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 CRAPOUILLOT juillet 1933

P10-11-12

SERVEUSES DE BIERE DANS UNE BRASSERIE ALLEMANDE (New York Times)

LE STAMMTISCH

Hitler est le premier politicien qui, de la semelle au cuir chevelu, ait représenté intégralement le Stammtisch et son idéologie. Il est le Stammtisch fait homme, il en est l'incarnation — j'allais presque dire qu'il en est la personnification sublimisée, mais sublime, non ! Rien n'est sublime chez cet homme dont le seul trait extraordinaire est précisément qu'il soit si ordinaire. Si la France possède avec les habitués du "Café du Commerce" un embryon de Stammtisch, sa véritable patrie est incontestablement l'Allemagne. Presque dans chaque débit de bière ou de vin est réservé un coin confortable et intime, en un mot, gemütlich, où chaque soir se retrouvent les habitués. Naturellement, ces réunions intimes se reproduisent à tous les degrés de l'échelle sociale. A côté du Stammtisch, réservé à des Messieurs nantis de diplômes universitaires si nombreux en Allemagne, il y a celui des négociants ou des industriels, celui des petites gens du monde de la boutique ou des corporations. Les ouvriers n'ont pas ou peu de Stammtisch, mais Monsieur le Conseiller Privé y retrouve chaque soir ses intimes et le facteur des postes les siens, qui ne sont pas les mêmes, bien entendu. On y boit de la bière ou du vin, on y fume des cigarettes, on y joue aux cartes et, dans le hennissement des rires, il s'y conte des histoires salées, à moins qu'on ne remâche les nouvelles politiques du jour. Le niveau intellectuel de ces réunions est aussi peu élevé que possible, l'atmosphère y est plate et pantouflarde et, en temps ordinaire, inoffensive. Mais que s’animent les vagues de la politique, et le Stamrntisch se réveille ! Combien d’adresses respectueuses et déférentes n’ont-elles pas pris leur essor des Stammtische allemands pour voler jusqu'aux pieds de Bismarck — que ce fût le Bismarck installé dans la gloire ou le Bismarck déchu de l’ère wilhelminienne ! Et les adresses à Bülow, lorsqu’en 1906 il prit la résolution de dissoudre le Reichstag ! Et à Hindenburg et Lüdendorff durant la guerre mondiale ! Une pluie innombrable de papiers. Le Stammtisch, — jamais à l’avant-garde mais toujours de plusieurs dizaines d’années en retard sur le progrès, — patriote dans le sens d’une certaine presse qui écrit ses articles avec des fifres sur une peau de tambour, le Stammtisch est un des éléments de l’ordre bourgeois, et à la fois une partie de l’opinion publique allemande. Il est vrai que c’en est la partie la plus terne, la plus obtuse, la plus bête, car des hommes qui, leur journée de travail terminée, passent leur soirée jusqu’à minuit à jouer aux cartes dans un relent de bière et de tabac, Ces hommes n’ont ni le temps ni le désir d’entrer sérieusement dans le fond de leurs interminables et copieuses ses discussions. Le Stammtisch se nourrit ainsi essentiellement de formules toutes faites. Pour lui, il n’existe pas de problèmes et, de quoi qu’il s’agisse il connaît le remède ou la solution, parce qu’il ramène tout aux notions les plus simplistes et les plus élémentaires. Le Stammtisch sait mieux qu’un technicien comment on construit un aéroplane, mieux que les économistes comment résoudre tel problème d’économie politique, mieux que les généraux comment se gagnent les guerres. Le Stammtisch tient à priori tous les autres peuples, sans les connaître, pour des êtres inférieurs et croit dur comme fer qu’ils sont animés de sentiments hostiles à l’Allemagne. Le Stammtisch sait depuis toujours que rien ne marchera tant qu'on n aura pas pendu les Juifs et collé au mur les socialistes. Et comme l’histoire du monde se déroule généralement sans tenir compte des voeux et des conseils du Stammtisch, il voit partout et dénonce corruption, impéritie et forfaiture. Ah, bon Dieu ! affirment-ils au douzième bock, si seulement eux, les héros du Stammtisch, étaient le gouvernement ! Ah ! s’ils avaient le pouvoir ils montreraient au monde de quel bois ils se chauffent! Tout homme politique sérieux — fût-il réactionnaire ou même le plus démagogique — se serait cru déshonoré de descendre au niveau du Stammtisch. Ce n’est que de nos jours qu’un homme vint auquel cette honte était réservée : Adolf Hitler. Il osa le grand saut que jusqu’ici personne n’avait tenté, et, de ce ramassis de propos, de bavardages vineux sans base sérieuse, sans envergure, sans vie réelle, de ces élucubrations du Stammtisch, il fit un programme politique. Hitler, c’est le Stammtisch hissé sur la grande scène politique. Voilà le premier secret de son succès.

 

"WEINSTUBE" (Keystone)

A BERLIN, LES ETUDIANTS EN COSTUMES

CELEBRENT L'ANNIVERSAIRE DE LA CONFESSION D'AUGSBOURG (New-York Times)

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