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 CRAPOUILLOT juillet 1933

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 HITLER ET LA GUERRE

 Mais le jeu le plus subtil avec les principes de la psychologie des foules, ne nourrit pas le peuple, ne peut toujours tromper la faim. Ne peut la tromper à la longue... Et alors, l’Hitlérisme ne tentera-t-il pas, si la situation intérieure se complique dangereusement, de briser par une violente explosion le cercle vicieux dans lequel il tourne, de le briser en se lançant dans une aventure extérieure ? Napoléon III n’offre-t-il pas l’exemple d’un despote qui chercha par des guerres extérieures sortir des difficultés intérieures ? Cet exemple, Hitler ne sera-t-il pas tenté de l’imiter ? HITLER EST-CE LA GUERRE (1)? Il est hors de doute que le programme de politique extérieure du National-Socialisme apparaît pour l’Europe comme une menace de l’hégémonie allemande. Il est vrai qu’on pourrait , en réalité, difficilement parler d’un     "programme " de politique extérieure : n‘est-ce pas plutôt une redondante et prud’hommesque phraséologie de patriotards en chambre rendus fous furieux ? Que l’on considère ce point que l’Hitlérisme place en tête de ses revendications " Nous exigeons, en vertu du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’union de tous les Allemands dans une grande Allemagne " Vraiment, de tous les Allemands ? C'est-à-dire de ceux également qui sont allés se fixer totalement à l’écart de la grande masse de la Nation soit sur les bords de la Volga, en Hongrie et en Yougoslavie ? On n’a guère pensé à cela, comme d’ailleurs ou s’abstient terriblement de penser clans le camp de la Croix gammée Toutefois, cette exigence d’une union de tous les Allemands apparaît essentiellement limitée par cette phrase que nous trouvons dans une brochure officielle du parti par Niss Volker, brochure-programme intitulée : " Notre germanisme aux frontières et à l’étranger " (Unser Grenz- und Auslands-Deutschtum München 1933). Voici la phrase : " Plus de 13 millions d’Allemands habitent à nos frontières, qui veulent rentrer au foyer. " Ainsi, il ne s’agit pas de tous les Allemands, mais de 13 millions qui habitent aux frontières. Mais cette exigence ne se borne pas seulement à l'A nschluss de l’Autriche, elle menace également, et d’une manière directe, la plupart des voisins de l’Allemagne Hitlérienne, à savoir : La Pologne, La Tchécoslovaquie, Le Danemark, La France, La Belgique, Et, en outre également : La Suisse, le Luxembourg, la Hollande. L’Hitlérisme voit le principal obstacle à la réalisation de ses revendications dans le Traité de Versailles La partie principale. de sa propagande — et comme son plat de résistance, — fut toujours l'excitation sans borne contre Versailles. C’était le traité honteux " le traité d’esclavage, et les Allemands qui l’avaient signé méritaient d’être pendus au gibet le plus haut. Hitler jouait à l’homme fort qui romprait les chaînes versaillaises. Pour ses partisans, l’idée seule eût paru risible qu’il pût être un seul jour au pouvoir sans déchirer le " traité de honte " et le jeter aux pieds du " cercle des ennemis ", du " Feindbund ". Lorsque, à Nuremberg , au Congrès du Parti, il remit une bannière aux National-Socialistes viennois, il accompagna ce geste de ces mots : " Vous recevez cet étendard en Signe de l'indivisibilité de notre mouvement jusqu’à ce que les traités de honte de Versailles et de Saint-Germain soient brisés. " Et, en I926 la fraction national-socialiste au Reichstag présenta même le projet de résolution suivant : "Tant que durera le Traité de Versailles, le drapeau de l'Empire allemand sera noir." La partie du Traité de Versailles à l’aide de laquelle les National-Socialistes parvinrent en premier lieu à déchaîner le furor teutonicus, fut celle concernant Dantzig et le couloir polonais. Il est certain que c'est là le morceau le plus malheureux du Traité de Versailles qui, dans d’autres parties également , est. souvent mal bâti, injuste et inapplicables les quatorze années passées jusqu’à ce jour l'ont largement prouvées - Un grand peuple, non, n'importe quel peuple! ressentira toujours — même sans campagne d’excitation chauvine — comme une chose inadmissible que son territoire soit coupé en deux parties par une bande de terre placée sous une souveraineté étrangère, et qu’un port lui soit arraché uniquement pour procurer à cet Etat étranger un accès à la mer. Que la Tchécoslovaquie ait une zone franche dans le port de Hambourg et possède ainsi une liberté d’importation et d’exportation maritimes non contrôlable par l’Allemagne n’émeut aucun Allemand. Mais aucun Allemand ne trouve juste la création du corridor et la séparation de Dantzig. Ici, la propagande d’Hitler jouait un jeu facile. Mais comme les Hitlériens ne sont modestes en rien, ils réclament, outre la restitution du corridor et de Dantzig, la reprise de tous les territoires polonais qui, jusqu’en 1914, étaient soumis à la domination prussienne. Une personnalité aussi influente que Rosenberg, le Mentor d’Hitler dans les questions de politique extérieure et actuellement en quelque sorte second Ministre des Affaires Etrangères du Reich, a parlé en 1923 du jour où, " outre la Ruhr et le Rhin, non seulement Dantzig, mais aussi Posen (Poznan) nous sera rendu ". L’agitation Hitlérienne a voué à la Tchécoslovaquie une haine presque aussi grande que celle contre la Pologne, car cet Etat appartient, lui aussi, selon la terminologie national-socialiste, aux " vassaux de la France ". Qu' en conséquence , pour les orateurs ambulants de la Croix gammée les régions de la République Tchécoslovaque où habitent des Allemands , ces régions dites " l’Allemagne des Sudètes ", doivent être réunies au Reich, cela va de soi.                         

