La crue du Nil

LE  NIL

 LA  CRUE


Le régime du Nil en m/3 à Assouan

Le phénomène de l'inondation apportée par le Nil chaque année à la saison sèche a toujours fasciné les Anciens.
Ils en donnaient une explication tantôt religieuse, tantôt géographique.
Les Egyptiens avaient pleinement conscience, comme Hérodote, que l'Egypte est un don du Nil et que la crue par sa régularité annuelle apportait toute la richesse. La vie des Egyptiens était soumise au rythme imposé par le Nil, le calendrier était d'ailleurs calqué sur la crue du Nil. La crue n'apportait pas seulement l'eau nourricière mais répandait sur les champs le limon noir fertilisant. C'est d'ailleurs le nom du limon noir, "kemet", qui a donné le nom antique de l'Egypte ("la terre noire").
Cependant, le Nil ne faisait pas tout, il faut se poser la question de la place du travail des hommes dans la réussite agricole de l'Egypte ancienne.

Comment les Anciens expliquaient la crue du Nil
Ne connaissant pas les sources du Nil, les Egyptiens expliquaient la crue du Nil en mêlant leurs croyances et les phénomènes qu'ils observaient. Ils croyaient que le noun, l'océan primordial, était encore présent autour de la terre et que c'est lui qui alimentait le Nil. Les vents d'été qui soufflent depuis le Nord-Ouest en méditerranée orientale auraient poussé l'eau du Nil vers l'aval pour donner la crue. Le mathématicien grec Thalès (VIème s av JC) puis le romain Ammien Marcellin (IVème s ap JC) croient encore à cette théorie des vents étésiens bien quelle implique que la crue commence par le delta.  Pour d'autres, il existait un Nil souterrain qui coulait dans la période des basses eaux du Nil terrestre. Hérodote critique ces théories et déclare que la crue est l'état normal du Nil, ce sont les basses eaux qu'il faut expliquer. Il avance que l'hiver en Egypte (période des basses eaux) correspond à l'été à l'endroit où le fleuve prend sa source (en Ethiopie), donc un manque d'eau dû à la sécheresse de cette saison. Si Hérodote se trompe sur le climat de l'Ethiopie (toutes les terres qui sont au sud de l'Egypte pour les Egyptiens) il a au moins le mérite d'introduire la réalité de l'inversion des saisons dans les deux hémisphères. Quant au philosophe Anaxagore de Clazomènes (Vème s av JC), il prétend que le Nil doit sa crue à la fonte des neiges où se trouve la source. Hérodote fait remarquer que c'est absurde car plus on va vers le sud, plus il fait chaud et il ne saurait y avoir de neige. C'est Démocrite (vers 420 av JC) qui avance l'hypothèse la plus proche de la réalité, il dit que les massifs éthiopiens reçoivent par les vents étésiens des pluies venant de nuages d'Europe alimentés par les neiges tombées sur ce continent. Ces pluies gonflent le Nil et expliquent la crue du fleuve inhabituelle en cette saison partout ailleurs. Aristote (IVème siècle av JC) reprend cette théorie dans son traité "Sur l'inondation du Nil" : la crue s'explique par les pluies violentes qui s'abattent sur l'Ethiopie en été.
 
Les causes réelles de la crue du Nil
Il faudra attendre les explorations du XIXème siècle pour connaître précisément l'origine de la crue. On pourrait penser que la crue du Nil est alimentée par les sources du Nil. Mais, il n'en est rien. Le Nil blanc, issu de la réunion des émissaires des lacs Victoria et Albert, présente un régime régulier sur 1000 km car la montée des eaux à la saison humide est absorbée par les lacs. Son seul affluent, le
Bahr el-Ghazal ne modifie pas cette stabilité car il coule à travers un dédale marécageux (le lac No) qui absorbe ses crues.
En réalité, ce sont les trois affluents de la rive droite qui, descendant des hauts plateaux éthiopiens apportent la crue provoquée par les pluies tropicales.
La Sobat est en crue de mai en novembre, avec un maximum en octobre-novembre.
Le Nil bleu (à Khartoum) apporte un volume d'eau considérable de juillet à octobre, de 100 m3/s en avril, il passe alors à 5800 m3/s. Il fournit alors près de 70 % des eaux du fleuve.
L'Atbara est le dernier affluent, il est en crue de juin à août.
Il reste alors au Nil à parcourir 2 700 km à travers le désert, sans apport d'eau, il y perdra 10% de ses eaux par simple évaporation.
 

