Il
fallait l’érudition et les qualités didactiques de Marc Gabolde, maître de
conférences à l’Université Paul Valéry de Montpellier III, membre de
l’Institut Français d’Archéologie Orientale du Caire et directeur d’une
mission archéologique à Tell el Amarna pour présenter aux passionnés
d’égyptologie la figure étonnante d'Akhénaton et pour bien réévaluer le sens
du « monothéisme » prêté à l’un des personnages les plus fascinants de
l’histoire de l’Egypte ancienne.
Entouré d’un voile de
mystère, accompagné de sa réputation de « pharaon hérétique » ou considéré
comme le « fondateur du monothéisme », Amenhotep IV Akhenaton ne cesse
depuis un siècle de stimuler les imaginations de tous ceux qui sont tombés
sous le charme de l’ancienne civilisation égyptienne. Tous les voyageurs qui
ont contemplé, depuis la falaise orientale où sont installés les tombeaux
rupestres, la vaste plaine brûlée de soleil enfermée dans l’imposant
amphithéâtre rocheux de Tell el Amarna, ont été saisis par le retour au
néant minéral auquel a abouti le règne de ce souverain mort à vingt-huit
ans, après avoir régné dix-sept ans sur une Egypte qui, sous le Nouvel
Empire, avait renoué avec les grandes périodes de puissance qu’elle avait
connues dans le passé, aux temps de Djoser, de Chéops ou de Mentouhotep.
Fils d’Amenhotep III et dixième souverain de la glorieuse XVIIIe dynastie
(1540-1299 avant J.-C.), Amenhotep IV hérite d’un empire étendu et prospère
que la durée du règne de son père Amenhotep III – trente-huit ans – a
contribué à stabiliser. L’importance des grandes entreprises architecturales
alors mises en oeuvre, dont témoignent encore – sur la rive occidentale de
Thèbes et au ras du sol – les structures de l’immense temple qui s’étendait
derrière les deux statues identifiées aujourd’hui comme les « colosses de
Memnon », en dit long sur le degré de puissance alors atteint par l’Etat
pharaonique. La succession semble devoir s’effectuer sans difficultés
majeures, même si le jeune Amenhotep n’est alors âgé que d’une dizaine
d’années. La continuité semble également prévaloir sur le plan religieux et,
dans les premières années du règne, le polythéisme traditionnel n’est pas
remis en cause. Les choses évoluent pourtant, dans la mesure où le jeune
pharaon entend privilégier une divinité particulière, Aton, dieu de la
lumière et de l’énergie solaire. A l’occasion du jubilé organisé à
l’occasion de la quatrième année de son règne, Amenhotep, dont le nom
signifie « Amon est satisfait » prend le nouveau nom d’Akhenaton « celui qui
est attentionné pour Aton », le dieu solaire dont il fait son égal.
L’iconographie le figure désormais, en compagnie de son épouse Nefertiti,
comme l’interlocuteur privilégié d’Aton, dont le rayonnement se déploie
désormais sur les parois décorées des tombes. C’est dans la même intention
de promouvoir le culte d’Aton que le souverain fait bâtir, à trois cent
soixante kilomètres au nord de Thèbes, sur la rive droite du Nil, une ville
nouvelle baptisée Akhetaton, « l’horizon d’Aton ». Installé là avec sa cour,
durant la septième année de son règne, il y dirige la construction de la
cité, des palais et des temples sur les murs desquels se développe désormais
une iconographie correspondant à une inspiration tout à fait nouvelle que
l’on a définie comme « naturaliste » par opposition aux formes
conventionnelles qui prévalaient jusque-là dans l’art pharaonique. C’est là
que l’archéologue allemand Ludwig Borcherdt découvrira en 1912 l’admirable
portrait de Nefertiti qui fait aujourd'hui la gloire du musée de Berlin.
L’expression d’un « style » bien particulier, que ceux qui ont la chance de
découvrir sur place la civilisation de l’ancienne Egypte retrouvent dans les
statues monumentales conservées au Musée du Caire ou dans les décors
retrouvés dans les tombeaux rupestres creusés dans la falaise qui barre
l’horizon oriental du site d’Akhetaton aujourd’hui rendu au désert, à
proximité de la modeste bourgade de Tell el Amarna, là où Ernest Alfred
Thompson Wallis Budge découvrira en 1887 une première série de tablettes
écrites en caractères cunéiformes dans lesquelles on reconnaîtra bientôt la
« correspondance » échangée entre divers souverains orientaux, dont
l’empereur hittite, et le pharaon égyptien. Le règne d’Akhenaton connaît son
apogée en 1344 avant J.-C. quand le souverain organise de grandes fêtes
auxquelles participe la bureaucratie que forment ses fonctionnaires mais
aussi de nombreux représentants étrangers. La situation se dégrade pourtant
rapidement. Le pharaon est éprouvé par la perte de son épouse, de sa mère
Tiyi et de trois de ses six filles. La menace hittite se fait plus pressante
et les réactions égyptiennes ne sont pas suffisantes pour la conjurer. Quand
Akhenaton meurt, sa fille aînée Merytaton règne pendant trois ans,
n’exerçant peut-être alors qu’une fonction de « régente ». Ces quelques
années lui suffisent pour ramener la capitale à Thèbes et pour renouer
l’alliance traditionnelle entre le pouvoir pharaonique et le clergé d’Amon.
L’avènement du jeune Toutankhamon, seul fils d’Akhenaton et de Nefertiti,
marque le retour au polythéisme. La crise religieuse, les défaites
égyptiennes et la peste qui ravage alors le Proche Orient constituent autant
d’épisodes difficiles pour la XVIIIe dynastie finissante, quand les
successeurs du jeune Toutankhamon rapidement disparu, Aÿ et Horemheb,
s’emploient à faire disparaître tout souvenir du pharaon « hérétique ». |