Le mot
scribe vient du latin "scribere" qui signifie "écrire". Le scribe c'est donc
celui qui sait lire et écrire les hiéroglyphes. Comme l'écriture est connue
en Egypte dès la fin du IVème millénaire av JC, le scribe apparaît donc
quasiment au tout début de la civilisation pharaonique.
L'importance de
l'écriture
On sait le rôle joué
par l'écriture dans l'organisation du pays et la pérennité de la
civilisation égyptienne. L'Egypte est une civilisation de l'écrit : dès les
premières dynasties, les documents attestent de la volonté de mettre en
mémoire les données ressenties comme indispensables à la bonne marche de
l'Etat. Sans l'écrit, il aurait été impossible au pharaon d'imposer son
autorité sur un pays aussi étendu du Nord au Sud. En raison de la crue du
Nil, chaque année les limites des terres étaient effacées. L'établissement
d'un cadastre (impossible sans l'écrit) était donc fondamental pour enregistrer les parcelles et
calculer l'impôt. Très tôt, nous avons trace des recensements systématiques
des biens et des personnes. C'est encore l'écrit qui donnait force de loi
aux décrets royaux gravés sur des stèles, les palais et les temples.
L'écriture a permis aux Egyptiens de
mémoriser leur propre histoire en établissant les listes des rois, en
racontant les événements importants dans un cadre chronologique.
Mais pour l'Egyptien, l'écrit est bien plus que l'enregistrement des lois,
des événements, des biens et des hommes, elle a une fonction magique pour garder en mémoire
les actes essentiels des souverains destinés à assurer la
Maât : victoire
sur les ennemis, célébrations de rites religieux et royaux, fondations
d'édifices. L'invention de l'écriture était considérée comme un présent des
dieux et plus précisément celui du dieu
Thot, maître du
calendrier, de la
science, de l'écriture et des scribes. Les Egyptiens appelaient d'ailleurs
leur écriture "médou-nétjer" ("paroles divines"), ce qui se rapproche du mot
grec "hiéroglyphes" (caractères sacrés). Avant d'écrire, les
scribes récitaient toujours une prière adressée à Thot.
Cependant, les hiéroglyphes étaient une écriture réservée aux monuments, ils
étaient utilisés pour tout ce qui devait être établi pour l'éternité. Ils
concernaient donc des textes religieux, des inscriptions historiques et
politiques.
Pour les textes qui n'étaient pas destinés à être éternels, on utilisait une
autre écriture : le hiératique (une simplification des hiéroglyphes
transcrite en écriture cursive). Vers le VIIème siècle av JC, l'écriture fut
encore simplifiée et abrégée : le démotique ("écriture populaire") remplace
le hiératique ("écriture sacerdotale") qui reste cependant en usage pour les
textes religieux.
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Lorsque le scribe est
représenté avec Thot, ce dernier prend en général la forme du babouin
coiffé du disque solaire encastré dans un croissant de lune.
Provenance Tell el-Amarna -XVIIIème dynastie - H : 14 cm - Musée du
Caire. |
L'importance des fonctionnaires
Les scribes, compte tenu
de l'importance de l'écriture, occupaient une place de choix dans
l'administration du pays. Ils faisaient partie des 5 % de la population active
qui savaient lire et compter, ils étaient conscients du pouvoir que leur
conférait
leur savoir et la
Satire des métiers* les glorifie non sans raison.
*
Outre la Satire des métiers du Moyen Empire, de nombreux textes du Nouvel
Empire montrent les avantages de la vie de fonctionnaire. L'éloge de cette
vie figure souvent dans des textes qui s'adressent aux élèves scribes afin
de les inciter à plus de zèle. Ainsi, c'est pour rendre le métier de scribe plus attirant à son fils Pépi, que Khéty
écrivit, au début de la XIIème dynastie, sa "Satire des Métiers". D'après lui "c'est le plus beau des métiers", "il n'y en a
pas d'autre comme lui dans le pays", "Vois, il n'y a pas de métier sans patron, sauf celui de scribe
; il est le patron. Désormais si tu sais écrire, il fera mieux pour toi que
toutes les professions que je t'ai présentées."
Voir la page sur la
Satire des métiers
Les scribes étaient des fonctionnaires, ils étaient recrutés et payés par l'Etat.
Ils intervenaient à tous les niveaux de la société : du contrôleur des
équipes de moissonneurs (voir
la tombe de Menna) au bureaucrate de l'administration centrale du
palais. Les scribes pouvaient
exercer aussi des charges cléricales et militaires. Ainsi, les scribes assumaient,
par délégation du roi, le pouvoir dans tous les domaines : économiques**,
politiques, militaires et religieux. La grande majorité de la population
étant analphabète, ils exerçaient aussi le métier d'écrivain public. Ils
établissaient les contrats légaux les plus divers et servaient aussi parfois
de témoin, ils écrivaient les lettres sous la dictée ou les lisaient à ceux
qui ne pouvaient le faire eux-mêmes. Le monde des scribes était fortement hiérarchisé,
tous obéissaient au scribe suprême : le
vizir.
