Les G A U L O I S - 14 pages L'histoire des Celtes La religion des Gaulois La religion gallo-romaine La mythologie
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    Les sacrifices humains ont-ils existé chez les Gaulois ? Plan de la page :
- Le sanctuaire de Gournay-sur-Aronde
- Le trophée de Ribemont-sur-Ancre
- Les sacrifices humains d'Acy-Romance

- Le portique de Roquepertuse
-
Les têtes coupées d'Entremont 
- Les sacrifices humains ont-ils existé chez les Gaulois ?

 

- Le sanctuaire de Gournay-sur-Aronde (Oise)

     Jean-Louis Brunaux dirige les fouilles depuis plusieurs années sur ce sanctuaire qui est localisé près d'un étang marécageux (les Gaulois assignaient aux étendues d'eaux mortes le séjour de leurs dieux).
Le sanctuaire a été créé au IIIème siècle av JC par des Belges qui viennent s'installer en Gaule. L'espace sacré, de 40 m de côté, est entouré d'une palissade de bois. A l'intérieur de cet enclos, tout autour de la palissade, un fossé de 2m50 de large et de 2m de profondeur est creusé. Ce fossé va jouer le rôle d'un dépotoir sacré pendant deux siècles, il va recevoir les vestiges des trophées pris aux vaincus et les restes des sacrifices d'animaux.
Au centre du sanctuaire, on trouve une grande fosse entourée de neuf autres plus petites. Dans la grande fosse, on mettait à pourrir les carcasses des boeufs sacrifiés pour les dieux. Les neuf autres fosses auraient pu servir soit de dépôts provisoires d'armes soit de dépôts de victimes animales.
     Deux sortes de sacrifices étaient pratiqués :
-
le sacrifice aux dieux bienveillants : les hommes consommaient, de façon rituelle, la viande sacrifiée des moutons et porcs sous forme de gigots et jambons.
-
le sacrifice chtonien : il s'adressait aux divinités infernales, les hommes ne participaient pas au festin dans ce cas. On mettait un vieux boeuf à mort, puis on le déposait à pourrir 6 à 8 mois dans la grande fosse centrale. La chair pourrissante devait constituer une nourriture pour les divinités souterraines qui veillaient à la fertilité des troupeaux. La putréfaction terminée, la fosse était soigneusement nettoyée et débarrassée de la carcasse qui était jetée dans le fossé de clôture. Les crânes des bovidés étaient exposés avec les crânes humains et les armes sur le porche, à l'entrée du sanctuaire. Les armes (boucliers, épées, fourreaux) étaient elles-mêmes sacrifiées, elles étaient pliées, tordues, cassées, découpées ou lacérées.  Toutes ces offrandes étaient liées en faisceau et une douzaine de crânes humains leur était associée. On ne sait pas exactement si les armes étaient celles prises à l'ennemi ou si elles étaient des offrandes des vainqueurs aux dieux.

 - Le trophée de Ribemont-sur-Ancre (dans la Somme) :

     Jean-Louis Brunaux a livré le secret de ce site qui a été longtemps considéré comme un sanctuaire. En fait, à
 Ribemont-sur-Ancre, nous sommes en présence d'un trophée guerrier érigé à l'endroit d'une grande bataille. Cette bataille s'est déroulée vers 260 av JC, elle a opposé 10 000 fantassins et cavaliers : des peuples belges à des Gaulois, les Armoricains. Les Belges l'ont emporté et par la suite se firent appeler Ambiens.
Le trophée domine le paysage, il est tourné vers l'ouest, comme les enclos funéraires et est séparé du monde profane par un fossé. L'enclos était de forme polygonal et entouré d'un mur de 6 m de haut. Mais à l'extérieur de cet enclos on a aussi trouvé un espace cultuel. En fait, nous sommes en présence de deux trophées, celui des vainqueurs et celui des vaincus.
A l'extérieur de l'enclos, dans le trophée des vaincus, on a retrouvé des milliers d'os humains, en charnier, mélangés à deux cents pièces d'armement : boucliers, lances, épées. Ces os proviennent d'hommes solides, entre 15 et 40 ans, ils ont été transportés sur deux kilomètres et ont reçu des coups violents ayant pu entraîner des blessures mortelles. Les dépouilles de ces hommes, décapités, avec leurs armes, avaient été installées dans trois bâtiments en bois sur des planchers surélevés à claire-voie, ils étaient suspendus à des portiques, serrés les uns contre les autres, pour sécher. Après décomposition, quand les os étaient parfaitement nettoyés (au bout d'un an), ils étaient récupérés et traités rituellement. Après broyage, les os servaient d'offrande aux divinités chtoniennes (souterraines). Les os retrouvés en charnier proviennent des corps qui sont tombés accidentellement sur le sol lors de la décomposition, considérés comme impurs (souillés par le sol?), ils n'ont pas été traités pour les dieux

