Article de Paul Meyvaert, ancien directeur du Medieval Academy of America 

Préliminaires pour comprendre la mosaïque de Germigny-des-Prés

Un premier préliminaire est de faire connaître les "Livres Carolins" (Libri Carolini), appelés maintenant d'après le titre original, Opus Caroli regis contra synodum (Opus Caroli dans ce qui suit).

Le synodus ici signifie le Concile II de Nicée, tenu à Nicée et à Constantinople en 787. Deux légats du pape Hadrien I (chacun nommé Pierre) participèrent au Concile et rapportèrent avec eux à Rome un exemplaire des Actes Grecs du Concile. Le Liber Pontificalis nous dit que le pape fit traduire ces Actes en latin et les fit déposer ensemble dans "la sainte bibliothèque." Le Liber Pontificalis ne dit rien au sujet d'un envoi de la version latine en Gaule.

Première énigme: nous ne savons pas par quels chemins, ni par qui, ni exactement à quelle date, une copie de ce texte latin est arrivée à la cour de Charlemagne, où chose un peu étrange, elle fut acceptée comme un texte officiel provenant de Constantinople! L'Opus Caroli démontre, ad nauseam, que le texte latin traité dans cet ouvrage était considéré comme venant du Concile même. Les pères du Concile sont ridiculisés pour leur pauvre connaissance du latin etc...! Et ceci, (provenance non de Rome mais de Constantinople), est confirmé par la notice qui se trouve dans les Annales de York pour l'année 792.  Nous savons par la correspondance d'Alcuin qu'il avait quitté la cour pour retourner en Angleterre en 790 et qu'il y est resté trois ans, jusqu'en 793. La notice de York pour 792 dit ceci: "Charles, roi des Francs, envoya le livre synodal qu'il avait reçu de Constantinople, en Angleterre, livre dans lequel, hélas, se trouvaient beaucoup de choses contraires à la foi...  Contre ceci (contra quod) Alcuin écrit une lettre remplie des témoignages de la Sainte Écriture, et il rapporta cette lettre (ainsi que le livre même), de la part de nos évêques et nos souverains, au roi des Francs." Cela suggère fortement que l'arrivée du texte latin des Actes à la cour eut lieu après le départ d'Alcuin pour l'Angleterre en 790.

La traduction latine faite à Rome était fort mauvaise. D'un bout à l'autre il était question d'"adoration" des images, le traducteur ayant négligé de rendre le sens des divers mots grecs utilisés au Concile. On comprend donc l'impression causée par ce texte latin à la Cour. Nous savons d'ailleurs comment les choses se sont passées grâce au document rédigé en 825 pour Louis le Pieux par les évêques réunis à Paris: "Quand votre père, de sainte mémoire, fit lire ce synode [Actes de Nicée II] devant lui-même et les siens, et réprouva, comme il était juste, ce qui s'y trouvait à beaucoup d'endroits, il fit noter plusieurs des assertions dignes de reproche et les envoya par l'abbé Angilbert au pape Hadrien, à fin que par son jugement et autorité elles soient corrigées." Cette démarche montre qu'à ce moment-là les Francs pensaient que le pape allait se mettre d'accord avec eux pour condamner les passages en question. Cette liste de passages envoyés à Rome est perdu mais nous la connaissons à travers la réponse d'Hadrien, qui cite tous les passages pris des Actes dans l'ordre reçu par Angilbert, et cela nous montre que cette liste avait fourni le cadre pour l'ouvrage que nous appelons l'Opus Caroli. [L'Opus Caroli contient une longue Préface, puis 4 Livres, chaque Livre contenant environ 30 chapitres].

Le plan de préparer une réfutation théologique contre les Grecs doit dater des sessions quand les actes furent lus devant Charlemagne et ses conseillers. Il semble qu'il fut alors décidé de placer la réfutation sous le nom même du roi, comme défenseur de la vraie foi - point souligné fortement dans la Préface - et de confier la tâche, non à un comité de théologiens, mais à un seul individu. On peut soupçonner que cet individu s'était fait remarqué, et avait joué un rôle important au moment des discussions qui accompagnèrent la lecture des Actes. La préparation de l'Opus Caroli dut occuper plusieurs années entre 790 et 794 (date du Concile de Frankfort). Nous savons par les Annales Regni Francorum que c'est en 792 qu'Angilbert amena Felix, accusé de l'hérésie de l'Adoptianisme, au pape Hadrien à Rome, et il paraît vraisemblable que c'est à la même date qu'il apporta avec lui la liste des "erreurs" trouvées dans les Actes de Nicée II. 