** Toutes les grandes entreprises économiques étaient commanditées par l'Etat
et dirigées par des fonctionnaires. Le scribe tenait les registres d’entrées
et de sorties des aliments dans les magasins de la cour ou dans les greniers
à blé des grands sanctuaires. Il assistait aussi le nomarque pour recouvrer
les impôts dans les différentes provinces du royaume.
Comme l'enseignement était uniformisé, les scribes pouvaient à tout moment passer d'une branche à l'autre.
Les fonctionnaires étaient payés par l'Etat en nature. Ils recevaient des
terres dont le revenu assurait leur entretien et profitaient des bénéfices
tirés de l'institution dans laquelle ils travaillaient. Par exemple, les
bénéfices des temples étaient répartis entre les membres de leur personnel
en fonction du grade occupé. Le roi pouvait aussi distribuer des
cadeaux à ses
fonctionnaires les plus zélés.
La formation du scribe
L'école des scribes était en théorie ouverte à tous
et beaucoup de scribes se glorifient dans leur tombe de leur origine modeste. Cependant, à l'origine,
les scribes étaient issus parmi les privilégiés de la Cour. A la fin de
l'Ancien Empire, une caste de scribes s'était constituée. On devint alors
très souvent fonctionnaire de père en fils. Mais il ne s'agissait pas vraiment
d'une fonction héréditaire car le fils devait tout d'abord avoir montré ses
capacités dans l'école du scribe puis être recruté comme fonctionnaire
par le pharaon. A la fin de leur carrière, les fonctionnaires méritants
recevaient des charges lucratives de prêtre dans les grands temples.
Les jeunes scribes
étaient formés au palais ou dans les différentes administrations civiles,
religieuses (les "maisons de vie") ou militaires. La formation du jeune
scribe commençait vers 5 ou 6 ans, il fallait une dizaine d'années pour
apprendre à lire et écrire les hiéroglyphes. L'apprentissage comprenait
d'abord l'acquisition du savoir de base : lire, écrire, compter. Ensuite, le
scribe devait acquérir une culture générale. Il étudiait la géographie, la
botanique, la zoologie, les éléments du corps humain, des notions de
religion, les langues étrangères... Tout cet apprentissage était fondé sur le par coeur et la recopie
incessante des "classiques" (littérature du Moyen Empire). Ils
avaient à leur disposition de véritables manuels scolaires, mais aussi des
recueils de modèles de correspondance et des sortes de dictionnaires de mots
classés par matière.
Comme le papyrus était coûteux, les élèves scribes s'exerçaient sur des tablettes
de bois recouvertes de stuc qu'on pouvait laver et réutiliser, des
ostraca
ou des tessons de poterie, ils écrivaient à
l'aide d'un roseau (un calame) taillé en biseau en utilisant l'encre noire ou rouge.
Voir la page sur la
Satire des métiers
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Ostracon: un exercice de scribe H : 11 cm - L : 7 cm - Londres,
University Collège, Pétrie Muséum
A la partie droite du recto, un scribe a écrit l'un sous l'autre, de la
ligne 2 à la ligne 8, dans un ordre quelque peu surprenant, «je suis»,
«il est», «tu es» (genre masculin), «nous sommes», «ils sont» (deux
graphies), «tu es» (genre féminin). Le reste de l'ostracon est une
énumération de mots sans suite. L'écriture n'est pas celle d'un
débutant, ce qui invite à l'interpréter plutôt comme un test de mémoire
que se serait infligé un scribe confirmé que comme un document relevant
de la formation élémentaire au métier de scribe. (description : Pierre
Grandet). |
Le scribe devait aussi acquérir un savoir de technique appliquée : écrire
une lettre, faire des exercices comptables, calculer des surfaces et des
volumes... Il
n'échappait pas non plus à une formation morale et idéologique, les châtiments
corporels étaient là pour lui rappeler l'obéissance et ce qu'on attendait de lui :
compétence, fidélité, loyauté, sagesse.
Les scribe était donc celui qui sait tout : à la fois homme de lettres,
architecte, géomètre, mathématicien, astronome, théologien, médecin et
magicien (science et magie étaient étroitement mêlées).
Le scribe se définissait comme un sage, il valorisait les notions de morale, de
mérite et de justice. Cependant cet idéal n'a pas toujours été respecté par
certains d'entre eux et la corruption, la pédanterie, les abus de pouvoir
n'ont pas été rares dans leurs rangs.
Le métier de scribe était en principe réservé aux hommes, on connaît cependant
des femmes scribes sous le Moyen Empire et à la Basse Epoque.
La
position du scribe
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Calcaire peint V°
dynastie - H : 58 cm
Musée du Louvre |
Musée du Louvre |
Le scribe Ptahchepsès -
Statue provenant de son tombeau à Gizeh - Vème dynastie - Musée de
Hildesheim. |
Les scribes formaient un
groupe si important qu'un mode de représentation particulier fut développé
pour eux : la position assise en tailleur, un rouleau de papyrus sur les
genoux.