 Dans l'enclos polygonal fermé, le trophée des vainqueurs, on a retrouvé un véritable ossuaire : un empilement de membres humains et d'os de chevaux, environ deux mille os longs, agencés en une sorte d'autel cimenté par du torchis et de la terre. A l'intérieur de cet autel creux, on a retrouvé des milliers d'os humains minutieusement broyés et brûlés pour alimenter les divinités souterraines (il s'agit des os des vaincus mis à sécher dans le sanctuaire précédemment décrit). On a retrouvé aussi dans cet espace les os longs d'une vingtaine d'individus avec leurs armes et des céramiques appartenant aux vainqueurs. Des stèles en grès étaient associées aux dépouilles de ces valeureux guerriers. Les dépouilles de ces guerriers vainqueurs étaient décharnées à l'air libre par les oiseaux. Ce n'est qu'après ce traitement que les corps iront rejoindre les divinités et que l'emplacement sera transformé en lieu de culte. Flavius confirme cette pratique chez les Celtes des armées d'Hannibal "Si l'on veut que l'âme rejoigne les dieux, il faut laisser le vautour affamé se repaître des chairs".
Nous sommes donc en présence d'un lieu de mémoire qui met en évidence que la guerre est un acte divin pour les Celtes. Après le combat, le champ de bataille est transformé rituellement, le corps des morts doit revenir aux divinités tutélaires. Le vainqueur prélève la tête de sa victime et est autorisé à garder ce trophée personnellement. Le reste des dépouilles est ensuite transporté jusqu'au lieu de culte pour y être traité de la façon dont nous l'avons décrit plus haut, les vaincus n'étant pas traités de la même manière que les vainqueurs.
     L'enclos des vaincus a été conservé pendant plus de deux siècles alors que celui des vainqueurs a été détruit rapidement : les os longs ont été récupérés, les murs de l'enceinte ont été abattus, incendiés et les restes des corps ont été jetés dans la tranchée de la palissade qui sera refermée. Mais à la périphérie de l'espace sacré des vainqueurs, des sacrifices d'animaux, des offrandes d'armes, des banquets vont perpétuer le souvenir des guerriers héroïsés durant deux siècles et demi.
 

 Les sacrifices humains d'Acy-Romance (Ardennes) :

     Bernard Lambot a fait des découvertes singulières à Acy-Romance :
- Il met à jour, sur une vaste esplanade, 19 jeunes hommes, roulés en boule, la tête entre les jambes, avec des connexions anatomiques remarquablement conservées, et inhumés dans des fosses circulaires peu profondes. La position bizarre de ces corps s'explique par le fait qu'ils ont été momifiés naturellement dans un puits sec ventilé, de 7,60 m de profondeur, que l'on a retrouvé sous le temple. Les corps étaient placés dans une
caisse, les mains liées derrière le dos, puis étaient descendus dans le puits jusqu'à dessiccation. Ainsi, les humeurs et fluides corporels pouvaient s'écouler dans la terre pour alimenter les divinités souterraines. Une fois remontés, les corps étaient à nouveau séchés dans un endroit aéré avant d'être inhumés.
- Un autre corps de jeune homme, les mains liées derrière le dos, a été retrouvé, dissimulé le long du mur d'une maison. La mort a été provoquée par un violent coup de hache asséné au temporal droit, alors qu'il était agenouillé.
- Trois (nombre symbolique) autres squelettes momifiés ont été découverts sur une autre place, inhumés en ligne, à 4 m les uns des autres, dans des fosses carrées. Ils étaient exposés face au soleil, assis en tailleur, le dos bien droit.
Ces morts, dans des postures particulières, inhumés (alors qu'à cette époque on incinère), sont pour B. Lambot des humains sacrifiés. Ces mises à mort ont eu lieu entre la fin du IIème siècle et le début du Ier siècle av JC, c'est-à-dire à une époque où les sacrifices humains n'étaient plus pratiqués. On peut donc se demander pourquoi les Gaulois ont transgressé l'interdit, s'agissait-il de conjurer une catastrophe naturelle? On peut aussi s'interroger sur l'identité des victimes : des esclaves, des prisonniers, des membres de la tribu?
     J-L Brunaux se montre plus prudent pour parler de sacrifices humains. Si de nombreux auteurs antiques parlent des sacrifices humains des Gaulois, sont-ils fiables? Leur but n'est-il pas de prouver la barbarie des Celtes? D'ailleurs la pratique des sacrifices humains a existé aussi à Rome jusqu'au IIème siècle av JC. César explique la raison des sacrifices humains des Gaulois :  les divinités chtoniennes appellent des vies et en échange, elles rendent de nouvelles générations. Mais ce rite est accompli et contrôlé par les druides et à partir du IIème siècle av JC, on remplace ces sacrifices par la peine capitale. Donc, les vies à offrir aux dieux vont se recruter parmi les criminels. Pour J-L Brunaux, les dépouilles d'Acy-Romance relèvent plutôt de ces exécutions capitales (comme à Fesques) que de sacrifices humains. Les condamnés à mort étaient suspendus à des portiques jusqu'à ce qu'ils meurent car il était interdit de verser le sang.
B. Lambot pense, lui, qu'il s'agit de sacrifices car sur 19 jeunes gens exécutés, 11 l'ont été en hiver, à des périodes régulières, sur 80 ans.
Mais si sacrifices humains, il y avait, cela devait rester exceptionnel.
Sources principales : "nos ancêtres les Gaulois" Renée Grimaud. Ed Ouest-France.
Sciences et Avenir N° 662 AVRIL 2000