(1) En français dans le texte

De même cette bande de terre du Slesvig qui, en vertu du Traité de Versailles et après un plébiscite, a fait retour au Danemark, a déjà commencé à échauffer les têtes de ceux quai ont été exposés au " bourrage de crâne " (1) des Hitlériens. Mais comme le National-Socialisme ne pense qu'à l’aide de clichés pétrifiés, l'ennemi principal est naturellement la France que l’on croit pouvoir traiter avec désinvolture parce qu’elle représente une " race abâtardie " un " mélange de nègres " ! Stresemann, pour la raison qu’il avait épousé une Juive, et qu’il était d’ailleurs un traître, a fait à la France de honteuses concessions , notamment à Locarno où l’Allemagne à solennellement renoncé à l’Alsace et à la Lorraine. Avec quelle véhémence et. quelle frénésie les injures pleuvaient-elles dans les réunions des National-Socialistes sur ce " Directoire juif et antiallemand qui avait fini à Locarno par reconnaître le rapt d’une terre et de frères allemands ".Pour l’Hitlérisme, il n’y a pas de Locarno (2). Il voit dans l’Alsace-Lorraine une terre "presque entièrement allemande" qui gémit actuellement sous la " domination étrangère " de la France. Abêtis et excités par toutes les grandes phrases hitlériennes, les auditeurs ont été facilement persuadés qu’un plébiscite aurait, en 1918, conservé le pays à l’Allemagne, et qu’Alsaciens et Lorrains n’attendent que leur "libération" par Hitler. Avec des allures de prophète Niss-Volker, dans sa brochure déjà citée et qui, exposant le programme officiel du parti, engage la responsabilité de ce dernier, déclare: "L’Alsace-Lorraine rentrera au foyer!" Naturellement, le National-Socialisme surveille aussi tout particulièrement la Sarre qui est provisoirement administrée par la Société des Nations et qui doit, par plébiscite en 1935, décider de son sort. Non seulement la Sarre est voisine du Palatinat où l’Hitlérisme fut toujours très actif, mais elle a vu à l’intérieur de ses frontières se développer un mouvement de la Croix gammée qui, maintenant, après la victoire de la "Révolution Nationale", est pousse avec une activité singulièrement accrue, et par tous les moyens. D’autre part, la " Révolution Nationale " a, en quelque sorte, enlevé à de larges couches de la population sarroise l’envie de "rentrer " à un foyer où la privation de droits, l’intimidation, la prison, voire même la torture ou l’assassinat attendent ceux qui ne seraient pas de stricte obédience hitlérienne. La possibilité existe, depuis le 5 mars, qu’en 1935 la majorité des Sarrois ne se prononcent pas pour la France, ni pour l’Allemagne, mais pour le maintien du Statut actuel, sous le contrôle de la Société des Nations. Que se passerait-il dans ce cas ? L’organe des Hitlériens en Sarre, la " Saar-N.S.Z.