Par chance le manuscrit de base de l'Opus Caroli, provenant de la cour même de Charlemagne, existe aujourd'hui dans la Bibliothèque du Vatican, sous le numéro Vaticanus latinus 7207. Il y manque la Préface et le Livre IV en entier. Ce manuscrit fut donné comme cadeau à la Vaticane en 1783 par le Cardinal Zelada, bibliothécaire de la Vaticane de 1779 à 1801. La couverture du manuscrit porte une note latine, en écriture du XVIème siècle: "Livre hérétique contre la vénération des saintes images apporté d'Allemagne en Italie par l'Illustre Cardinal C. Légat du Saint Siège." Zelada affirme que le cardinal en question était Campeggio, qui visita l'Allemagne plusieurs fois comme Légat du St Siège entre 1524 et 1532. Ce manuscrit avait appartenu au XIVème siècle à l'abbaye de Marienfeld, mais nous ignorons par quels chemins il tomba entre les mains de Campeggio. La survivance de ce manuscrit, absolument unique, apporte la clef à de nombreuses questions. [Autres remarques plus bas sur cette survivance].

Le fait que l'Opus Caroli est foncièrement l'œuvre d'un seul individu n'est pas sans importance.  Hubert Bastgen, responsable de la première édition critique des Libri Carolini, parue en 1924 dans la série Monumenta Germaniae Historica, après avoir étudié ce texte pendant des années, écrivit: "A supposer même que plusieurs théologiens de la cour - jeunes ou vieux, c'est tout un - aient participé à la préparation et à la réalisation de l'ouvrage, il faut cependant qu'un seul d'entre eux ait été l'artisan de sa rédaction et de son élaboration définitives. Car l'unité de l'ouvrage tout entier est manifeste pour quiconque se donne la peine de le lire de bout en bout...  Cette unité est si grande que la collaboration d'autres auteurs ne peut, dès l'abord, que s'être exercée dans la mesure la plus limitée... Partout ce sont les mêmes idées, le même style... Partout c'est l'observance la plus stricte d'un plan fixé une fois pour toutes... Donc ce n'est pas Charles, ce ne sont pas plusieurs théologiens, mais un seul qui est l'auteur." Après avoir également passé des années penchés sur ce texte, Ann et moi, souscrivons entièrement à ce jugement. On peut affirmer aujourd'hui, sans crainte de contradiction, que l'auteur unique de l'Opus Caroli est Théodulf d'Orléans (voir surtout l'Introduction de la Bibliographie N°6).

Pour Théodulf, nous ignorons la date de sa naissance mais nous savons qu'il était originaire de l'Espagne, non de la Septimanie (ou il a pourtant vécu un temps après avoir quitté l'Espagne). Ses connaissances étendues non seulement de la littérature patristique mais aussi classique suggèrent qu'il était de famille noble et avait vécu dans un milieu fort cultivé. Le Père Bonifatius Fischer nous avait suggéré qu'il venait peut être de Saragosse, où se trouvait la bibliothèque des évêque Braulio et Taio.  La campagne de Charlemagne en 778 vers Saragosse et la défaite à Ronceveaux sont bien connues, et certains historiens ont supposé que ce fut le moment ou Théodulf, qui se dit "inmensis cassibus exul," s'est échappé de l'Espagne. L'important est de reconnaître que l'Espagne Wisigothique a joué un rôle capital dans sa formation culturelle, et que ceci le mettait à part à la cour de Charlemagne. On peut souligner trois points où il diffère des autres: ses connaissances liturgiques, son latin, son attitude envers les images. Le lien entre histoire et géographie devient utile ici: car on peut souligner comment à un moment donné de l'histoire l'arrière plan culturel de régions, qui pourtant sont contiguës, peut différer parfois profondément. 

La liturgie.