- Le portique de Roquepertuse (Provence)   
   L
’ensemble monumental découvert à Roquepertuse, non loin d’Aix-en-Provence et déposé au musée Borély
de Marseille, formait une sorte de portique, dont les piédroits étaient creusés d’alvéoles destinés à recevoir des crânes humains, le linteau est décoré de têtes de chevaux gravées. Plusieurs statues accroupies étaient associées à ces fragments architecturaux, un oiseau stylisé, ainsi qu’un «Janus» constitué de deux têtes accolées

      

Le portique de Roquepertuse avec les crânes dans les alvéoles des piliers

Musée Borély
Marseille
III° s av JC
 

 


Calcaire avec traces de peinture.
Hauteur 20 cm,
Vème s av J

Tête de Janus du portique du sanctuaire de Roquepertuse.

Les traits du double visage (un visage tourné vers la vie, l'autre vers la mort?)

sont stylisés à l'extrême pour montrer l'immuabilité du détachement suprême.

Le crâne dénudé, le nez, la bouche et les yeux fortement marqués renforcent la sévérité.
Cliquer sur les photos pour les agrandir.

 

Dieu ou héros assis en tailleur de Roquepertuse. Il porte une sorte de pectoral en lanières, la tête a été brisée ou décapitée* ?
Sculpture du Vème s av JC, réutilisée dans la construction du sanctuaire du IIIème s. av JC.
Calcaire avec des traces de peinture, hauteur 105 cm.

 

Il est différentes raisons de couper des têtes et de les conserver. Les motivations guerrières étaient déterminantes pour les Gaulois du second âge du Fer. Etaient-elles les seules ?
Les usages en vigueur dans d’autres sociétés permettent d’imaginer d’autres scénarios : crânes de suppliciés par décapitation, crânes d’ancêtres exhumés des tombes et placés bien en vue pour pouvoir mieux les vénérer et bénéficier de   leurs pouvoirs, reliques de saints, ou encore « vanités » destinées à rappeler à tout moment aux vivants qu’ils retourneront à la poussière.
   Les observations archéologiques montrent des modes d’exposition compatibles avec certaines de ces hypothèses, comme les cavités céphaliques des piliers et linteaux du Midi, qui ont pu accueillir parfois des crânes surmodelés à l’argile pour leur redonner une apparence de vivants. Néanmoins, rien ne permet de conclure de façon catégorique.

 

* Statue décapitée ?

La pratique de la décollation était courante chez les Gaulois. On peut se demander si cet usage s’est aussi appliqué aux effigies de pierre et de bois qui peuplaient leur environnement. Les cas de bustes acéphales sont en effet nombreux et il peut paraître trop facile d’invoquer simplement un bri accidentel à l’emplacement du cou, qui constitue effectivement le point faible des blocs de pierre.

La tête de Mšecké Žehrovice montre en tout cas un exemple flagrant de bris volontaire.

