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CRAPOUILLOT juillet 1933

P 61-62

 LES ALLIÉS D’HITLER

 Hitler n’a pas pu lancer son parti, embrigader et équiper des centaines de milliers d'hommes et réussir sa formidable ascension en s’appuyant uniquement sur les Allemands de l’intérieur et de l’extérieur (les germano-américains en particulier) qui, pour des raisons diverses, le subventionnèrent ; le futur dictateur chercha et trouva également des appuis moraux aussi bien que matériels à l’extérieur

Mussolini

Les premiers encouragements lui vinrent assez naturellement de Mussolini. En dépit de certains caractères spécifiquement allemands (le dogme "raciste", la propagande antisémite), l’hitlérisme s’est nettement inspiré du fascisme italien, sans qu’on puisse dire d’ailleurs qu’il l’ait copié, car le programme hitlérien était déjà établi en 1920, deux ans avant la marche des chemises noires sur Rome.

Une fois le régime fasciste établi en Italie, Mussolini n’a pas été fâché de voir un confrère prêcher a peu près les mêmes théories que lui, d’autant que l’Italie, se jugeant frustrée par le Traité de Versailles, en retrouvant la Yougoslavie là où elle avait évincé l’Empire autrichien, devait être inclinée à se rapprocher de son ennemi d’hier, l’Allemagne.

Les Russes blancs

En affichant une haine violente contre le bolchevisme, Hitler d’autre part devait trouver des alliés tout naturels en la personne des "Russes blancs", des émigrés dispersés dans les divers pays européens (surtout en France, en Allemagne, et dans les pays balkaniques). Dans la seule France résident officiellement 400.000 émigrés russes, dont le plus grand nombre est organisé militairement sous le commandement du général Miller, successeur de Koutiepof, et rêve de reconquérir la Russie et d’y restaurer l’ancien régime tsariste : " Nous avons 100.000 hommes complètement exercés qui sont prêts à marcher sur Moscou, déclarait le général Miller au cours d’une interview en 1931. Je peux les mettre en campagne dans les vingt-quatre heures."

La prise du pouvoir par Hitler a été saluée par les acclamations de tous les Russes blancs et leur journal en France, La Renaissance — dont on parla beaucoup à l’époque de l’assassinat du Président Doumer par le Russe blanc Gorguloff - exalta le " Führer en ces termes :

"Hitler qui combat le communisme dans les rues de Berlin aide, par cela même, nos insurgés de Russie qui combattent les bolcheviks dans les champs du Kouban, de la Volga et en Sibérie. Hitler et ses partisans ont assumé cette tâche. C’est là qu’est le côté tragique de la situation du gouvernement d’Hitler et de toute l’Allemagne, car pour l’instant ils doivent assumer tout seuls une tâche formidable, qui serait difficile même pour une organisation internationale. L’Allemagne, si l’on peut dire, va maintenant vers un but grandiose (1)."

Et le journal des Russes blancs en France, à l’hommage qu’il rend à Hitler, n’hésite pas à associer l’ancien Kaiser, auquel le général Miller rendit jadis visite daims son exil de Doorn. Le général Miller est d’ailleurs le chef suprême de tous les Gardes blancs qui résident en Allemagne et qui ont activement participé au mouvement hitlérien. Certaines de ces formations russes arborent même la Croix gammée, et Le Temps du 27 mai indiquait qu’à l’occasion de la grande manifestation en mémoire de Schlageter organisée le 26 mai dans toute l’Allemagne, les Russes nationaux-socialistes d’Allemagne avaient déposé au monument aux morts de la guerre à Berlin une couronne aux couleurs du Tsar et ornée de la Croix gammée, hommage à l’agitateur fusillé par les troupes françaises pendant l’occupation de la Ruhr. D’autre part les diverses organisations de Russes blancs disséminés en Europe, ont toujours trouvé un solide appui auprès des pétroliers anglais désireux de remettre la main sur les puits du Caucase. "Il n’y a pas au monde d’entreprise plus profitable, plus avantageuse que la libération de la Russie, déclarait la Renaissance en juillet 1930. Ayant dépensé 1 milliard de roubles, l’humanité obtiendra un revenu de plus de 5 milliards, soit 500 % par an, avec la perspective de voir ses bénéfices annuels augmenter de 100 à 200 %. Où trouver une meilleure affaire ? Ajoutons encore que le bénéfice sera immédiat. La formation d’une armée volontaire internationale d’un million d’hommes diminuera tout de suite le nombre des chômeurs (2). "

Sir Deterding

A la tête des pétroliers anglais est Sir Deterding, un des maîtres du monde dont la puissance actuelle égale celle de Basil Zaharoff pendant la guerre mondiale et auquel il a, dit-on, succédé dans le grand Etat-Major de 1’"Intelligence service". Quelques chiffres indiqueront l’importance du personnage, ses moyens d’action et l’énormité des intérêts en jeu. Le groupe Deterding passe pour représenter plus de 100 milliards; avant la reprise des relations avec les Soviets, le trust anglais vendait à l’Europe l’essence légère 50 dollars 70 la tonne (en 1926) ; à la suite de la

(1) Cité par H. Torrès, rapporteur du pacte franco-soviétique (cf. Journal Officiel, séance du 16 mai 1933, p. 2834).