Le corpus de poèmes que nous a laissé Théodulf date probablement d'après son départ de l'Espagne.  Dans un de ses premiers poèmes nous apprenons qu'il était diacre, et cela nous indique qu'il avait reçu une éducation cléricale, donc qu'il était très familier avec la liturgie de son pays d'origine. Or l'Espagne avait sa propre liturgie, fort ancienne, qui persista durant la période wisigothique et mozarabe et ne disparut qu'au moment de la reconquête au XIème siècle quand elle fut supprimée, avec l'aide des moines de Cluny, en faveur de la liturgie romaine.  Presque tous les manuscrits contenant la liturgie ancienne ont disparu. Mais un nous est parvenu, connu sous le titre d'"Antiphonaire wisigothique mozarabe de la cathédrale de León." Puisque la tradition musicale a été interrompue au XIème siècle, avant que la notation put être transposée sur lignes, nous nous trouvons aujourd'hui devant des pages pleines de notes que personne, hélas, n'arrive à chanter. Mais les textes de cette liturgie ancienne et unique peuvent être lus, et une première édition de cet Antiphonaire de Leòn, par les moines de l'abbaye de Silos, parut en 1928, et c'est cette édition qui a fourni à une jeune étudiante de Harvard, Ann Freeman, préparant sa thèse de doctorat (1957) la clef pour démontrer que l'Espagnol Théodulf était bien l'auteur de l'Opus Caroli (cette thèse a été publiée, Bibliographie N°1). Dom Louis Brou, qu'elle avait consulté comme le spécialiste de cette ancienne liturgie, lui écrivait: "Les citations apparemment scripturaires, mais si spéciales, des Libri Carolini, sont bien empruntées aux chants de l'ancienne liturgie espagnole, à l'exclusion de tout autre, car il n'existe aucune autre liturgie latine qui possède des textes de chant aussi spéciaux et aussi caractéristiques." On reconnaît que la familiarité des moines et clercs d'autrefois avec les textes de la Bible était fondée beaucoup plus sur la liturgie que sur une lecture méthodique des livres bibliques. Ces textes liturgiques d'Espagne n'étaient pas connus à la cour, et à beaucoup d'endroits du manuscrit Vat. lat. 7207 on voit le correcteur faire des changements (grattage, élimination de mots etc...) pour substituer le texte biblique/liturgique qui lui était plus familier (Pour le texte espagnol du psautier des Libri Carolini, voir Bibliographie N°3)

Le latin. 

Pour les Anglo-Saxons (Alcuin) et les Francs le latin était une langue apprise, (on apprend les mots, la grammaire, les règles, et on essaye de les suivre); en Espagne le latin était une langue vivante en évolution, et on s'adaptait à cette évolution, sans se préoccuper des traités de grammaire.  Heureusement aujourd'hui on est plus conscient de la diversité du latin qui existait dans divers régions, et en préparant une édition l'éditeur prend soin de laisser paraître les "anomalies" régionales. La nouvelle édition de l'Opus Caroli (1998) signale les nombreux cas où le latin "espagnol" de Théodulf fut corrigé par le membre de la cour chargé de revoir son texte. Pour ne donner qu'un exemple, l'inscription de la mosaïque de Germigny écrit CERUBIN. Ce mot, écrit comme tel, paraît 40 fois dans Vat. lat. 7207, mais chaque fois le correcteur a inséré un 'h' et changé le 'n' en 'm' pour rendre "cherubim." A plusieurs endroits dans le manuscrit Vat. lat. 7207 nous rencontrons la latinité d'un auteur espagnol. L'édition (Bibliographie N°6) rend compte de toutes les corrections qui se trouvent dans Vaticanus latinus 7207.

Attitude envers les images

Tous à la cour de Charlemagne condamnaient l'adoration des images, mais on aurait tort de croire que tous partageaient une même attitude envers les images religieuses.  Il est assez probable que l'attitude d'Alcuin correspondait à celle de son héros, le Vénérable Bède. Bède dans la Vie des abbés de son monastère donne une liste des saintes images rapportées de Rome par Benoît Biscop, le fondateur de Wearmouth-Jarrow, expliquant comment ces images étaient disposées sur tous les murs de l'église: "Ainsi" dit-il "ceux qui entraient dans l'église, même ceux qui ne savaient pas lire, n'importe vers quel côté ils se tournaient, pouvaient toujours contempler le doux visage du Christ et de ses saints, ne fut ce que dans une image, et méditer ainsi avec plus d'attention sur la grâce qui nous est accordée par l'Incarnation du Seigneur." Bède sentait donc une dévotion, un vrai rapport, envers ces saintes images.  Le même sentiment émerge du passage interpolé, (probablement au VIIIème siècle en Gaule), dans la lettre de Grégoire le Grand à l'ermite Secundinus. L'interpolateur fait dire à Grégoire: "Votre requête nous demandant de vous envoyer une image du Christ par l'intermédiaire de Dulcidius, nous a beaucoup plu, car cela montre que vous cherchez dans votre cœur celui dont vous désirez garder l'image devant vos yeux, afin que cette vision quotidienne vous tienne en alerte, et que voyant cette image, votre cœur brûle d'amour pour celui dont vous désirez contempler l'image." De tels sentiments ne se manifestent nul part dans l'Opus Caroli. Bien au contraire, c'est comme si l'auteur avait une frousse envers de telles images, croyant qu'il était trop facile de glisser de leur vénération dans l'idolâtrie. Certains passages de l'Opus Caroli laissent percevoir ses sentiments: ainsi "il est légitime d'encenser toute une église au moment de sa consécration, mais on encense en même temps une image peinte [e.g. du Christ] ayant des yeux qui ne savent voir..." Dans la conférence qu'elle a donnée à Spolète en 1993 (Bibliographie N°5) Ann Freeman a montré que l'attitude de Théodulf cadre parfaitement avec son origine espagnole et qu'il doit beaucoup à certains dires d'Isidore et de Prudence. La peinture est dangereuse car elle raconte trop facilement des mensonges, disait Isidore. Le Concile d'Elvire, vers 306, s'était prononcé contre la présence d'images dans les églises "pour éviter que soit représenté sur les murs ce que nous adorons et vénérons." La présence des Maures dans la péninsule a sans doute aidé à maintenir une tradition contre les représentations de la figure humaine.