C'est
sous la Vème dynastie qu'apparaissent les premières statues d'hommes figurés
en scribe, il s'agit de princes qui veulent se faire passer pour des
lettrés. Dès la Vème dynastie, les hauts dignitaires s'adjugent ce privilège
qui se perpétuera jusqu'à la Basse Epoque. De nombreux pharaons se sont fait
représenter en scribe.
Toutefois, le scribe peut être figuré dans une autre position :
courbé ou posant un genou à terre, tenant le rouleau de papyrus dans la
main gauche. Cette position est adaptée à une écriture en colonnes
verticales de haut en bas et de droite à gauche, puisque le rouleau se
déroule vers la gauche. Dans la position assise, le rouleau est déroulé
sur les genoux et le scribe écrit en lignes horizontales en commençant
par la droite.
La tenue du scribe est bien particulière : il porte toujours un pagne court
trapézoïdal, et ses cheveux sont coupés courts, en calotte. |
Le
matériel du scribe
Le scribe avait toujours
sur lui tout son matériel pour écrire :
- une palette creusée de deux cavités : une pour l'encre noire (obtenue à
partir du noir de fumée) et utilisée pour le texte courant, l'autre pour
l'encre rouge (fabriquée à partir de l'ocre naturelle) destinée aux titres
ou les éléments à mettre en valeur. Les palettes étaient soit en bois, soit
en ivoire, les plus précieuses étaient recouvertes d'argent ou d'or.
Lorsque l'élève scribe avait terminé ses études, c'était un scribe "qui
avait reçu l'écritoire". Certaines palettes pouvaient être munies de six
cavités pour recevoir d'autres couleurs qui permettaient au scribe de
dessiner.
On a retrouvé de nombreuses palettes dans des tombes car, comme le précise
le chapitre 94 du Livre
des Morts, elle permettait au défunt d'être "équipé des écrits de Thot"
donc de pouvoir maîtriser les formules magiques qui lui assureraient la
survie et l'éternité en écartant les embûches multiples du monde des
défunts.
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Palette en bois de
Toutankhamon - Les couleurs noire et rouge sont encore bien visibles -
Musée du Caire |
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Palettes en bois. Celle
de droite, la palette du scribe Pay, a conservé des vestiges de pains de
couleur dans les cavités : noir, rouge, blanc. Les textes écrits sont
deux invocations, l'une à Amon-Rê, l'autre à Thot. XVIII° dynastie -
Musée du Louvre |
Palette de Bakhenkhonsou,
Grand prêtre d'Amon, Règne de Ramsès II.
En forme de vase à tête du dieu Anubis, cette palette est sans doute
destinée au mobilier funéraire et n'a jamais été utilisée.
Musée du Louvre |
- des calames pour écrire. Les calames sont fabriqués en
jonc souples dont le bout mâchonné forme un petit pinceau, ils sont rangés
dans un évidement au centre de la palette.
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Le scribe, un genou plié,
rédige son document dans une position inconfortable. Il a coincé ses
calames derrière l'oreille pour les avoir à portée de main.
Devant lui, l'encrier-coquillage contient les pastilles de
couleurs.
Musée du Louvre.
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- un encrier
- un mortier pour réduire en poudre les pigments à encre
- un godet contenant de l'eau pour humidifier les pinceaux avant de les
tremper dans l'encre
Doubles godets à eau. Le
scribe y trempait son calame pour délayer l'encre avant d'écrire et pour
le nettoyer après usage.
Musée du Louvre |
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Godet
au nom du vizir Paser. XIXème dynastie.
Musée du Louvre. Le godet servait à délayer les encres de couleur dans
l'eau. L'inscription sur le rebord précise la titulature du vizir de
Séthi Ier. Le texte sur le corps du godet est une invocation à Thot,
patron des scribes : «Thot, seigneur des hiéroglyphes» (écrit
verticalement), il s'adresse aux utilisateurs futurs de l'objet en ces
termes: « [Vous] les scribes qui écrirez au moyen de ce ce godet et qui
en ferez une libation [à Thot], si vous prononcez la formule
d'invocation aux milliers de pains et bières en faveur du ka de
Son Excellence le noble, directeur des chambellans du seigneur des Deux
Terres, maire de Thèbes et vizir Paser [il arrivera que] Thot et Séchât
[déesse associée à Thot] vous loueront, que celui qui écoute [les
prières] [Amon ou Ptah?] vous aimera!». |
- un rouleau de papyrus
à découper au couteau aux dimensions souhaitées
- le couteau pour découper le papyrus et tailler les calames
Papyrus et
coupe-papyrus - Musée du Louvre |
- une sacoche en cuir pour ranger le flacon d'eau, les pains de couleur et
les gommes qui étaient en fait de petits bâtonnets de grès servant de
grattoirs pour le papyrus.
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