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Le pilier des nautes : le plus ancien monument daté de PARIS
Il a retrouvé sa place au musée de Cluny après quatre années de restauration

Fiche d'information du musée de Cluny (Avril 2003) réalisée par Florence Saragoza, conservateur.

Île-de-France, Ier siècle ap. J.-C., règne de l'empereur Tibère (14-37)
Calcaire, pierre de Saint-Leu-d'Esserent
Pierre aux huit divinités, Cl. 18605. H : 0,45 ; L : 0,91
Pierre de la dédicace, Cl. 18603. H : 0,47 ; L : 0,74
Bloc de Jupiter, Cl. 18602. H : 1,10 ; L : 0,75
Pierre aux quatre divinités, Cl. 18604. H : 0,47 ; L : 0,74
Découvert en 1711 sous le chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Restauré grâce au mécénat de la Compagnie des Bateaux Mouches

       Après quatre années de restauration dans les ateliers versaillais du Centre de recherche et de restauration des musées de France, le Pilier des nautes retrouve son emplacement au sein des collections du musée national du Moyen Âge.
        Ce monument est un exemple remarquable de la sculpture gallo-romaine, tant par sa datation assez haute (Ier siècle ap. J.-C.), que par son iconographie.
       Les reliefs conservés au musée furent découverts en 1711 sous le chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, lors de travaux de réaménagement du caveau des archevêques. Les circonstances de cette exhumation sont plutôt bien connues. En effet, la mise au jour du Pilier des nautes s'accompagna de conférences et de publications. Lors de leur découverte, les pierres se trouvaient réemployées dans une maçonnerie du Bas-Empire, probablement un édifice privé. A cette époque, la ville de Lutèce s’était repliée sur le site de l'île de la Cité. Pour élever ces nouvelles constructions, de nombreux monuments de la rive gauche furent alors démantelés et repris dans les maçonneries.
        Le Pilier des nautes avait été érigé, en un point de la ville antique qui nous demeure inconnu, par la corporation des nautes parisiens. Ceux-ci étaient les responsables des transports par voie fluviale et notamment des transbordements de la Seine et de ses affluents. L'inscription latine, gravée sur la pierre de la dédicace, nous indique également la période d'érection du monument par la mention du règne de l'empereur Tibère (14-37 ap. J.-C.).
       
Consacré au maître du panthéon romain, le dieu Jupiter, le Pilier des nautes évoque les colonnes de Jupiter, élevées plus tardivement en Gaule et en Germanie. Douze de ses faces illustrent les divinités majeures des panthéons celtique (Cernunnos, Smertrios, Esus et Tarvos Trigaranus) et romain (les Dioscures, Jupiter, Vulcain, Fortuna, Vénus, Mercure, Mars) selon un programme politique et religieux qui nous reste hélas hermétique.
        Décidée en 1997, la restauration du pilier devait permettre aux reliefs de retrouver leur lisibilité. En effet, les faces des différentes pierres constituant le monument étaient dégradées, au sens premier et au sens esthétique du terme, par une surface noirâtre. Celle-ci correspond à un phénomène de corruption de la pierre désigné par l'expression “croûte noire”.
        Si cette imperfection était la plus perceptible, les analyses menées sur le matériau ont dévoilé une dégradation plus complexe. Le relevé stratigraphique de la pierre, une catégorie de calcaire lutétien, appelé “pierre de Saint-Leu” (Oise), était composé de plusieurs couches de détérioration : un dépôt de sulfates, deux couches d'altération caractérisées par leur couleur brunâtre et noire, ainsi que plusieurs épaisseurs de badigeon gris. Si l'on peut définir aisément l'origine de ce dernier, l'exercice s'avère plus complexe pour les couches colorées. En effet, les badigeons gris ont été appliqués à la surface de tous les blocs au cours des XIXe et XXe siècles dans le dessein d'homogénéiser l'aspect de surface des différentes pierres constituant le Pilier des nautes. En ce qui concerne les croûtes colorées, les diverses analyses pratiquées ont révélé une structure non homogène rendant ainsi plus complexe la lecture de l'œuvre.
        Enfin, il n'a pas été possible non plus de déterminer la date de formation de cette altération. Les têtes des rois de Juda, provenant de la galerie de Notre-Dame de Paris et conservées au musée, présentent en effet un cas similaire. Ce parallèle aurait pu s'avérer probant si l'histoire matérielle du Pilier des nautes nous était mieux connue. Après étude, la structure de cette croûte noire ne semble pas compatible avec une formation du phénomène à l'ère industrielle. Il n'a, toutefois, pas été possible de déterminer l'époque exacte de sa formation. Les conservateurs et les restaurateurs ont décidé de préserver, sur chaque bloc, un témoin de l’encrassement initial de l'œuvre.
        La surface du calcaire présentait également des zones blanchâtres. Celles-ci résultent d'une desquamation de la pierre qui perd ainsi de sa cohésion.
       Les analyses terminées, la question du nettoyage de l'œuvre pouvait alors être posée. Différentes méthodes furent expérimentées et seul le nettoyage au laser apporta les résultats escomptés. Aussi la pierre a-t-elle retrouvé sa couleur d'origine, un ocre proche de la teinte du sable ; mais on remarquera que les pierres possèdent chacune leur tonalité particulière. Aucun phénomène de jaunissement du matériau n'a été observé depuis la fin du nettoyage, en décembre 2002. Enfin, la pierre aux huit divinités a révélé, autour des dieux, des traces de polychromie rouge, à base d’oxyde de fer.
       
Le bloc de Jupiter confronta les conservateurs et les restaurateurs à une question spécifique. Ce bloc est en effet constitué de deux pierres superposées scellées par un joint. Cette intervention fut réalisée en 1954. Cependant, les deux pierres ne furent pas disposées selon un parfait alignement ; pour rattraper cet écart, le joint débordait largement sur les surfaces sculptées de l'œuvre. Aussi a-t-il fallu l’amincir et le teinter pour restituer la lecture originelle du pilier. Notons que la date de sciage des blocs ne nous est point connue.
        En rendant leur lisibilité et leur modelé aux reliefs, la restauration encourage à reposer la question des styles ou des mains ayant participé à la création du monument. Différentes études menées, notamment par J.-J. Hatt et P.-M. Duval, avaient en effet mis en valeur plusieurs approches stylistiques.
        Enfin, la restauration du Pilier des nautes ouvre la voie à une étude du lapidaire gallo-romain conservé au musée. Celle-ci se concrétisera par le nettoyage prochain des blocs du Pilier de Saint-Landry.

Florence Saragoza, conservateur

Bibliographie

[Exposition. Paris, musée Carnavalet, 1984-1985], Lutèce, Paris de César à Clovis, Paris, 1984.
CAILLET (J.-P.),
L'Antiquité classique, le haut moyen âge et Byzance au musée de Cluny, Paris, 1985, p. 24-39.
DUVAL (P.-M).,
Paris, de Lutèce oppidum à Paris capitale de la France, Paris, 1993, p. 72-91.
ADAM (J.-P.) ET DELHUMEAU (H.), Les Thermes antiques de Lutèce, Paris, rééd. 2001.
SARAGOZA (F.), PARISELLE (C.), MEYOHAS (M.-E.) et alii, “Le Pilier des nautes retrouvé”, Tiré à part,
Archéologia, n° 398, mars 2003.

Les cinq blocs retrouvés Esus avant restauration

Esus après restauration

Autres sculptures après restauration (photos Isabelle Didierjean)


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