Le sort de l'Opus Caroli.

Voici la deuxième grande énigme (pour ce qui suit, voir surtout Bibliographie N°4). L'Opus Caroli fut achevé, et semble-t-il, lu en présence de Charlemagne, rappelant ainsi cette lecture des Actes de Nicée II au début. Les remarques faites par le roi au cours de cette lecture furent notées rapidement, en caroline minuscule, dans les marges du manuscrit Vat. lat. 7207. Charlemagne aimait St Augustin, ainsi quand il rencontre le nom du saint il exprime son approbation: "optime" (au sujet des notes marginales, voir Bibliographie N°2). La grande énigme c'est qu' aucun des contemporains ne dise un seul mot de l'Opus Caroli. C'est comme si l'Opus Caroli n'avait jamais existé. Les évêques réunis en 825, qui nous parlent de la lecture des Actes de Nicée II et de l'envoi à Rome de cette liste des passages à condamner, et de la réponse du pape au roi, n'en disent rien. Jonas qui a succédé à Théodulf comme évêque à Orléans et qui a écrit un traité sur les images, ne connaît pas l'Opus. Agobard, évêque de Lyon à la même période, qui lui aussi a écrit un traité sur les images, ignore l'existence de l'Opus. Comment ont-ils pu négliger cette énorme mine d'arguments préparés par Théodulf?

Il faut attendre plus d'un demi-siècle pour trouver une mention de l'Opus Caroli. Le premier à y faire allusion est Hincmar, évêque de Reims, dans son "Traité en 55 Chapitres" qui date de 869/870, où il cite en entier le chapitre 28 du Livre IV, et explique que cela provient d'un ouvrage qu'il avait trouvé durant son séjour au palais du roi pendant sa jeunesse. On doute qu'Hincmar pouvait se rappeler un chapitre entier, mot pour mot, lu trente ans plus tôt. Mais le fait que la seule copie entière de l'Opus est celle faite dans le scriptorium de Hincmar (aujourd'hui, Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 663) laisse soupçonner qu'Hincmar avait dérobé ce manuscrit du palais vers le milieu du IXème siècle. Nous ignorons le sort de ce même manuscrit entre cette date et son arrivé à Marienfeld au XIVème siècle, et entre son départ de Marienfeld pour aboutir dans les mains du cardinal Campeggio au XVIème siècle.

Les auteurs du Moyen Age étaient aussi conscients que nous de la notion de "propriété littéraire." Un ouvrage était publié quand un auteur consentait à ce qu'il soit "transcrit." Bède explique que "transcribere" indique que "notre droit passe à un autre" (transcribere... cum jus nostrum transit in alium). Il envoie ses ouvrages à tel ou tel pour avoir leurs remarques critiques, puis les renvoie aux mêmes "ad transcribendum": il publie en permettant que l'ouvrage circule, soit copié. La Bibliothèque Royale de Bruxelles a un manuscrit qui débute par une page en majuscules:  INCIPIT LIBER DE DIVERSIS QUAESTIUNCULIS CUM RESPONSIONIBUS SUIS QUEM IUSSIT DOMNUS REX CAROLUS TRANSCRIBERE EX AUTENTICO PETRI ARCHIDIACONI. Charlemagne, donc, a ordonné que cet ouvrage de Pierre soit mis en circulation.