-Front", a des menaces toutes prêtes pour cette éventualité. — "Qu’adviendrait-il", demande ce journal, "Si, en 1935, le plébiscite était défavorable à l’Allemagne ?" La réponse vient, dépourvue de toute ambiguïté: — "La nouvelle Allemagne ne reconnaîtrait pas un plébiscite marqué d’un tel mensonge..." " La nouvelle Allemagne reprendra la Sarre, s’il le faut, par la violence... En tous cas, la nouvelle Allemagne serait résolue à employer même le dernier moyen — la guerre ! " Qu’Eupen et Malmédy doivent revenir à l’Allemagne, cela est clair également. Après cela, la question flamande reviendra tout naturellement sur l’eau. Quant aux Suisses alémaniques, aux Luxembourgeois et aux Hollandais, ils sont, pour un mouvement basé sur la communauté de sang (" blutgebundene Bewegung "), tel que l’Hitlérisme, les sujets nés de la Croix gammée. Au Stammtisch, le monde se partage très facilement et se digère de même. Que tout cela soit hautement fantaisiste, j’en demeure d’accord ! Mais la propagande d’Hitler ne vit que de fantaisies. Si elle avait voulu éveiller le sens des réalités et de la relativité de la politique, jamais les masses Surexcitées par la faim et la misère ne seraient accourues sous ses bannières. Mais elle se grisait, en politique extérieure, des mêmes excentricités qu’en politique intérieure. A d’innombrables reprises, les orateurs des réunions national-socialistes ont sous les rafales d’applaudissement de leurs auditeurs, assuré, affirmé, juré qu’Hitler reprendrait en un tournemain tout ce qui avait été allemand. — "Nous ne renonçons", dit la brochure de Niss-Volker, "à aucun Allemand, que ce soit dans le Tyrol du Sud ou dans le Slesvig du Nord, à l’ouest comme à l’est." Et dans une déclaration officielle au nom du parti Gregor Strasser affirmait, le 24 novembre 1925, au Reichstag : "Nous, National-Socialistes, soldats et officiers du front, nous ne renoncerons jamais à I’Alsace-Lorraine à Eupen et Malmédy, à la Sarre et à nos colonies. Nous ne renonçons pas plus au Slesvig qu’à Memel et Dantzig, à la Posnanie, la Prusse occidentale et à la Haute-Silésie. Nous ne sommes pas de ceux qui n’offrent à nos frères d’Autriche et des Sudètes que la viande creuse des mots ! " Le plus borné des membres des Sections d’Assaut sait pertinemment que de tels buts ne peuvent s’atteindre que par une nouvelle guerre mondiale. Mais la guerre n’effraie pas les National-Socialistes. Au contraire ! La guerre correspond intimement aux aspirations de l’Hitlérisme qui se fait véritablement une gloire d’être, non un mouvement civil un mouvement bourgeois, mais un mouvement militaire. Le mouvement de ceux parmi les anciens combattants auxquels la guerre n'a rien appris et qui affirment joyeusement leur ardeur guerrière. — " Le National-Socialisme ", déclarait Gottfried Feder (l’économiste de l’équipe hitlérienne), "est, dans sa signification la plus intime, le domaine de l’esprit du front." Et cela n’est pas douteux. Celui qui considère comme des moyens normaux de politique intérieure les coups et l’effusion de sang, celui-là pense également en politique extérieure immédiatement à la violence.

(2) souligné par l’auteur. (N. du Tr.)

 

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