Buste découvert fortuitement vers 1930, la tête séparée du tronc. Perdue pendant la guerre, la tête n’est malheureusement pas réapparue depuis et nous n’en possédons aucune description. Le cou porte un torque de forte section. La main droite tient un poignard ou une épée courte, la gauche serre un objet qui s’apparente à un torque.

 

 - Les têtes coupées d'Entremont

   Le prélèvement d’une tête sur un ennemi mort est un geste qui valorise son auteur, mais encore faut-il que cela se fasse aux yeux de tous. Poseidonios nous indique que ces têtes pouvaient être fixées à des portes ou à des portiques, ce que corroborent effectivement différents témoignages archéologiques. De la Provence à la Bavière, on connaît en effet des exemples de crânes encloués, souvent en relation directe avec la porte d’entrée d’une fortification. Par ailleurs, plusieurs sites du Midi ont  livré des piliers et linteaux en pierre creusés d’alvéoles aux dimensions d’une tête, parfois encore pourvues d’un crâne. Dans d’autres cas, les cavités sont remplacées par des têtes sculptées en bas-relief. À Roquepertuse, comme à Entremont et à Glanum, ces blocs appartenaient à des édifices publics qui abritaient des sculptures en pierre de guerriers. On peut y voir des ancêtres de l’élite locale, glorifiés par d’antiques faits d’armes. (Exposition "Les Gaulois font la tête")

   Les textes l’affirment clairement, l’archéologie le confirme : les Gaulois ne se contentent pas de couper des têtes pour affirmer leur victoire sur leurs ennemis  et pour provoquer l’effroi de leurs adversaires. Il s’agit bien de prendre possession des crânes, de les rapporter chez soi et de les préparer pour les conserver précieusement dans un coffre ou les exhiber durablement aux yeux de tous. Dans d’autres lieux, comme dans la Turquie ottomane, ces trophées pouvaient être échangés contre argent comptant.

Chez les peuples qui la pratiquent, la chasse aux têtes, qui peut motiver de faire la guerre, est un acte nécessaire à l’accomplissement de rites magico-religieux associés à toutes sortes de moments de la vie sociale. Les témoignages disponibles ne permettent pas de supposer que les Gaulois pratiquaient une telle survalorisation de la tête. (Exposition "Les Gaulois font la tête")

 
   L’oppidum d’Entremont, près d’Aix-en-Provence, montre des statues de personnages accroupis posant la main sur une tête coupée et une sculpture en calcaire présentant cinq têtes coupées.,

   Le “portique aux crânes”

   Construit entre deux tours du rempart de la ville haute, ce bâtiment comportait au rez-de-chaussée une seule grande salle de 21 x 5 m. L’étage (disparu) était supporté par des poteaux de bois: les uns s’appuyaient sur les blocs de pierre visibles au centre de la pièce; d’autres, en façade, reposaient sur une rangée de stèles couchées : l’une de ces stèles est ornée de 12 têtes gravées, une autre d’un serpent. Contre le mur du fond court une banquette faite aussi de stèles couchées, dont l’une montre une cavité destinée à recevoir une tête humaine coupée.
De plus, les fouilleurs ont découvert au pied de ce portique une vingtaine de crânes humains, certains encore traversés par le clou qui les fixait sur un poteau. Cet édifice était donc un lieu d’exposition de têtes coupées.

   Cette pratique est attestée par les historiens antiques à propos de tous les Celtes: ils coupaient la tête à leurs ennemis et les exposaient chez eux comme trophées.

Ainsi, Diodore de Sicile s'est longuement étendu sur ces pratiques

"Aux ennemis tombés, ils enlèvent la tête qu’ils attachent au cou de leurs chevaux ; puis, remettant à leurs serviteurs les dépouilles ensanglantées, ils emportent ces trophées, louant les dieux en entonnant un hymne de victoire ; enfin, ils clouent à leurs mai­sons ces prémices du butin, comme s'ils avaient, en quelque chasse, abattu de fiers animaux. Quant aux têtes de leurs enne­mis les plus illustres, imprégnées d’huile de cèdre, ils les gardent avec soin dans un coffre, et ils les montrent aux étrangers, chacun se glorifiant de ce que pour telle ou telle de ces têtes un de leurs ancêtres ou son père ou lui-même n'a pas voulu recevoir une grosse somme d’argent.."

