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La journée du 6 février 1934 vue à chaud par "Miroir du Monde"

prenait délibérément figure de ministère radical-socialiste soutenu par le cartel. Mais la majorité de l'opinion parisienne, franchement hostile à la majorité de la Chambre, prenait fait et cause contre l'ensemble des sanctions que certains trouvaient injustifiées ou incomplètes, d'autres inutilement brutales et en tout cas maladroites. Dès le lundi soir, les rues, dépeuplées de leurs taxis et, de ce fait, assez sombrement désertes, voyaient se dérouler des colonnes de manifestants d'où partaient, à l'adresse du ministère, les cris répétés de : «Démission» !
    Le conseil municipal de Paris, lié aux deux préfets escamotés par les liens de confiance et d'amitié nés d'une longue collaboration, se réunissait hors session et communiquait à la presse une protestation mesurée, mais énergique, contre la «décapitation» administrative du département de la Seine.
    Répondant à la lettre par laquelle M. Fret leur annonçait les changements intervenus dans les cadres administratifs de leurs circonscriptions, trente députés de la Seine exprimaient plus ouvertement encore le mécontentement de leurs mandants.
    C'est dans la journée du mardi 6 que les événements, du plan des paroles et des écrits, devaient, à la consternation générale, passer sur celui des faits, et de quels tristes faits !
    Les chefs de plusieurs groupements politiques ou parapolitiques divers : Croix de Feu, Jeunesses Patriotes, Francistes, Action Française, d'une part; la Fédération nationale des Contribuables, certaines associations d'anciens combattants, d'autre part, avaient convié leurs adhérents à des manifestations dans le but de marquer leur réprobation contre le nouveau gouvernement. au moment où celui-ci se présenterait devant les Chambres.

Les partis d'extrême gauche avaient, de leur côté, organisé des contre manifestations. Au Palais-Bourbon. la séance, ouverte à 3 heures de l'après-midi, se déroulait dans un véritable tumulte; le gouvernement y réunissait la majorité qu'il escomptait dans trois votes de confiance, dont le dernier décidait la clôture et mettait fin, à 8 h. 50, à ce débat entouré d'une atmosphère d'émeute. Dès la fin de l'après-midi, en effet, les grands boulevards, la rue de Rivoli, le boulevard Sébastopol, le Châtelet, choisis par les partis d'extrême gauche pour leurs lieux de concentration avaient été le théâtre d'échauffourées et d'actes de violence, sans toutefois que l'Hôtel de Ville, but des manifestants fût jamais sérieusement menacé Mais c'est sur la place de la Concorde que devait se dérouler une véritable bataille entre la multitude qui voulait envahir le Palais-Bourbon et les forces de police, agents, gardes mobiles, gardes à cheval et troupes coloniales, chargées du service d'ordre. On ne connaît que trop les détails sanglants de la répression : salves de coups de pistolets, tirs de mitrailleuse couchèrent sur le sol plusieurs centaines de blessés dont plusieurs dizaines, à l'heure où nous écrivons, ne survécurent pas à leurs atteintes. Une sombre agitation se prolongea de la Concorde vers les Champs-Elysées, la rue Royale, les quais, jusqu'à une heure avancée de la nuit. Paris, qui depuis la Commune de 1871 n'avait connu, aux heures politiques les plus graves, que de simples bagarres, voyait, pour la première fois dans l'histoire de la IIIe République, se dresser le spectre terrifiant de la guerre civile.
     De quoi demain sera-t-il fait ?
   La démission du Cabinet Daladier constitue un premier pas vers l'apaisement que souhaitent ardemment tous les bons Français.

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