prenait délibérément figure de ministère
radical-socialiste soutenu par le cartel. Mais la majorité de l'opinion
parisienne, franchement hostile à la majorité de la Chambre, prenait fait
et cause contre l'ensemble des sanctions que certains trouvaient
injustifiées ou incomplètes, d'autres inutilement brutales et en tout cas
maladroites. Dès le lundi soir, les rues,
dépeuplées de leurs taxis et, de ce fait, assez sombrement
désertes, voyaient se dérouler des colonnes de manifestants d'où partaient,
à l'adresse du ministère, les
cris répétés de : «Démission» !
Le conseil municipal de Paris, lié aux deux préfets escamotés
par les liens de confiance et d'amitié nés d'une longue collaboration, se réunissait
hors session et communiquait à la presse une protestation mesurée, mais
énergique, contre la «décapitation»
administrative du département de la Seine.
Répondant à la lettre par laquelle M.
Fret leur annonçait les changements intervenus dans les cadres
administratifs de leurs circonscriptions, trente députés de la Seine
exprimaient plus ouvertement encore le mécontentement de
leurs mandants.
C'est dans la journée du mardi 6 que les événements, du plan des paroles et des écrits,
devaient, à la consternation générale, passer sur celui des faits, et de quels
tristes faits !
Les chefs de plusieurs groupements politiques ou parapolitiques divers
: Croix de Feu, Jeunesses Patriotes, Francistes, Action Française, d'une part; la Fédération
nationale des Contribuables, certaines associations d'anciens combattants,
d'autre part, avaient convié leurs adhérents à des manifestations dans le but de marquer leur
réprobation contre le nouveau gouvernement. au moment où celui-ci se
présenterait devant les Chambres. |
Les partis d'extrême gauche avaient, de leur côté,
organisé des contre manifestations. Au Palais-Bourbon. la séance, ouverte à
3 heures de l'après-midi,
se déroulait dans un véritable tumulte; le gouvernement y
réunissait la majorité qu'il escomptait dans trois votes de confiance, dont le
dernier décidait la clôture et mettait fin, à 8 h. 50, à ce débat entouré d'une atmosphère d'émeute.
Dès la fin de
l'après-midi, en effet, les grands
boulevards, la rue de Rivoli, le boulevard Sébastopol, le Châtelet, choisis par les partis d'extrême
gauche pour leurs lieux de concentration avaient été le théâtre
d'échauffourées et d'actes de violence, sans toutefois que l'Hôtel de Ville, but
des manifestants fût jamais sérieusement
menacé Mais c'est sur la place de la Concorde que devait se dérouler une véritable bataille
entre la multitude qui voulait envahir le Palais-Bourbon et les forces de police, agents, gardes
mobiles, gardes à cheval et troupes coloniales, chargées du service d'ordre. On ne connaît que
trop les
détails
sanglants de la répression : salves de
coups de
pistolets, tirs
de mitrailleuse couchèrent sur le sol plusieurs
centaines de blessés dont plusieurs
dizaines, à l'heure où nous écrivons, ne survécurent pas à
leurs atteintes. Une sombre agitation se prolongea
de la Concorde vers les Champs-Elysées, la rue Royale, les quais, jusqu'à une
heure avancée
de la nuit. Paris, qui depuis la Commune de 1871
n'avait connu,
aux heures politiques les plus graves, que de simples
bagarres,
voyait, pour la première fois dans
l'histoire de
la IIIe République, se dresser
le spectre terrifiant de la guerre civile.
De quoi demain sera-t-il fait ?
La démission du Cabinet Daladier constitue un premier pas vers
l'apaisement que souhaitent ardemment tous les bons Français. |