CRAPOUILLOT juillet 1933 |
P 37- 38 - 39 - 40 |
HITLER ET LA GUERRE |
Mais le jeu le plus subtil avec les
principes de la psychologie des foules, ne nourrit pas le peuple, ne peut toujours tromper
la faim. Ne peut la tromper à la longue... Et alors, lHitlérisme ne tentera-t-il
pas, si la situation intérieure se complique dangereusement, de briser par une violente
explosion le cercle vicieux dans lequel il tourne, de le briser en se lançant dans une
aventure extérieure ? Napoléon III noffre-t-il pas lexemple dun
despote qui chercha par des guerres extérieures sortir des difficultés intérieures ?
Cet exemple, Hitler ne sera-t-il pas tenté de limiter ? HITLER EST-CE LA GUERRE
(1)? Il est hors de doute que le programme de politique extérieure du National-Socialisme
apparaît pour lEurope comme une menace de lhégémonie allemande. Il est vrai
quon pourrait , en réalité, difficilement parler dun
"programme " de politique extérieure : nest-ce pas
plutôt une redondante et prudhommesque phraséologie de patriotards en chambre
rendus fous furieux ? Que lon considère ce point que lHitlérisme place en
tête de ses revendications " Nous exigeons, en vertu du principe du droit des
peuples à disposer deux-mêmes, lunion de tous les Allemands dans une grande
Allemagne " Vraiment, de tous les Allemands ? C'est-à-dire de ceux également qui
sont allés se fixer totalement à lécart de la grande masse de la Nation soit sur
les bords de la Volga, en Hongrie et en Yougoslavie ? On na guère pensé à cela,
comme dailleurs ou sabstient terriblement de penser clans le camp de la Croix
gammée Toutefois, cette exigence dune union de tous les Allemands apparaît
essentiellement limitée par cette phrase que nous trouvons dans une brochure officielle
du parti par Niss Volker, brochure-programme intitulée : " Notre germanisme aux
frontières et à létranger " (Unser Grenz- und Auslands-Deutschtum
München 1933). Voici la phrase : " Plus de 13 millions dAllemands
habitent à nos frontières, qui veulent rentrer au foyer. " Ainsi, il ne sagit
pas de tous les Allemands, mais de 13 millions qui habitent aux frontières. Mais cette
exigence ne se borne pas seulement à l'A nschluss de lAutriche, elle menace
également, et dune manière directe, la plupart des voisins de lAllemagne
Hitlérienne, à savoir : La Pologne, La Tchécoslovaquie, Le Danemark, La France, La
Belgique, Et, en outre également : La Suisse, le Luxembourg, la Hollande.
LHitlérisme voit le principal obstacle à la réalisation de ses revendications
dans le Traité de Versailles La partie principale. de sa propagande et comme son
plat de résistance, fut toujours l'excitation sans borne contre Versailles.
Cétait le traité honteux " le traité desclavage, et les Allemands qui
lavaient signé méritaient dêtre pendus au gibet le plus haut. Hitler jouait
à lhomme fort qui romprait les chaînes versaillaises. Pour ses partisans,
lidée seule eût paru risible quil pût être un seul jour au pouvoir sans
déchirer le " traité de honte " et le jeter aux pieds du " cercle des
ennemis ", du " Feindbund ". Lorsque, à Nuremberg , au Congrès du
Parti, il remit une bannière aux National-Socialistes viennois, il accompagna ce geste de
ces mots : " Vous recevez cet étendard en Signe de l'indivisibilité de notre
mouvement jusquà ce que les traités de honte de Versailles et de Saint-Germain
soient brisés. " Et, en I926 la fraction national-socialiste au Reichstag présenta
même le projet de résolution suivant : "Tant que durera le Traité de Versailles,
le drapeau de l'Empire allemand sera noir." La partie du Traité de Versailles à
laide de laquelle les National-Socialistes parvinrent en premier lieu à déchaîner
le furor teutonicus, fut celle concernant Dantzig et le couloir polonais. Il est
certain que c'est là le morceau le plus malheureux du Traité de Versailles qui, dans
dautres parties également , est. souvent mal bâti, injuste et inapplicables les
quatorze années passées jusquà ce jour l'ont largement prouvées - Un grand
peuple, non, n'importe quel peuple! ressentira toujours même sans campagne
dexcitation chauvine comme une chose inadmissible que son territoire soit
coupé en deux parties par une bande de terre placée sous une souveraineté étrangère,
et quun port lui soit arraché uniquement pour procurer à cet Etat étranger un
accès à la mer. Que la Tchécoslovaquie ait une zone franche dans le port de Hambourg et
possède ainsi une liberté dimportation et dexportation maritimes non
contrôlable par lAllemagne némeut aucun Allemand. Mais aucun Allemand ne
trouve juste la création du corridor et la séparation de Dantzig. Ici, la propagande
dHitler jouait un jeu facile. Mais comme les Hitlériens ne sont modestes en rien,
ils réclament, outre la restitution du corridor et de Dantzig, la reprise de tous les
territoires polonais qui, jusquen 1914, étaient soumis à la domination prussienne.