Tête coupée  d'Entremont tenue par une main, ayant sans doute appartenu à une représentation de guerrier accroupi. La tête est surtout remarquable par la représentation des paupières closes. La main exprime sans aucune ambiguïté possible la possession.

 

Oppidum d'Entremont (voir le plan plus bas)

A l'origine, il y avait six têtes comme le montre la reconstitution, la sixième tête n'a pas été retrouvé

Oppidum d'Entremont

Hypothèse de reconstitution de la statue représentant un guerrier assis en tailleur tenant devant lui des têtes d'ennemis en guise de trophée

Le site archéologique d'Entremont

Le site archéologique d'Entremont

  La tête coupée, symbole de mise à mort suprême en Gaule méridionale ? Des textes anciens aux données de l’archéologie :
  une étude de Bernard DEDET qui fait le point sur le sujet, ci-dessous, sa conclusion :

6. Conclusion

Que la tête coupée de l’ennemi vaincu soit la preuve indéniable de prouesse individuelle, chez les Gaulois comme chez d’autres peuples « barbares », les textes antiques le montrent de manière appuyée et répétitive. Mais pourquoi cette tête est-elle si prisée, les auteurs de ces écrits ne le disent pas. D’autres parties du corps peuvent en effet servir de trophées. Ainsi, selon ces mêmes sources anciennes, les guerriers de la péninsule ibérique préfèrent, eux, couper les mains des vaincus pour en faire offrande aux dieux (Strabon, Géographie, III, 3, 6). Et lors du sac de Sélinonte en 409 av. J.-C., les Ibères alliés aux Carthaginois paradent avec ces mains des vaincus accrochées à la ceinture (Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, XIII, 57). La leçon du mythe celtique irlandais et les témoignages archéologiques de Gaule du Sud peuvent peut-être permettre d’aller plus loin.

Dans l’épopée irlandaise cette pratique de la décapitation semble devoir concerner aussi bien des étrangers à la communauté, comme des ennemis vaincus, que des membres de cette communauté elle-même, et parmi eux, des personnages les plus éminents, des héros, comme de simples combattants tombés au champ de bataille. On aurait là un traitement semblable pour des catégories de morts opposées stricto sensu, jusque dans le combat. Cependant la documentation archéologique de Gaule protohistorique ne permet pas de savoir si ces têtes tranchées peuvent avoir appartenu à des héros du groupe humain qui les affiche, plutôt qu’à leurs ennemis. Les textes anciens concernant cette région, eux, ne parlent pas de tels personnages dont on honorerait le chef coupé.

Le seul héros reconnaissable dans les données matérielles serait plutôt, en l’occurrence, le guerrier assis qui présente ses prises.

S’il s’agit uniquement de préserver la tête en tant que « siège de l’âme » de ces ennemis vaincus, selon la théorie généralement admise, on comprend mal l’intérêt qu’aurait le vainqueur ou son groupe humain de ménager « l’âme » de ses adversaires. Par contre, il peut s’avérer fort utile, pour le bien commun de cette communauté, de capter tout ce

qu’il reste d’énergie vitale, y compris celle de la pro- création, de tous ces défunts étrangers à elle, en leur infligeant cette mort suprême, cette « mort superlative ».

Les témoignages archéologiques gaulois révèlent une pratique codifiée. Et d’une manière générale, ce caractère normalisé et rituel transparaît bien dans l’organisation de ces trophées associés à des armes, preuves d’exploits guerriers, présentés à l’entrée des oppida ou sur leur rempart ou encore dans des édifices particuliers. Cette pratique concerne des individus masculins, de taille adulte. Ces hommes, ou ces adolescents, sont déjà morts, et décédés de la « belle mort », celle qui intervient rapidement au combat, dans la force de l’âge, sur des individus apparemment en bonne santé.

Détacher la tête de ces défunts va sans doute au-delà du souci de ménager ou de conserver une « valeur spirituelle », ou une « âme », censée résider dans cette boîte qu’est le crâne. C’est d’abord s’approprier leur énergie vitale et leur force procréatrice interrompues, et c’est ainsi donner à ces individus une seconde mort, une mort suprême. En même temps, c’est peut-être aussi priver ces personnes d’un « outre-tombe », cet « antumnos » de l’inscription sur plomb d’une tombe de l’Hospitalet-du-Larzac (Lambert 1994, 160-172 ; Vernhet 1995), un au-delà où ils sont censés continuer de vivre, comme le montrent les messages que leur adressent leurs parents à l’occasion des funérailles de nouveaux morts, selon le témoignage de ce plomb du Larzac, ou celui de Diodore de Sicile (Bibliothèque Historique, V, 28) décrivant les mœurs des Indigènes de Gaule du Sud dans la première moitié du Ier s. av. J.-C.

