CRAPOUILLOT juillet 1933 |
P 36-37 |
HITLER ET HUGENBERG |
Mais pour les chefs du mouvement national
socialiste, la " chasse aux républicains " de même que la persécution des
Juifs, ne sont pas uniquement des buts en soi. Elles servent encore à autre chose, à
détourner lattention publique de ce qui est lessentiel. De ce qui est
lessentiel ? Oui ! Des milliers dAllemands nont pas fait fond sur
Hitler pour obtenir que des médecins juifs ne puissent plus autopsier que des cadavres
juifs, mais uniquement dans lespoir quil mettrait fin à la crise économique
et expulserait du territoire allemand la détresse et la misère. " Donnez à
Hitler le pouvoir, en quarante-huit heures tout aura changé ! " disait la
charlatanesque formule à laquelle les électeurs hypnotisés obéirent. Voici Hitler au
pouvoir depuis trois mois. Bientôt il y aura quarante-huit fois quarante-huit heures
quil est le maître. Mais rien ne se fait encore sentir dun changement
économique. Au contraire. Le nouveau rétrécissement des exportations et
lébranlement de la devise nationale apparaissent comme le corollaire très sérieux
et très dangereux du régime de la Croix gammée. Aucune dès ordonnances de détresse
sur les réductions de salaires et les impôts nouveaux n'a été abrogée. Déjà le
spectre de linflation hante les nuits de beaucoup dépargnants et, à part les
créatures du "Führer" pour lesquelles des places, des postes, des faveurs et
des prébendes ont été rendus vacants ou créés, aucun Allemand n'a trouvé dans son
assiette, a près le 30 janvier, un morceau de pain plus grand quavant. Mais dès
millions dhommes espèrent. Des millions dhommes attendent. Et gare,
sils espèrent et attendent en vain ! La désillusion sans nom de ces millions
dhommes serait la catastrophe pour le régime dHitler. ET CETTE DESILLUSION
VIENDRA (1). Car, jamais un régime na, avant de prendre le pouvoir, accumulé
autant de promesses, na émis sur la prospérité future autant de chèques pour
lesquels il ny a maintenant aucune provision. La capacité de paiement dHitler
est nulle. Il y a incompatibilité criante entre ses capacités personnelles et une oeuvre
aussi gigantesque que celle du sauvetage de lAllemagne. Hitler nest quun
" tambour " un haut-parleur, un agitateur. Placé devant un travail pratique,
alors quil ne peut pas, comme Guillaume II dessiner de. soutaches et des
galons pour luniforme de sa garde-du-corps, il ne peut que faire chou-blanc.
Personne nest mieux placé pour le savoir que ceux qui lapprochent
personnellement chaque jour. Nous connaissons cet aveu que Gregor Strasser fit un jour au
comte Rèventlow à savoir "quà le considérer de près, Hitler nétait
tout de même quun orateur et non un politicien et un homme dEtat" Et son
programme non plus nest pas autre chose quune seule et fantaisiste
accumulation de lieux communs dont la platitude pourrait difficilement être surpassée.
Procurer du travail, donner à léconomie allemande un " tour de manivelle
" ? Tout cela est parfait. Seulement, léconomie allemande ne semble guère
devoir partir au " quart de tour " parce qu'on aura pendu tous les Juifs. Et ce
nest pas non plus la commande de 10.000 médailles hitlériennes passée à une
firme rhénane, que rapporte triomphalement toute la presse, qui va déterminer le
commencement des sept années de vaches grasses. (1)souligné dans le texte. (N. du Tr.) |
Mais avant tout, cest dune grave dissension intestine que souffre le gouvernement. Dès quil sagit de buts positifs et de travail constructif, Hitler et Hugenberg se mettent à tirer, sur la même corde, mais dans les deux sens exactement opposés. Le but dHugenberg est tout simplement le rétablissement de lEmpire tel quil existait en 1914, avec lhégémonie des couches dirigeantes dalors, de lEtat autoritaire dès Hohenzollern régnant sur dès sujets criant : Hurrah ! au garde-à-vous. Economiquement, son point de vue est à peu près celui dun chef dentreprise de lan 1860. Il commence à devenir nerveux et à sirriter au seul énoncé du mot : socialisme. Hitler, au contraire, avec son programme délavé, ondoyant et divers, est certainement tout ce que lon veut sauf un socialiste, et ses troupes se composent déléments dont les intérêts sont les plus contradictoires, mais il est une chose au moins qui leur est commune : lirritation contre un ordre économique sous lequel ils ont dû jeûner et se priver. Il y a dans la masse de ses partisans une sombre et farouche haine du capitalisme quil est impossible de calmer par la fermeture de quelques boutiques juives. La moindre des choses quHitler veuille ou puisse tenter pour apaiser cette fringale anticapitaliste se heurtera obligatoirement à une résistance de la part dHugenberg. Inversement, toute mesure que prendra Hugenberg pour imposer ses vues économiques indisposera profondément Hitler. Hic Rhodus, hic salta ! Mais si Hitler et Hugenberg dansent en commun, leur danse pourrait finir en bagarre. Dailleurs, le jeu brutal des coups de coude dans les côtes grâce auquel les associés national-socialistes du gouvernement ont su se pousser dans de nombreux postes qui nétaient pas prévus pour eux, ce jeu na pas été pour diminuer la mauvaise humeur dHugenberg et de ses coreligionnaires politiques. Derrière Hitler salignent les Sections d Assaut. Derrière Hugenberg les Casques dAcier. Le conflit armé et sanglant qui a éclaté à la fin du mois de mars à Brunswick, ainsi que le suicide du président de la fraction nationaliste au Reichstag, Dr Oberfohren, montrent lacuité du conflit existant au sein de la " Coalition Nationale ". Mais cest parce que le gouvernement est incapable dun travail objectif quil provoque les passions populaires, précisément pour ne pas laisser éclore le désir dun travail objectif ou pour lendormir. La grande masse ne veut, a déclaré Hitler lui-même un jour, " que du pain et des jeux " Panem et circenses! Pour ce qui est du pain, Hitler ne peut en donner aux masses. Il faut donc quil leur donne des jeux : jeux des fêtes de la Victoire, fête-anniversaire de la naissance du " Führer " et, pour les palais habitués à une nourriture plus épicée, le jeu sanglant de la chasse aux Juifs et aux marxistes. LAllemagne assistera dans les semaines qui viennent à bien dautres jeux encore. Les régisseurs ne manquent pas au ministère de la Propagande de Goebbels. Si, par exemple, un " attentat "contre un des chefs national-socialistes venait à déchaîner une nouvelle débauché de violences avec de nouvelles arrestations, de nouvelles mises à la torture, de nouvelles victimes " abattues en tentant de fuir " cela permettait peut-être de lire, comme sur un thermomètre, le degré des difficultés intérieures contre lesquelles le régime de la Croix gammée doit se débattre. |
A DOORN, L'EX-KAISER GUILLAUME AU MILIEU DE SES PETITS-ENFANTS JOYEUX
PARAIT TRES SATISFAIT DE L'EXISTENCE