L'artisanat minoen

L’artisanat minoen : conférence d’Alexandre Farnoux

(Notes prises par Isabelle Didierjean lors d’un voyage Athéna en Crète, en juillet 2003)

Le site de Thylissos offre des maisons associant des activités agricoles et artisanales ; c’était un lieu de résidence et de production. Y était produit l’essentiel de ce qui est nécessaire (peut-être aussi pour d’autres que les habitants de la maisonnée), et peut-être pour assurer des prélèvements faits par le palais. Parmi les outils : les meules (pour la farine) et les fours alimentaires : fours couverts pour le pain, feu à flamme vive et feu à foyer à braise (souvent les trois types sont associés dans les maisons). 

            Les outils utilisés pour la transformation des tissus comprennent les poids estampillés et les métiers à tisser ; les métiers à tisser sont verticaux et fabriquent des largeurs standard qui sont ensuite cousues (tapis, tentures). C’est une civilisation du tissu : les maisons sont recouvertes de tentures pour se calfeutrer contre le froid, pour les bancs etc… Jusque dans les années 60, on fabriquait des kilims industriels en Crète. La matière est la laine. On a retrouvé des pesons de métier à tisser et des quenouilles (les parties en terre cuite).

            En ce qui concerne la terre cuite, il fallait des ateliers spécialisés dont peu ont été retrouvés. Les fours étaient détruits régulièrement, il y a donc peu de traces ; ils étaient peut-être en dehors des villages. Depuis le bronze ancien jusqu’au bronze récent, il y a des milliers de vases pour chaque époque, dans des styles bien connus. Les variations stylistiques permettent le classement des périodes par style mais aussi par la fabrication. La technologie est très au point, comme le montrent par exemple les fleurs en barbotine collées sur le vase, les pâtes très fines (un ou deux millimètres d’épaisseur) et dites « coquilles d’œuf », les figurines composées de pièces montées ensemble et cuites ensuite. Les couvercles sont extraordinaires avec leurs surfaces brillantes, comme vernies (par une solution d’argile qui produit un glaçage par fermeture de l’arrivée d’air dans le four) dès le minoen ancien. Cf la technique du flammé (2100 avant J.C.). Leur  maîtrise leur a permis une grande variation des styles et la richesse des motifs.

Les analyses en laboratoire (thermoluminescence puis analyse des pâtes) permettent de déterminer le lieu de fabrication et le banc d’argile (de profil rare). On a donc des caractéristiques pour la Crète de l’Est et de l’Ouest, mais il y a peu de variations à l’intérieur de la Crète et donc des risques d’erreur. On peut dire que c’est crétois mais c’est plus difficile de dire si c’est l’Est ou l’Ouest de la Crète. Les argiles sont épurées (par des tamisages successifs pour enlever les pierres, les plantes et les inclusions) et parfois mélangées pour une meilleure cuisson. Des inclusions de calcaire permettent la cuisson des grosses pièces à paroi épaisse : la chaleur parvient au cœur et elle est constante. C’est encore la même chose pour les potiers crétois d’aujourd’hui. L’analyse de la provenance est donc aléatoire. Deux programmes en cours analysent la pâte pour déterminer la fabrication  La température de cuisson est basse (mais laquelle ?) grâce à une argile très pure. Un four simple permet une cuisson rapide. Les différentes cuissons, remarquables selon le type de forme (par exemple les panses et les anses ; pour ces dernières il faut une pâte à haute capacité de collage) n’utilisent pas la même argile, encore aujourd’hui. Les vases trouvés ont des cassures, parfois en demi-vase : cela révèle une technique de montage pour les gros vases. La partie basse est séchée puis la partie supérieure est collée par une bande d’argile. Ce savoir-faire est toujours en œuvre. Les formes sont variées. La céramique constitue les containers de base (comme le plastic aujourd’hui !), elle emballe tout, même le tissu. Les larnax sont des sarcophages, des baignoires mais aussi des coffres pour le tissu. Certains outils sont en céramique : les cuillères, les louches pour le vin ou l’huile, la vaisselle quotidienne (cruche, coupes, amphores...). Dans le domaine de l’architecture, on utilise la céramique pour les dalles (grandes tommettes), les canalisations et peut-être les caniveaux. Les peintures utilisent des colorants minéraux dans des solutions d’argile appliquées au pinceau quand le vase est sec. On le cuit au four ensuite. Si l’argile est trop liquide, cela s’écaille et cela devient de la décoration en négatif. L’acide utilisé dans la restauration pour enlever le calcaire (concrétions) enlève aussi parfois le décor quand il y a des inclusions de calcaire dans le vase. Cela a donné le style « à trous » dans les publications des années 20 à cause de l’acide mal dosé ! ! !

