Page réalisée par Isabelle Didierjean |
HERODOTE
"LE PERE DE L'HISTOIRE" (Cicéron, De
Legibus, I, 1, 5 )
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I/ SA VIE
Né entre 490 et 485 avant J.C., à Halicarnasse, en Asie Mineure, Hérodote
subit l'influence de cette région qui, dès le VI° siècle avant J.C., connut
une effervescence extraordinaire dans le domaine de la pensée et de la
réflexion. Mais, ayant participé à une tentative pour renverser le tyran de
cette ville, Hérodote doit s'exiler. C'est l'occasion pour lui de voyager et
de mener son Enquête (c'est le nom de son oeuvre en grec : Historiè) à
travers des pays et des peuples très différents : l'Egypte, Babylone, les
bords de la mer Noire, dans le pays des Scythes etc... Au cours de ses
voyages (on a dit qu'il est aussi le père de la géographie
- il a fait connaître aux
Grecs du V° siècle avant J.C. l'ensemble du monde barbare -, et d'ailleurs,
aujourd'hui, une revue de géopolitique porte son nom), il a pu parler avec
les habitants, comparer les coutumes et voir les différences mais aussi les
points communs entre toutes ces civilisations.
Lors de ses séjours à Athènes, il a rencontré Sophocle et Périclès, et
le contact avec la civilisation athénienne a marqué son oeuvre en lui
donnant le goût de l'analyse et en développant son sens de la politique. Il
est devenu citoyen de la colonie fondée par Athènes et Périclès dans le sud
de l'Italie, Thourioi, qui est devenue sa seconde patrie. L'influence
d'Athènes se sent particulièrement dans la dernière partie de son oeuvre. Il
est mort aux alentours de 425 avant J.C. |
Hérodote
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II/ HERODOTE ET L'HISTOIRE
Si, à la suite de Cicéron, nous pouvons considérer qu'Hérodote est "le père de
l'histoire", ce n'est toutefois pas lui qui l'a créée. En effet, au VI°
avant J.C., en Asie Mineure, se manifeste un courant de pensée qui critique la
vision purement mythologique du passé et s'efforce de rationaliser et de classer
chronologiquement les événements. Cela passe par des chroniques, des généalogies
et des récits de fondation de villes. Mais il ne s'agit pas encore d'une vision
historique des événements. Hérodote en est l'héritier et il bénéficie en
particulier du travail d'Hécatée de Milet dont il utilise certaines
sources. Même si Hérodote ne répond pas vraiment à la définition que nous
donnons aujourd'hui de l'historien, il est tout de même le premier à être
vraiment sorti de l'explication mythologique pour nous donner une réflexion
basée sur la raison.
Jacqueline de Romilly explique, dans le Précis de littérature grecque
(éditions PUF), que les guerres médiques, le grand événement de la génération
qui a précédé celle d'Hérodote, n'est pas étrangère à cette nouvelle conception
de l'histoire. En effet, elles ont vu s'affronter deux blocs et non plus
seulement des villes ou des familles. De l'histoire de quelques individus, on
est passé à l'histoire de tout un peuple aux prises avec un autre peuple, et
cela implique la compréhension des grands mouvements qui les voient s'affronter.
Le récit de l'histoire n'est plus seulement une narration; il s'accompagne d'une
analyse des raisons et des causes des événements. Cette analyse, qui est d'ordre
politique et qui veut être un moyen de comprendre le présent, c'est ce qui fait
d'Hérodote le père de l'histoire.
III/ SON OEUVRE
Le sujet principal de l'Historiè est le conflit entre les Grecs et les Perses,
les guerres médiques. Mais Hérodote ne s'interdit pas des parenthèses qui lui
permettent de parler de tout autre sujet. Ainsi il décrit l'Egypte dans deux
livres, il raconte l'histoire de Crésus, roi de Carie pour mieux faire
comprendre les causes lointaines des guerres médiques, il parle d'Athènes ou de
Sparte etc... D'une manière générale, il mène une vaste enquête sur les peuples
qui ont attaqué son pays ou qui leur étaient soumis (l'Egypte était sous
domination perse, c'était également le cas de l'Inde occidentale par exemple).
Dans la première phrase de son oeuvre, il expose son but en tant qu'historien :
immortaliser le mérite des grands hommes, un peu comme Pindare l'avait fait, mais
aussi expliquer les raisons des événements qu'il veut traiter : " Hérodote de
Thourioi présente ici les résultats de son enquête, afin que le temps n'efface
pas le souvenir des actions humaines et que les grands et merveilleux exploits
accomplis tant par les Grecs que par les Barbares ne tombent dans l'oubli, avec,
en particulier, la raison du conflit qui mit les uns et les autres aux prises."