 

Bernard DEDET

Directeur de recherche au CNRS - UMR 5140 (Montpellier-Lattes)

 L'étude complète ici : PDF

Les sacrifices humains ont-ils existé chez les Gaulois ?

   D’après « L’Histoire » n° 176. « Les sacrifices humains ont-ils existé » Jean-Louis Cadoux

« Leur irréflexion s'accompagne aussi de barbarie et de sauvagerie, comme si souvent chez les peuples dtenant devant luiu Nord : je pense à cet usage qui consiste à suspendre à l'encolure de leur cheval les têtes de leurs ennemis quand ils reviennent de la bataille, et à les rades têtes d'ennemispporter chez eux pour les clouer devant les portes. [...] Ce furent les Romains qui mirent fin à ces coutumes, ainsi d'ailleurs qu'à toutes les pratiques de sacrifices et de divination contraires à nos usages; car ils [les Gaulois] cherchaient des présages dans les convulsions d'un homme, désigné comme victime, qu'on frappait dans le dos d'un coup d'épée. Ils ne sacrifiaient jamais sans qu'un druide fût présent. On cite aussi plusieurs formes de sacrifices humains chez eux : par exemple, on tuait certaines victimes à coups de flèches, ou on les crucifiait dans les temples, ou encore on confectionnait une effigie géante de paille et de bois, et après avoir jeté dedans des bestiaux et des animaux sauvages de tout genre et des hommes, ils en faisaient un holocauste.»
   C’est ainsi que Strabon parle des Gaulois dans sa description du monde (« Géographie ») vers 18 ap JC.

Selon Jean-Louis Cadoux, ce discours stéréotypé, qui voudrait faire des Gaulois des barbares sanguinaires, on le retrouve à quelques variantes près chez César qui inspirera d’autres auteurs. Mais César aurait recopié lui-même des sources grecques et en particulier, Posidonios d’Apamée (vers 135-51 av JC) qui avait voyagé en Gaule au début du Ier siècle av JC. Tous les auteurs qui parlent de la Gaule reprendraient les mêmes clichés dans la mesure où ils puisent à la même source. Pour eux, la bravoure des Gaulois s’expliquerait par leur croyance en la métempsychose qui leur enlèverait toute peur de la mort, la vie n’étant qu’un passage intermédiaire. Cette présentation des choses servirait les Romains, elle justifierait la conquête et en présentant leurs adversaires comme des guerriers fanatisés par les druides, excuserait certains échecs cuisants des Romains.

     Des détails sur les sacrifices humains proviennent également des Sholies de Berne, ajoutées à la Pharsale de Lucain. Il s’agit de notes explicatives d’un grammairien rédigées tardivement (au plus tôt au IVème siècle ap JC) sur des passages évoquant les dieux sanguinaires Teutatès, Esus, Taranis.

On peut en proposer une traduction approximative :

« Voici chez les Gaulois ce qui satisfait Teutatès Mercure : un homme est plongé par la tête dans un bassin jusqu'à suffocation. Voici ce qui satisfait Hésus Mars : un homme est suspendu à un arbre jusqu'à ce que, avec écoulement de sang, ses membres se disjoignent [ou : jusqu'à ce qu'en le frappant, on lui ait arraché les membres]. Voici comment Taranis Dis Pater est satisfait chez eux : des hommes sont brûlés dans une sorte de ruche en bois». Mais il faut se garder de prendre ce texte au pied de la lettre car il y a des incertitudes sur plusieurs mots. L'apport de l'archéologie, et en particulier les fouilles récentes sur les sanctuaires picards, renouvelle complètement l’approche de la religion gauloise. Jean-Louis Cadoux fait référence à un article de Jean-Louis Brunaux, « Les sanctuaires gaulois » qui fait le point sur les fouilles qu’il a menées sur le sanctuaire de Gournay-sur-Aronde, près de Compiègne, dans l'Oise. Dans les fosses, on a trouvé des moutons, des porcs et quelques chiens sacrifiés et consommés sur place. Mais les Gaulois avaient tué aussi des bovins qui, au lieu d ‘être consommés, avaient été déposés dans la fosse jusqu’au pourrissement. Il s’agit ici d’un rite assez rare qui consiste à nourrir les dieux du sous-sol avec la chair sacrifiée des victimes. Mais la fosse a livré aussi des armes brisées ou tordues et des os longs humains portant des traces de coups ou de découpe, des fragments de crâne humain ont été trouvés sur le sol près de l’entrée. François Poplin propose une explication : « des têtes coupées étaient accrochées au porche d’entrée, comme sur les piliers de Roquepertuse et d’Entremont ». On pense tout de suite qu’il pourrait s’agir des têtes des ennemis vaincus et prélevées sur le champ de bataille. On serait alors en présence de trophées, faits avec le corps et les armes d’ennemis décapités, placés dans les sanctuaires comme protecteurs du territoire nouvellement conquis. Les fouilles du site de Ribemont-sur-Ancre, près d’Amiens, permettent de confirmer cette hypothèse. Une soixantaine de corps sans tête, avec des armes, ont été retrouvés. La position des corps montre qu’ils sont tombés d’un support en hauteur. On peut imaginer ces corps pendus dans une sorte de grenier sur pilotis, les cadavres, dans ce milieu élevé et aéré, se seraient momifiés naturellement.
     Cette hypothèse des trophées pourrait remettre en question l’idée qu’il y ait eu des sacrifices humains massifs chez les Gaulois. Une appropriation de dépouilles n’est pas la même chose qu’un sacrifice humain.