Une crue longue et tranquille bienfaitrice (Egypte antique)
Contrairement aux autres fleuves méditerranéens, le Nil n'a pas une crue dévastatrice et subite. La montée des eaux est lente et régulière, de même que la décrue. L'explication est due au fait que les affluents qui provoquent la crue n'apportent pas leur maximum d'eau en même temps. Cela s'explique aussi par la longueur du fleuve et surtout par sa faible pente, 3.5 cm/km de la Sobat à Khartoum, 15 cm/km de Khartoum à Assouan, 7 cm/km d'Assouan au delta.
Cette lente décrue favorise les dépôts alluviaux : les sables se déposent dès la Haute-Egypte et s'accumulent au fond du lit tandis que les particules limoneuses les plus fines parcourent davantage de distance et se déposent sur les champs inondés. Le dépôt des limons (25% de la charge solide) enrichit les sols lessivés par la crue tandis que l'eau entraîne les remontées salines provoquées par la sécheresse. Les limons
proviennent de la décomposition des roches volcaniques et métamorphiques du haut bassin, l’analyse chimique met en évidence la prépondérance, parmi eux, de la silice (50 %) et de l’alumine (20 %). L'alumine explique la couleur rouge sang du fleuve lors de la crue. Ce phénomène pourrait être l’explication de l'une des dix plaies d'Égypte rapportées par la Bible.
Le travail des hommes dans l'Egypte antique
On aurait cependant tort de croire que la crue du Nil procure aux Egyptiens un eldorado parfait. La crue n'arrive pas à inonder toutes les terres cultivables et son ampleur peut varier considérablement. Certaines années la crue est trop violente et se montre dévastatrice en arrachant les sols, d'autres années elle est trop faible pour fertiliser les champs. D'après les écrits retrouvés (et la Bible) des cycles de sept ans alternent entre mauvaises et bonne années, les 7 années de vaches maigres et les 7 années de vaches grasses.

Le pharaon parle : "Mon  cœur était dans une très grande peine, car le Nil n'était pas venu à temps pendant une durée de sept ans. Le grain était peu abondant, les graines étaient desséchées, tout ce qu'on avait à manger était en maigre quantité [...]. On en venait à ne plus pouvoir marcher. Les temples étaient fermés, les sanctuaires étaient sous la poussière. [...] Tout ce qui existe était dans l'affliction."
D'après la stèle de la famine à Sehel.

Tout au long du mois de juillet, les prêtres scrutent les nilomètres, des puits avec escaliers communiquant avec Le Nil dont les parois portent des graduations mesurant le niveau de l'inondation. Beaucoup de temples sont pourvus de nilomètres. A partir des deux nilomètres d'Eléphantine, intégrés au temple de Khnoum et de Satis, les prêtres annoncent l'arrivée de la crue. Grâce aux nilomètres, les scribes peuvent estimer les récoltes. Pour une crue normale, la hauteur du Nil est de 9 m à Assouan et de 2 m dans le Delta.
Les hommes ont donc très tôt oeuvré afin d'utiliser au mieux ce que leur procure la nature. Sans doute vers 3000 ans av JC, les Egyptiens commencent à construire des digues pour protéger les villages de l'inondation et pour retenir l'eau afin de l'utiliser au mieux dans les secteurs que la crue ne peut atteindre. Un vaste réseau d'irrigation est ainsi mis en place, ce qui demande un travail colossal pour le creusement et l'entretien des canaux. Au contraire, certaines zones marécageuses comme le delta doivent être drainées pour devenir cultivables.
Un exemple spectaculaire du travail fourni par les hommes est l'irrigation du Fayoum, vaste dépression irriguée après la construction d'un barrage sur un bras mort du Nil (le Bahr Youssouf).
La mise en place et l'entretien d'un tel système demandait une organisation poussée de la société et a sans doute conduit à sa hiérarchisation et à la formation d'un pouvoir centralisé fort. Le pharaon, responsable de l'ordre naturel et du bien être de sa population, a donc toujours accordé la plus grande attention à l'aménagement du Nil. Chaque paysan devait des jours de corvées pour l'entretien du système d'irrigation. Si les canaux s'envasaient, les terres ne pouvaient plus être irriguées, si les levées s'effondraient, les villages subissaient l'inondation. Les revenus du roi dépendaient aussi directement du contrôle de la crue. Des nilomètres, disposées le long du fleuve, mesuraient la crue chaque année et permettaient d'évaluer la récolte à venir. La fiscalité frappait les terres en fonction de leur irrigation. Sous les Ptolémées, les terres étaient divisées en catégories pour l'impôt : "aride depuis longtemps", "non inondée", normalement inondée", "trop inondée", recouverte depuis longtemps", "ensablée", "érodée partiellement", "érodée totalement". Toutefois, le taux fiscal attribué à chaque parcelle n'était révisée que tous les 5 ans. Le paysan devait donc quand même subir les aléas de la crue.
En conclusion, il faudrait compléter l'affirmation d'Hérodote : "l'Egypte est un don du Nil" par "l'Egypte est un don du Nil et des Hommes. La nature propose et l'homme dispose, il n'était pas inéluctable que l'Egypte devienne une civilisation agricole élaborée. Certes, sans le Nil, l'Egypte n'aurait peut-être jamais existé, en tous cas pas sous la forme que nous connaissons.

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