            L’art du métal est très bien maîtrisé : bronze et or (à propos de ce dernier, le grainetis est très difficile à réaliser : l’or passe à travers un filtre en sable puis il faut coller ces perles d’or). Les gravures sur or sont très précises. Le bronze est utilisé par les artisans pour leurs outils (on a retrouvé des scies allant jusqu’à 1 mètre 50 de long, d’énormes chaudrons à Thylissos et à Pylos ; ces objets sont présents dans l’inventaire du palais, en Messénie), des doubles haches (outils ou symboles religieux), des armes (la coulée de la lame crétoise est réputée c’est pourquoi on en trouve sur le continent). Fabriquait-on aussi des agrès ? Les Minoens étaient-ils des navigateurs ? Cette idée est un écho des écrits de Thucydide. Les Minoens étaient avant tout des agriculteurs ; il y avait peu de pêcheurs. L’idée de la thalassocratie nous vient aussi de Thucydide, mais les Crétois sont d’abord des paysans qui stockent les produits  de la terre manufacturés dans l’île. On voit des représentation de poissons et on a trouvé des arrêtes de poissons dans des dépôts, mais peu fréquemment. Les vases en métal sont des chaudrons ou des petits vases fabriqués par soudure et rivetage.

Les Minoens ont également une grande maîtrise de l’ivoire. Il provient du Proche-Orient et de l’Egypte (hippopotames et éléphants). On a retrouvé des objets en ivoire dans les tombes : boîtes creusées dans la défense avec un décor en surface (cf Thylissos et Réthymnon), figurines (comme l’acrobate du musée d’Héraclion et le kouros de Palaikastro), sertissement de plaques dans des meubles en bois (en forme de coquillages…) : c’est-à-dire de la marqueterie. L’ivoire nous est aussi connu par les tablettes en linéaire B qui décrivent le mobilier du palais. Ces meubles et les fresques sont très colorés : cet art décoratif a beaucoup frappé en 1900.

A propos de l’acrobate : s’agit-il d’un jouet ou d’une œuvre d’art ? Qu’est-ce que c’est que l’art pour les Minoens ? Produire pour un marché, avec signature de l’artiste, cela date du V° siècle avant J.C.. Avant, quand il y a une signature, c’est pour manifester qui offre l’objet.  Pour les Minoens, on ne sait pas. Le statut de ce qu’ils ont construit consiste en équipement domestique de base, des enfants (poupées) jusqu’aux adultes. L’acrobate est donc peut-être un jouet ou une offrande aux dieux. La fonction des pièces est liée au mobilier trouvé et vice-versa, nous sommes donc dans l’incertitude ! On peut dire que c’est un temple parce qu’il y a du mobilier religieux mais le matériel est religieux car on a décidé que c’est un temple ! Les objets minoens sont exportés partout en Méditerranée : de Cythère jusqu’au Péloponnèse. Les plus beaux objets mycéniens sont peut-être minoens ! Ces objets sont présents sur toutes les routes ; cela implique des contacts avec les populations agricoles du bronze moyen et le développement de la civilisation mycénienne. Les Minoens sont montés jusqu’à Samothrace : une inscription en linéaire A a été trouvée il y a trois ans. Le comptoir crétois par excellence est Santorin (fresques et céramiques minoennes dans la Pompéi de l’âge du bronze). Les Minoens ont entretenu des contacts plus diffus avec l’orient, jusqu’à Milet.  Les archives du palais de Mari (1800 avant J.C.) en cunéiforme mentionnent des contacts probablement avec des Minoens. Des contacts sont également attestés avec les Egyptiens qui appellent les Minoens « Keftiou » : ces personnages sont montrés apportant des objets minoens ; cela veut donc dire qu’ils se connaissent et font des échanges.