Malgré sa volonté de raconter les faits à la lumière de la raison, il rapporte
parfois des événements légendaires, mais il le fait avec détachement, voire avec
ironie, et signale qu'il ne s'agit pas de faits avérés (par exemple à propos des
enlèvements légendaires d'Hélène ou de Médée): "Pour ma part, je dois dire ce
qu'on raconte, mais y croire, je ne le dois pas entièrement - et que cette
déclaration vaille pour tout mon récit" (VII, 152) . Par contre, nous
pouvons être surpris qu'il accorde de l'importance et considère comme sérieux et
dignes de foi les oracles (par exemple les oracles de Delphes concernant
Crésus), les prodiges ou les songes. Cet aspect le rapproche plus d'un poète
épique comme Homère que des historiens modernes. Quand il y a plusieurs
explications, il ne choisit pas toujours nettement (comme le fera plus tard
Thucydide) car il veut tout raconter. D'une manière générale, il apprécie les
récits colorés ou tragiques, les contes populaires, les descriptions de faits
étonnants (momification ou amour des chats en Egypte par exemple), les
merveilles de la nature (crue du Nil par exemple), les monuments exceptionnels
(les Pyramides égyptiennes par exemple) ou les sentences à portée universelle et
les débats d'idées. Son style aisé est celui d'un écrivain, loin de la
sècheresse de l'énoncé des faits purement objectifs. Dans la comparaison avec
son successeur, Thucydide, on a longtemps estimé que l'un est plutôt un conteur
ou un ethnographe, tandis que Thucydide serait un historien à proprement parler.
Mais depuis que l'histoire politique n'est plus la seule à être jugée
digne d'intérêt et que l'histoire anthropologique se développe, Hérodote est
jugé plus favorablement. En tout cas, depuis la Renaissance, il est une source
importante pour connaître l'antiquité orientale et l'archéologie est souvent
venu conforter son témoignage.
Il s'attache à déterminer les mobiles (les causes : aitiai) qui font agir tel ou
tel personnage, mais il accorde la première place à la vengeance et les
motivations politiques sont souvent considérées comme secondaires. Dans la
tradition de l'historiographie antique, il fait tenir des discours à ses
personnages; le choix du discours direct lui permet d'insister sur l'aspect
anecdotique voire pittoresque. Cependant ses derniers livres présentent des
discours vraiment politiques, dont le but est d'aider à comprendre le pourquoi
des événements.
Voici le contenu de ses neuf livres (dont chacun porte le nom
de l'une des neuf Muses mais qui ont été divisés seulement à la période
alexandrine) :
Livre I: L'empire perse sous Cyrus; moeurs et coutumes des
Mèdes et des Perses.
Livre II: Cambyse, successeur de Cyrus, veut attaquer
l'Egypte : c'est l'occasion d'en faire la description.
Livre III: Cambyse conquiert l'Egypte. Darius lui succède et
réorganise l'empire.
Livre IV: Darius échoue dans sa tentative de conquête des
Scythes; description des Scythes.
Livre V: Echec du soulèvement des Grecs d'Ionie contre la
domination perse.
Livre VI: Première guerre médique : expédition de
Darius en Grèce et victoire des Grecs à Marathon.
Livres VII: Le fils de Darius, Xerxès, mène la seconde guerre
médique.
Livre VIII: Victoire des Athéniens à Salamine.
Livre IX: Fin de la guerre. Les Grecs mènent une
contre-offensive en Asie.
A propos de l'Egypte: Hérodote a séjourné dans
le pays vers 450 avant J.C.; il a surtout visité le Delta du Nil et Memphis. Ses
interlocuteurs sont des prêtres ou des interprètes, c'est-à-dire des gens
cultivés et proches des Grecs expatriés. Il a été si impressionné par l'Egypte
et ses coutumes qu'il a consacré à ce pays une centaine de pages (livre II) de
son oeuvre. Il insiste sur les détails pittoresques et commet un certain nombre
d'erreurs. Cependant, son oeuvre sur le passé de l'Egypte et sur son présent à
l'époque de l'historien reste un ouvrage capital pour connaître la société
égyptienne, sa religion, ses coutumes et son histoire. S'il décrit longuement la
faune exotique de l'Egypte et à ses moeurs étranges ou ses caractéristiques
étonnantes (crocodiles à la taille monstrueuse et à l'absence de langue, par
exemple), il s'intéresse surtout à ses liens avec l'homme (caractère sacré
de tel animal, rites religieux le concernant etc.). Là encore, Hérodote s'adonne
plus à l'ethnographie qu'à l'histoire naturelle.