On peut faire une conjecture de ce qui s'est passé pour l'Opus Caroli. Charlemagne était peut-être prêt à mettre "sa" riposte aux Grecs en circulation quand est arrivée de Rome, en 793 ou 794, la réponse à cette liste d'"erreurs" envoyée au pape par Angilbert en 792. Loin de se montrer d'accord avec les Francs le pape approuvait pleinement les Actes de Nicée II. Le résultat fut un grand embarras à la cour, surtout étant donné qu'un chapitre spécial (ajouté pour faire plaisir au pape) avait été inséré dans l'Opus, soulignant que dans le domaine de la foi il convenait de consulter l'évêque de Rome!  Nous savons par les documents de 825 que les Francs étaient convaincus qu'Hadrien I s'était trompé, mais ces mêmes documents laissent voir aussi le problème délicat qui se pose dans une telle circonstance: si on résiste au pape (il s'agit alors du Pape Eugène), disent-ils, on risque d'augmenter son obstination.  Charlemagne décida que pour le moment la meilleure solution politique-ecclésiastique était de se taire.  Il ne permit pas que l'Opus Caroli fut transcrit, mis en circulation, mais fit déposer le manuscrit dans les archives royales où, 50 ans plus tard, Hincmar allait le découvrir. Ceux dans son entourage qui étaient au courant de l'Opus Caroli, comme étant SON ouvrage, écrit en son nom, (bien que composé par un autre) n'ont osé citer un ouvrage que le roi n'avait pas consenti à publier. 

Si les contemporains de Charlemagne n'ont donc pas pu lire le grand ouvrage que Théodulf avait composé au nom du roi, nous pouvons être sûrs que l'auteur lui-même n'avait pas oublié ce qu'il avait écrit dans son traité. Ce traité va nous fournir la clef pour comprendre le message symbolique qu'il plaça dans la mosaïque du cul de four de son église de Germigny-des-Prés.

Bibliographie:
1)  Ann Freeman, "Theodulf of Orleans and the Libri Carolini," Speculum 32 (1957) pp. 663-705.

2)  Ann Freeman, "Further Studies in the Libri Carolini, III. The marginal notes in Vaticanus Latinus 7207,"  Speculum 46 (1971) pp. 597-612.  

3)  Ann Freeman, "Theodulf of Orleans and the Psalm Citations of the Libri Carolini," Revue Benedictine 97 (1987) pp. 195-224.

4)  Ann Freeman, "Carolingian Orthodoxy and the Fate of the Libri Carolini," Viator 16 (1985) pp. 65-108

5)  Ann Freeman, "Scripture and Images in the Libri Carolini," Testo e Immagine nell'Alto Medioevo  (Spolete,  Settimane di Studio 41, 1994)  pp. 163-195.

6) Ann Freeman, avec la collaboration de Paul Meyvaert, Opus Caroli regis contra synodum (Libri Carolini), Monumenta Germaniae Historica, Concilia, Supplementum I  (1998), ouvrage de 666 pages.

Paul Meyvaert, ancien directeur du Medieval Academy of America

Bref résumé de l'article de Paul Meyvaert :
Le pape fit traduire en latin les actes du concile de Nicée (787). Une copie de cette traduction arriva, on ne sait comment, à la cour de Charlemagne (sans doute après 790) mais en étant prise comme une communication provenant du concile lui-même. La traduction du texte en latin étant très médiocre et contenant des erreurs manifestes - on y parlait beaucoup d'adoration des images - Charlemagne fit envoyer au pape Hadrien les passages erronés afin qu'il les récuse. En même temps, il fit préparer un ouvrage ("l'Opus Caroli"), en son nom, pour répondre publiquement aux hérésies du concile de Nicée. (L'Opus Caroli reprend complètement les passages contestés du concile par la Cour de Charlemagne). Mais au lieu de récuser les erreurs du concile, le pape Hadrien, contrairement à ce qu'attendait Charlemagne, les approuva.
Bizarrement, l'Opus Caroli ne semble pas connu des contemporains de Charlemagne, la première allusion à cet ouvrage ne date que de 869 ou 870.
Paul Meyvaert pense que devant la réponse du pape, Charlemagne n'a pas pris le risque de publier l'Opus Caroli et qu'il l'a seulement versé aux archives royales. Il affirme, avec preuves à l'appui, que l'auteur des passages envoyés au pape pour condamnation et l'auteur de l'Opus Caroli sont le même homme, c'est-à-dire Théodulf, évêque d'Orléans. Ce dernier était totalement contre le culte des images, contrairement à Alcuin, autre grand conseiller de Charlemagne. Ainsi sont mises en évidence les divergences qui existaient en occident, à l'époque de Charlemagne, sur le culte des images. Si la position de Théodulf avait prévalu sur celle du pape, l'histoire du catholicisme n'aurait pas été celle que l'on connaît aujourd'hui (d'où l'importance des événements relatés dans l'article).
Pour déchiffrer la mosaïque de Germigny-des-Prés (dont le commanditaire est Théodulf), Paul Meyvaert pense qu'il faut se référer à l'Opus Caroli.