De même, on peut s’interroger sur les découpes que l’on retrouve sur les cadavres dans les fosses, elles ne sont pas provoquées par des blessures de guerre, et pourquoi s’agit-il toujours des os des membres ? On pourrait en déduire des pratiques anthropophagiques ou plus probablement des coutumes funéraires de la conservation de certaines parties des corps des défunts : les membres pour alimenter des ossuaires et les têtes momifiées des ancêtres héroïsés, ce qui confirmerait l’hypothèse des crânes encloués en milieu d’habitat.

     Il apparaît aussi que l’on pourrait retrouver dans ces fosses, pas seulement des hommes (des guerriers) mais aussi des femmes et des enfants.

    Il faut donc être très prudent sur les sources littéraires qui présentent les Gaulois comme des sacrificateurs humains. On a certes retrouvé des fosses de cadavres humains décapités, reste à savoir si ces hommes ont été mis à mort pour les dieux ou s’il s’agit uniquement de cadavres prélevés sur le champ de bataille ou encore de défunts héroïsés (pensons au cultes de reliques, on n’hésitait pas alors à dépecer tel saint, le cœur étant vénéré à un endroit, le bras droit à un autre…)
 

D’après « L’Histoire » n° 176 (04/1994) « Les sacrifices humains ont-ils existé » Jean-Louis Cadoux

 

Une exposition en 2010, à Bibracte, intitulée : "Les Gaulois font la tête" apporte une réflexion très intéressante sur le sujet, quelques extraits ci-dessous :

"COUPEURS DE TETES

Une coutume gauloise visiblement très répandue a stupéfait les observateurs grecs et romains : prélever sur le champ de bataille la tête de son ennemi mort au combat et la rapporter précieusement chez soi, accrochée à l’encolure de son cheval, pour l’exposer ensuite en bonne place.
Quel est le sens réel de cette coutume qui nous semble si… barbare, et que l’archéologie confirme amplement ? S’agit-il d’un rite religieux, d’une pratique funéraire ou plus simplement d’un usage propre à une société fortement marquée par ses traditions guerrières ?
De l’exhibition momentanée de la tête d’un ennemi ou d’un condamné, pour preuve de sa mort, à la chasse aux têtes des peuples de l’Amazonie et du Sud-Est asiatique, en passant par l’usage de transformer la tête en trophée, l’ethnologie montre que couper une tête relève de motivations variées.
 

PRISES DE TÊTES

(À Rome, au moment du siège du Capitole, après la bataille du Tibre) « Les Celtes, le premier jour, achevèrent de couper les têtes des ennemis mor ts suivant la coutume de leur nation » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 115).

