentiment de retrouver une civilisation familière a contribué à faire accepter l’idée de reconstruire les ruines. Cette découverte a entraîné un écho dans les arts contemporains (dans les années 20 à 40) ainsi que des fouilles de l’île tous azimuts.

            En Crète, il y a des fouilles de sauvetage (grecques, liées au développement de l’urbanisme) et des fouilles programmées, étrangères (françaises, anglaises, américaines, italiennes…). Les découvertes récentes, jusqu’à il y a 5-10 ans, rentrent dans le schéma d’Evans (même le palais de Zakro découvert par Nicolas Platon) : de grands royaumes dominés par le palais de Minos à la fin de cette civilisation (les premiers palais datent de –1900 à –1600 et les seconds de –1500 à –1400). Les ruptures commencent à agir seulement maintenant :

            - en ce qui concerne l’art minoen : on a trouvé des exemples de sculptures en ronde-bosse semblables à celles de l’époque de Phidias (par exemple le kouros de Palaikastros) ;

            - on a trouvé des petits palais partout (ce ne sont pas des villas) : une cour centrale, des magasins, des ateliers etc … comme par exemple à Gournia ou à Galata ; c’est une rupture par rapport à l’idée d’une île divisée en grands royaumes : y avait-il un roi ou une communauté de citoyens ? L’idée du roi-prêtre est-elle encore valide dans ces conditions ?

            Ce qui est exceptionnel, c’est l’effet de miroir entre une civilisation redécouverte et  la civilisation qui la découvre et le fait que cette découverte soit centrée autour d’une personnalité unique. La question s’est posée de savoir s’il faut « dérestaurer » ou non Cnossos. Finalement, après une polémique, les restaurations ont été conservées.

            A Malia, il y a un palais et des quartiers d’habitation, d’où une grande variété des ruines, ce qui est exceptionnel. Pour Paul Faure, il ne s’agit pas de petits palais mais de temples dans lesquels on stocke des denrées. Pour Van Effenterre, il s’agit de communautés. Après sa mort, Evans a été très contesté car de son vivant aucune opinion divergente n’était possible. Pour les Grecs, la Crète est la région de développement le plus ancien (lois, arts) car elle est la plus proche géographiquement des Egyptiens (cf. Platon et Diodore). Ainsi le peuple crétois est un peuple prestigieux à l’époque classique grâce à l’ancienneté de sa civilisation.

            Cnossos est le troisième site le plus visité en Grèce après l’Acropole d’Athènes et Delphes. A propos du déchiffrement du hiéroglyphique et des linéaires : il faut 30 000 occurrences de signes pour espérer déchiffrer une langue, or il n’y en a que 10 000 pour le linéaire A. Le disque de Festos est toujours indéchiffrable : les signes qu’il comporte ne se trouvent nulle part ailleurs. Même le contexte de découverte n’est pas clair (car des objets d’époques très éloignées ont été découverts en même temps), d’où un problème de datation. Peut-être la thermoluminescence permettra-t-elle la datation.


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