Une personnalité aussi influente que Rosenberg, le Mentor dHitler dans les
questions de politique extérieure et actuellement en quelque sorte second Ministre des
Affaires Etrangères du Reich, a parlé en 1923 du jour où, " outre la Ruhr et le
Rhin, non seulement Dantzig, mais aussi Posen (Poznan) nous sera rendu ".
Lagitation Hitlérienne a voué à la Tchécoslovaquie une haine presque aussi
grande que celle contre la Pologne, car cet Etat appartient, lui aussi, selon la
terminologie national-socialiste, aux " vassaux de la France ". Qu' en
conséquence , pour les orateurs ambulants de la Croix gammée les régions de la
République Tchécoslovaque où habitent des Allemands , ces régions dites " lAllemagne
des Sudètes ", doivent être réunies au Reich, cela va de soi.
(1) En français dans le texte |
De même cette bande de terre du Slesvig qui,
en vertu du Traité de Versailles et après un plébiscite, a fait retour au Danemark, a
déjà commencé à échauffer les têtes de ceux quai ont été exposés au " bourrage
de crâne " (1) des Hitlériens. Mais comme le National-Socialisme ne pense qu'à
laide de clichés pétrifiés, l'ennemi principal est naturellement la France que
lon croit pouvoir traiter avec désinvolture parce quelle représente une
" race abâtardie " un " mélange de nègres " ! Stresemann, pour la
raison quil avait épousé une Juive, et quil était dailleurs un
traître, a fait à la France de honteuses concessions , notamment à Locarno où
lAllemagne à solennellement renoncé à lAlsace et à la Lorraine. Avec
quelle véhémence et. quelle frénésie les injures pleuvaient-elles dans les réunions
des National-Socialistes sur ce " Directoire juif et antiallemand qui avait fini à
Locarno par reconnaître le rapt dune terre et de frères allemands ".Pour
lHitlérisme, il ny a pas de Locarno (2). Il voit dans
lAlsace-Lorraine une terre "presque entièrement allemande" qui gémit
actuellement sous la " domination étrangère " de la France. Abêtis et
excités par toutes les grandes phrases hitlériennes, les auditeurs ont été facilement
persuadés quun plébiscite aurait, en 1918, conservé le pays à lAllemagne,
et quAlsaciens et Lorrains nattendent que leur "libération" par
Hitler. Avec des allures de prophète Niss-Volker, dans sa brochure déjà citée et qui,
exposant le programme officiel du parti, engage la responsabilité de ce dernier,
déclare: "LAlsace-Lorraine rentrera au foyer!" Naturellement, le
National-Socialisme surveille aussi tout particulièrement la Sarre qui est provisoirement
administrée par la Société des Nations et qui doit, par plébiscite en 1935, décider
de son sort. Non seulement la Sarre est voisine du Palatinat où lHitlérisme fut
toujours très actif, mais elle a vu à lintérieur de ses frontières se
développer un mouvement de la Croix gammée qui, maintenant, après la victoire de la
"Révolution Nationale", est pousse avec une activité singulièrement accrue,
et par tous les moyens. Dautre part, la " Révolution Nationale " a, en
quelque sorte, enlevé à de larges couches de la population sarroise lenvie de
"rentrer " à un foyer où la privation de droits, lintimidation, la
prison, voire même la torture ou lassassinat attendent ceux qui ne seraient pas de
stricte obédience hitlérienne. La possibilité existe, depuis le 5 mars, quen 1935
la majorité des Sarrois ne se prononcent pas pour la France, ni pour lAllemagne,
mais pour le maintien du Statut actuel, sous le contrôle de la Société des Nations. Que
se passerait-il dans ce cas ? Lorgane des Hitlériens en Sarre, la "
Saar-N.S.Z.-Front", a des menaces toutes prêtes pour cette éventualité.