IV/ LA PENSEE D'HÉRODOTE
Sur le plan religieux, Hérodote
pense que le monde est gouverné par les dieux : ceux-ci fixent leur destin et
leur parlent par l'intermédiaire des oracles; mais comme chez Sophocle, les
hommes interprètent mal les paroles des dieux (cf. oracles destinés à Crésus).
Le destin de l'homme étant précaire et changeant, la seule attitude possible est
de se montrer juste et pieux en fuyant l'hubris (volonté déraisonnable et
orgueilleuse de se mettre sur le même plan que les dieux au lieu de rester à sa
place d'humain) : là encore, le parallélisme avec la tragédie est aisé. Les
dieux, par jalousie, abattent les puissants coupables de démesure (Crésus
ou Xerxès par exemple).
Politiquement, Hérodote est hostile à la tyrannie (il l'a montré dans ses
actions lorsqu'il vivait à Halicarnasse) et pense que la supériorité des Grecs
lors des guerres médiques tient au fait que c'était un combat d'hommes libres,
soumis seulement à la loi, contre des hommes soumis à l'autorité d'un roi. Il
souligne le fait que ces guerres ont vu s'affronter la liberté et la tyrannie et
insiste sur le rôle positif d'Athènes dans la résistance de la Grèce face à
l'envahisseur et dans l'émergence d'une conscience grecque et d'une
volonté d'union (panhellénisme). Cela ne veut pas dire pour autant qu'il méprise
les Perses ou tout autre peuple étranger. Il fait au contraire preuve d'une
grande tolérance et d'une curiosité insatiable pour leurs moeurs et leurs
coutumes et son expérience de voyageur dans des pays divers lui fait
penser que toute règle est respectable. Jacqueline de Romilly dit que l'histoire
écrite par Hérodote est "colorée d'une sympathie humaine qui [...] rappelle
Homère." (Précis de littérature grecque).
Ainsi, du fait de son grand intérêt pour les coutumes des autres peuples, on
peut dire qu'il a fait oeuvre d'ethnologue (cf. par exemple ce qu'il écrit sur
l'Egypte), mais ses réflexions font parfois aussi de lui un moraliste. En effet,
il n'est pas seulement intéressé et amusé par des coutumes insolites et
extravagantes aux yeux d'un Grec : il est capable de prendre assez de recul pour
comprendre que la connaissance des moeurs des autres peuples permet de
relativiser la valeur des siennes et d'ouvrir son esprit. Ces paroles
d'Hérodote, rapportées dans l'ouvrage d'André Bonnard (Civilisation grecque,
Editions Complexe, t.2, p. 402/403) en témoignent:
" Si l'on proposait à tous les hommes de faire un
choix parmi les meilleures lois qui s'observent dans les divers pays, il est
certain qu'après un examen réfléchi, chacun se déterminerait pour celle de sa
patrie; tant il est vrai que tout homme est persuadé qu'il n'en est point de
plus belle. Il n'y a nulle apparence que tout autre qu'un insensé en fasse un
sujet de plaisanteries.
Que tous les hommes soient dans ces sentiments touchant leurs propres usages,
c'est une vérité qu'on peut confirmer par plusieurs exemples, entre autres par
celui-ci. Un jour Darius, s'adressant à des Grecs de son entourage, leur demanda
pour quelle somme ils pourraient se résoudre à manger leurs pères une fois
morts. Tous répondirent qu'ils ne le feraient jamais, quelque argent qu'on pût
leur donner. Il fit alors venir de ces Indiens qu'on appelle Calaties, et chez
qui la coutume est de manger ses parents ; et il leur demanda en présence des
Grecs, à qui un interprète expliquait tout ce qu se disait de part et d'autre,
quelle somme d'argent pourrait les engager à brûler leurs pères après leur mort.
Les Indiens, se récriant à cette question, le prièrent de ne pas leur tenir un
langage si odieux. Tant la coutume a de force!
Aussi rien ne me paraît plus vrai que ce mot que l'on trouve dans les poèmes de
Pindare: "La coutume est la reine du monde."
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