« Les Boïens, triomphants, por tèrent dans le temple qui est le plus vénéré chez eux les dépouilles enlevées au cadavre et la tête coupée du général [Postumius]. Puis, après avoir nettoyé la tête, comme c’est la coutume chez eux, ils incrustèrent le crâne d’or. » (Tite-Live, Histoire romaine, XXIII, 24)

« Il s’ajoute à leur déraison quelque chose de barbare et d’étranger à nos mœurs, qui est propre à beaucoup de peuples du nord : ils attachent les têtes de leurs ennemis à l’encolure de leur chevaux et les emportent pour les clouer à des propylées. Poseidonios dit avoir vu lui-même en bien des endroits ce spectacle, qui d’abord lui répugnait, mais qu’il avait fini, avec l’accoutumance, à suppor ter sereinement. ». (Strabon,  Géographie,  IV,  4,  5)

(A propos des Gaulois de Macédoine, sous les ordres de Belgius) « Ptolémée, atteint de multiples blessures, est fait prisonnier. Sa tête est coupée, fixée à une lance et promenée sur tout le champ de bataille pour inspirer la terreur aux ennemis. » (Trogue  Pompée,  Histoires  Philippiques,  abrégées  par  Justin)

(Lors de la bataille de Télamon, en 225) « C’est à ce moment-là que le consul Atilius trouva la mor t dans un corps-à-corps en combattant courageusement, et que sa tête fut apportée aux rois des Gaulois. » (Polybe, Histoires, II, 28, 10)

« Aux ennemis tombés, ils coupent les crânes et les attachent au cou de leurs chevaux. (…) Les têtes des ennemis les plus illustres, après les avoir enduites d’huile de cèdre, ils les gardent avec soin dans un coffre à provision et ils les montrent aux étrangers, se vantant que pour l’une de ces têtes son père ou l’un de ses ancêtres ou lui-même n’ait pas accepté la somme importante qu’on lui proposait… » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 29)

 Les témoignages, nombreux, relatifs aux Gaulois coupeurs et collectionneurs de têtes se réfèrent à la période du IVe au IIe s. av. J.-C. Poseidonios, qui voyagea en Gaule un peu avant 100 av. J.-C. précise même – dans un passage transmis par Strabon et Diodore – que les têtes coupées y sont si fréquentes qu’on finit par s’habituer à leur vue. Curieusement, César ne mentionne  pas ce trait culturel des Gaulois. Il faut dire que lui-même a fait bien mieux dans le genre, en ordonnant par exemple de trancher les mains aux milliers de Gaulois vaincus (mais bien vivants) d’Uxellodunum.

Des témoignages iconographiques dus aux Gaulois eux-mêmes corroborent parfaitement les témoignages littéraires.

TETES DE MORTS

Les têtes sculptées dans la pierre ou le métal peuvent-elles représenter des têtes de morts ? Des têtes coupées ? Les têtes aux yeux clos d’Entremont sont les seules qui permettent de l’affirmer. Le doute demeure dans tous les autres cas, tant le traitement du visage est source d’ambiguïté, avec un regard que l’on peut juger absent ou fixe, une bouche inexpressive ou sévère.

Ne doit-on pas en conclure que les Gaulois des IIe et Ier s. avant J.-C. cultivaient cette ambiguïté, tout comme leurs ancêtres des deux siècles précédents inséraient des visages humains à peine perceptibles dans de complexes décors végétalisants ?

ÉTRANGES MANIPULATIONS

Les restes humains, et singulièrement les restes de crânes, sont omniprésents sur les sites archéologiques de l’âge du Fer. Beaucoup s’expliquent par le bouleversement de sépultures antérieures ou par des pratiques de relégation (restes d’individus qui n’ont pas bénéficié d’une sépulture et se retrouvent mélangés à des rejets détritiques). D’autres témoignent effectivement de la récupération de crânes et de leur utilisation dans des pratiques d’une grande variabilité, comme les fragments de crânes portés en amulette, les calottes coupées et percées, les crânes fracturés et décharnés.

Leur répondent, en contexte funéraire, des corps décapités ou décollés, ou d’autres dont le crâne a été repris après réouverture de la tombe. Plus singulier encore est ce corps inhumé dont la face a été prélevée après avoir été soigneusement découpée à la scie !

Dans les lieux cultuels, la découpe de la tête est bien illustrée par le site exceptionnel de Ribemont-sur-Ancre (Somme), où une centaine de corps masculins sans tête composaient un charnier situé à l’extérieur du sanctuaire. Tous semblent avoir été décollés et leurs têtes, absentes, transformées en trophées.

Il faut reconnaître que le sens de ces pratiques n’est pas toujours évident".

 

Les G A U L O I S - 14 pages L'histoire des Celtes La religion des Gaulois La religion gallo-romaine La mythologie
L'art celte L'art gallo-romain La femme gauloise Les langues celtes Sacrifices humains

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