"Quadviendrait-il", demande ce journal, "Si, en 1935, le plébiscite
était défavorable à lAllemagne ?" La réponse vient, dépourvue de toute
ambiguïté: "La nouvelle Allemagne ne reconnaîtrait pas un plébiscite
marqué dun tel mensonge..." " La nouvelle Allemagne reprendra la Sarre,
sil le faut, par la violence... En tous cas, la nouvelle Allemagne serait résolue
à employer même le dernier moyen la guerre ! " QuEupen et Malmédy
doivent revenir à lAllemagne, cela est clair également. Après cela, la question
flamande reviendra tout naturellement sur leau. Quant aux Suisses alémaniques, aux
Luxembourgeois et aux Hollandais, ils sont, pour un mouvement basé sur la communauté de
sang (" blutgebundene Bewegung "), tel que lHitlérisme, les sujets
nés de la Croix gammée. Au Stammtisch, le monde se partage très facilement et se
digère de même. Que tout cela soit hautement fantaisiste, jen demeure
daccord ! Mais la propagande dHitler ne vit que de fantaisies. Si elle avait
voulu éveiller le sens des réalités et de la relativité de la politique, jamais les
masses Surexcitées par la faim et la misère ne seraient accourues sous ses bannières.
Mais elle se grisait, en politique extérieure, des mêmes excentricités quen
politique intérieure. A dinnombrables reprises, les orateurs des réunions
national-socialistes ont sous les rafales dapplaudissement de leurs auditeurs,
assuré, affirmé, juré quHitler reprendrait en un tournemain tout ce qui avait
été allemand. "Nous ne renonçons", dit la brochure de Niss-Volker,
"à aucun Allemand, que ce soit dans le Tyrol du Sud ou dans le Slesvig du Nord, à
louest comme à lest." Et dans une déclaration officielle au nom du
parti Gregor Strasser affirmait, le 24 novembre 1925, au Reichstag : "Nous,
National-Socialistes, soldats et officiers du front, nous ne renoncerons jamais à
IAlsace-Lorraine à Eupen et Malmédy, à la Sarre et à nos colonies. Nous ne
renonçons pas plus au Slesvig quà Memel et Dantzig, à la Posnanie, la Prusse
occidentale et à la Haute-Silésie. Nous ne sommes pas de ceux qui noffrent à nos
frères dAutriche et des Sudètes que la viande creuse des mots ! " Le plus
borné des membres des Sections dAssaut sait pertinemment que de tels buts ne
peuvent satteindre que par une nouvelle guerre mondiale. Mais la guerre
neffraie pas les National-Socialistes. Au contraire ! La guerre correspond
intimement aux aspirations de lHitlérisme qui se fait véritablement une gloire
dêtre, non un mouvement civil un mouvement bourgeois, mais un mouvement militaire.
Le mouvement de ceux parmi les anciens combattants auxquels la guerre n'a rien appris et
qui affirment joyeusement leur ardeur guerrière. " Le National-Socialisme
", déclarait Gottfried Feder (léconomiste de léquipe hitlérienne),
"est, dans sa signification la plus intime, le domaine de lesprit du
front." Et cela nest pas douteux. Celui qui considère comme des moyens normaux
de politique intérieure les coups et leffusion de sang, celui-là pense également
en politique extérieure immédiatement à la violence. (2) souligné par lauteur. (N. du Tr.) |