En Crète, on trouve du matériel helladique mycénien (les sceaux par exemple) et égyptien en quantité (scarabées, statues, vases en albâtre, inscriptions) à toutes les époques. C’est donc une civilisation perméable et qui est en contact avec les autres. Les Minoens connaissaient sans doute la médecine par leurs contacts avec les Egyptiens. Ils avaient sans doute des archives autres que les tablettes du fait du contact avec ces mêmes Egyptiens, même si on n’en a pas retrouvé. Mais il y a une empreinte de papyrus sur des scellés. Le papyrus était sûrement réservé aux choses les plus précieuses et non pour les annotations annuelles en linéaire A et B, non cuites et qui ont été retrouvées quand elles ont été incendiées parce qu’elles n’ont pas été dissoutes. Les tablettes en cunéiformes étaient, elles, cuites et enfermées dans des enveloppes en terre cuite. Les tablettes en argile crue portent les empreintes d’hommes âgés (pour l’écriture) et de mains d’enfants (pour la manufacture) : il y a donc deux types d’empreintes. Ces tablettes n’étaient pas cuites car elles étaient d’un usage bref : la durée d’une saison. Il y avait une tablette par panier plus une pour le total fait par le scribe. Cette dernière était la seule qui était conservée ; les autres étaient détruites. A la fin de l’année,  on recopie sans doute sur un autre matériau. Les documents intermédiaires n’ont pas à être conservés. Mais les documents définitifs ont été détruits par l’humidité. On en trouvera peut-être en Egypte ! Trempées dans l’eau, les tablettes redeviennent malléables et tout s’efface ; on peut recommencer.

Du bois a été trouvé à Santorin : les cendres et la pluie ont solidifié et gainé le matériel. Le bois a pourri mais a laissé son empreinte dans cette gangue ; on peut donc refaire un lit ou une table à partir de cette empreinte (musée d’Athènes). On n’a pas trouvé d’épave de bateau en Crète même, mais cela n’est pas impossible car quand le bois est gorgé d’eau, sans variation de température, il ne pourrit pas (cf. les pieux romains dans la Loire : la partie inférieure est imputrescible car elle est toujours dans l’eau). Peut-être pourrait-on trouver des ex-voto minoens à Zaros du fait de l’humidité. La menuiserie et la charpenterie ont laissé des traces. Les tablettes parlent de bois de cyprès, de chêne et d’orme. 

Les Minoens produisaient du vin (on a retrouvé des pressoirs) et de l’huile. Le cratère est apparu à l’époque mycénienne. On a des scènes représentant des gens buvant du vin mais qu’en est-il de la consommation quotidienne, du point de vue de la quantité ? Le traitement de la pierre est destiné aux maisons et aux objets : vases, lampes à mèche (grandes comme des lampadaires). On a retrouvé des noyaux d’olives ; cela veut donc dire que l’huile était connue à l’époque minoenne et mycénienne. Il y avait même des huiles parfumées (avec des essences de végétaux) chez les Mycéniens ; c’était sans doute le cas également chez les Minoens. Pour les tissus, ils connaissaient les pigments végétaux ainsi que la pourpre.

On retrouve le chat sur la tête de la déesse aux serpents mais aussi dans une maquette de maison. Est-ce une divinité ? Cette maquette vient de Monastiraki (Louis Godard) et est peut-être conservée au musée archéologique de Réthymnon, mais peut-être dans les réserves).

Les textes en linéaire A comportent sans doute des dédicaces d’objet ; quand on le déchiffrera, on aura probablement le nom du panthéon minoen.


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