(2) En particulier, en les faisant tuer.

concurrence du pétrole russe, l’essence a dû descendre en 1932 à 16 dollars. (En six années, la France a gagné 235 millions de dollars, en les payant en moins au trust anglais (1).) D’autre part, la baisse des valeurs du pétrole anglais a fait perdre à l’épargne mondiale plus de 18 milliards de francs dont 60 % aux épargnants français. Le tout-puissant Sir Deterding ne se cache pas d’influencer la politique du Royaume-Uni aussi bien que celle des autres pays. Il n’a jamais fait antichambre chez certains ministres français. Le Président de l’Assemblée de la North Caucasian Oilfields déclarait par exemple le 4 octobre 1927 que le fait le plus important de l’année était le renvoi de Londres de l’ambassadeur soviétique et il ajoutait : " Il est à espérer que le gouvernement français agira de même. Sir Henry Deterding exercera dans ce but, sur le gouvernement français, toute la pression qu’il est possible d’exercer." Sans doute, Sir Deterding trouva-t-il des arguments de premier ordre auprès de certains membres du gouvernement Poincaré, car dès le 7 octobre, le rappel de 1’ ambassadeur Rakowski était formellement demandé par notre ambassadeur à Moscou au commissaire russe des Affaires étrangères (2). Sir Henry Deterding, qui subventionna toutes les conspirations antisoviétiques, ne pouvait manquer de s’intéresser au mouvement hitlérien dont le programme comportait, en premier lieu, la destruction du marxisme et l’invasion de la Russie. Son appui fut sans nul doute substantiel et de première importance. Hitler eut d’ailleurs toujours dans son État-Major, un représentant sinon de l’impérialisme britannique, du moins de 1’ "Intelligence Service" Ce fut pendant un temps le capitaine Vivian Standers — représentant de la fabrique de mitrailleuses anglaises Beardmove — précédemment condamné en France pour espionnage (3). D’autre part, un des chefs du parti hitlérien, le balte Alfred Rosenberg, actuellement véritable chef des Affaires étrangères à Berlin, fait depuis plusieurs années la liaison entre la Maison Brune et le roi du pétrole anglais. Lors de son récent et tumultueux voyage à Londres la première visite de Rosenberg — le 5 mai 1933 — ne fut-elle point pour Sir Deterding, qui s'excusa sans doute de l’accueil un peu frais réservé par la population londonienne à l’ambassadeur hitlérien...

(1) Déclaration de M. Charles Baron à la Chambre des députés, séance du 16 mai 1933 (Journal Officiel du 17 mai, p. 2389).

(2) Déclaration de M. Charles Baron à la chambre des députés, séance du 16 mai 1933 (Journal Officiel du 17 mai, p. 2389).

(3) Sur les rapports d’Hitler avec les agents secrets anglais, voir l’article de Xavier de Hauteclocque dans Les Morts Mystérieuses (numéro spécial de Crapouillot, 12 francs).

Les marchands de canons

Après avoir réalisé des gains colossaux pendant la guerre, les munitionnaires se trouvèrent dans une situation assez désagréable au lendemain du Traité de Versailles. En effet, les marchands de canons allemands se voyaient interdire désormais la fabrication des armes, tandis que les marchands de mort subite alliés pouvaient redouter l’application stricte du Traité par les vainqueurs, c’est-à-dire le désarmement progressivement réalisé. Pour les premiers, il était naturel de subventionner un homme qui se présentait un champion de la revanche, honnissait le pacifisme et ne rêvait que combats et massacres. Les premiers et les plus sérieux commanditaires d'Hitler furent donc les marchands allemands de plaques blindées qui pou valent justement espérer que l’agitateur, s’il devenait dictateur, obtiendrait le réarmement de l’Allemagne. Mais pour les fabricants d’armements des autres pays, anciens adversaires de l’Allemagne, il était indispensable afin d’empêcher le désarmement et perpétuer le commerce privé des armes, que des menaces continuent à planer dans le ciel européen. Hitler était tout indiqué pour servir d’épouvantail, aux Français en particulier, et motiver par ses propos belliqueux, soigneusement reproduits dans la presse "contrôlée", de sérieuses mesures de sûreté. Car si les marchands de canons se défendent. ordinairement (le vouloir provoquer (les guerres, il est toutefois de leur intérêt bien compris de maintenir un état d’inquiétude sinon de panique entre pays voisins... L’effondrement d’Hitler eût été un sérieux coup dur pour les munitionnaires anglo-français. A la tribune de la chambre française, au mois de février 1932, le député Paul Faure a fait à ce sujet de bien curieuses révélations sur les envois de poudre que le premier arsenal privé français effectuait à destination de l’Allemagne du Sud... Il a déclaré aussi - et si cette déclaration n’a pas été, bien entendu, reproduite par la presse, elle n'a pas non plus été démentie et est facilement - qu’un des plus importants souscripteurs du mouvement hitlérien à ses débuts avait été la firme de munitions Skoda.. Autrichiennes pendant la guerre du Droit et de la Civilisation (elles fabriquaient les fameux 380), les usines Skoda étaient devenues, à la paix, tchécoslovaques. Bien que la petite Tchécoslovaquie n’ait pas en l'Allemagne une voisine de tout repos et en vertu de ce principe que tous les clients sont bons à prendre - même s’ils sont des ennemis du lendemain de votre pays — les directions des usines Skoda ont donc cru de leur intérêt de soutenir un futur dictateur avec l’espoir qu’arrivé au pouvoir il n'oublierait point ses amis de la première heure. Mais le plus significatif de l'histoire c’est que la firme Skoda — à l’époque où elle finançait le mouvement hitlérien — était officiellement sous le contrôle du Creusot français...

 

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